Odinga “le mystérieux” perd sa troisième et peut-être ultime bataille

NAIROBI, (AFP) – A 68 ans, Raila Odinga, vétéran de la scène politique au Kenya, a perdu samedi sa troisième et peut-être dernière tentative d’accéder à la présidence, après la confirmation par la justice de la victoire de son adversaire Uhuru Kenyatta.

Au sein de sa communauté Luo – dont le président américain Barack Obama est originaire par son père -, M. Odinga est surnommé “Agwambo”, “le mystérieux”.

Et malgré des décennies d’activité politique, le Premier ministre sortant demeure une énigme pour beaucoup de ses concitoyens, certains voyant en lui le réformateur social dont le pays a désespérément besoin, d’autres un populiste prompt à instrumentaliser les jalousies entre communautés.

Mais même ses critiques ont salué sa décision de reconnaître sa défaite, après avoir déjà privilégié la justice plutôt que la rue à l’issue d’un premier tour entaché selon lui d’irrégularités massives.

M. Odinga a estimé devant la presse que la décision de la Cour suprême, même si elle lui a été défavorable, “constituait une nouvelle étape dans la longue route vers la démocratie”.

Dans une déclaration aux allures, parfois, de testament politique, il a appelé les Kenyans “à ne pas laisser les élections les diviser”, alors que son épouse Ida pleurait à ses côtés.

Dans un entretien récent avec l’AFP, M. Odinga — sorte de Bouddha impénétrable, imposant physiquement, très noir de peau, à la diction lente et réfléchie — avait longuement évoqué sa précédente défaite en décembre 2007.

Il avait rappelé comment “la dernière fois, les gens s’étaient sentis trompés et s’étaient révoltés en conséquence”, en référence aux violences nées de sa défaite face au président sortant Mwai Kibaki.

Les affrontements avaient fait plus de 1.000 morts et des centaines de milliers de déplacés, avant qu’un compromis imposé par la communauté internationale fasse de M. Odinga le Premier ministre du chef de l’Etat réélu.

L’issue du scrutin du 4 mars a, de nouveau, douché les espoirs que mettait en lui la communauté Luo (11% des 41 millions d’habitants), qui estime avoir été exclue du pouvoir depuis l’indépendance en 1963.

Raila Odinga a décidément des comptes à régler avec l’histoire. Son père Jaramogi Oginga Odinga, bref vice-président du pays, a été le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d’Etat Jomo Kenyatta, père du désormais nouveau président élu.

Raila Odinga a aussi payé son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu’en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 80 et jusqu’en 1991.

A l’époque de la Guerre froide, son père Oginga Odinga faisait figure d’épouvantail pour le monde occidental, inquiet de sa proximité avec l’URSS.

Ironie de l’histoire, c’est Raila Odinga qui a été implicitement pendant la campagne “le chouchou de la communauté internationale”, comme le reconnaissait à l’AFP un de ses représentants à Nairobi sous couvert d’anonymat.

 

Son premier fils prénommé Fidel

 

Uhuru Kenyatta, plus libéral économiquement, sent le souffre depuis son inculpation par la Cour pénale internationale pour son rôle présumé dans les violences post-électorales de fin 2007.

Epinglé comme “socialiste” par ses adversaires, Raila Odinga a certes fait ses études d’ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l’Est communiste, et il a prénommé son premier fils Fidel, en hommage au révolutionnaire cubain.

Mais l’intéressé a rappelé à l’AFP qu’il est aussi, comme son père, “un entrepreneur” qui a notamment racheté une usine d’éthanol, fabriqué à partir de mélasse de sucre de canne.

De façon plus discutable, il a aussi lancé une entreprise d’importation pétrolière alors qu’il était ministre de l’Energie, nommé en 2001 après son ralliement tardif au président autocrate Daniel arap Moi qui l’avait fait emprisonner dix ans plus tôt. “C’est un pragmatique”, résume un diplomate occidental à Nairobi.

“Il n’est jamais fini. Quand tout paraît se liguer contre lui, il sort un lapin de son chapeau et il se réinvente”, ajoute l’analyste politique Mutahi Ngunyi. Son défi est maintenant de faire mentir M. Kenyatta, qui a construit en partie sa campagne victorieuse en le présentant comme un homme du passé.

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