Afrique subsaharienne : il est urgent de réduire la dépendance aux matières premières

La CNUCED alerte : près de 64 pays dans le monde dont les exportations sont tournées vers les produits de base ont connu un ralentissement économique, voire une récession ces dernières années. L’Afrique au sud du Sahara est la région la plus durement atteinte.

SELON un récent rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la dépendance aux produits de base augmente la vulnérabilité des économies aux chocs négatifs et à la volatilité des prix. Le même document souligne que 89 % des économies de l’Afrique subsaharienne sont dépendantes des matières premières. Environ 9 pays sur 10 de cette partie du continent africain ont des exportations dépendantes à plus de 60 % des matières premières.

Avec cette proportion, note le même rapport, l’Afrique subsaharienne est la région la plus durement atteinte par cette dépendance. Elle devance la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), où 65 % des pays dépendent des produits de base, et les régions Amérique latine et Caraïbes, ainsi qu’Asie de l’Est et Pacifique, où 50 % des pays sont dans cette dépendance. Dans le monde, le nombre de pays qui dépendent des produits de base a atteint son niveau le plus élevé en 20 ans, selon la CNUCED.

Malgré les efforts de diversification économique, la CNUCED fait remarquer que la persistance de cette situation menace les objectifs de croissance des pays d’Afrique subsaharienne.  « Étant donné que la dépendance à l’égard des produits de base a souvent un impact négatif sur le développement économique d’un pays, il est important et urgent de la réduire pour progresser plus rapidement vers la réalisation des objectifs de développement durable », a déclaré, à cet effet, Mukhisa Kituyi, le secrétaire général de la CNUCED. 

Malédiction ? 

La République démocratique du Congo compte parmi les pays de l’Afrique subsaharienne touchés par ce phénomène. La 3è édition de la Conférence minière nationale qui a été organisée en septembre 2018 à Kolwezi, chef-lieu de la province de Lualaba, a formulé huit recommandations : premièrement, l’application des dispositions du code et du règlement minier révisés, relatives principalement à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises minières à l’égard des communautés affectées par les projets miniers ; au renforcement de la responsabilité industrielle du titulaire du droit minier afin qu’aucun produit minier ne soit exporté à l’état brut ; à la participation des Congolais dans le capital social des entreprises minières ; à la mise en œuvre effective de l’exclusivité de la sous-traitance aux sociétés de droit congolais à capitaux congolais ; au paiement effectif de tous les droits dus à l’État et à l’effectivité du contrôle des recettes rapatriées des ventes à l’exportation, en vue de leur recyclage dans le développement économique du pays.

Deuxièmement, la mise en œuvre d’une politique efficiente et efficace visant à résorber le déficit énergétique. Troisièmement, l’exécution des projets en cours visant la réhabilitation des voies de communication reliant les sites d’exploitation et les points de sortie des produits miniers.

Quatrièmement, la mise en œuvre d’une politique visant l’équité entre toutes les parties prenantes à l’exploitation des ressources naturelles dans notre pays, en ce qui concerne les retombées de la rente minière. Cinquièmement, la création d’une bourse des matières premières en RDC.

Sixièmement, la création d’une zone économique spéciale au profit des utilisateurs finaux de ressources naturelles congolaises. Septièmement, la mutation de l’actuelle conférence minière à une conférence minière internationale en RDC. Huitièmement, le réinvestissement des ressources générés par le secteur minier dans d’autres secteurs porteurs de croissance, notamment l’agriculture.

 Peu avant cette conférence, Kolwezi a été baptisée « capitale mondiale du cuivre ». Malgré la baisse de l’activité à la Minière de Bakwanga (MIBA), Mbuji-Mayi, chef-lieu du Kasaï oriental, est toujours considérée comme la « capitale mondiale du diamant industriel ». Alors que Masisi dans le Nord-Kivu, est la « capitale mondiale du coltan »… Ce n’est pas tout, il y a d’autres « capitales mondiales » dans ce pays dont beaucoup parlent comme « un don béni de Dieu », tellement son sol et son sous-sol forment une terre naturellement riche et sans pareil. 

La production minière y a commencé voilà plus d’un siècle et a joué un rôle important dans la gestion du pays pendant et après la colonisation. Malgré un sous-sol parmi les plus riches au monde en matière de géologie et de minéralogie, l’économie nationale est demeurée défaillante. Ici et là, on a parlé de « malédiction des ressources naturelles ». En effet, la RDC située au cœur du continent africain, possède des plus beaux gisements contenant une cinquantaine de minerais recensés.  

Exploitation minière

Seulement une douzaine de ces minerais est exploitée : le cuivre, le cobalt, l’argent, le plomb, le zinc, le cadmium, le diamant, l’or, l’étain, le tungstène, le manganèse et quelques métaux rares comme le coltan. L’exploitation de l’uranium a été suspendue pour des raisons de radioactivité. Les réserves sont très importantes. Le pays possède, par exemple, la deuxième réserve mondiale en cuivre avec 10 % du total recensé sur la planète, et surtout les plus importantes réserves de cobalt (près de 60 %) dans le monde. 

Si la RDC possède aussi de l’or en quantité respectable, et surtout les trois quarts des réserves mondiales de coltan, un composant essentiel pour les circuits des téléphones et des ordinateurs portables. La région minière du Katanga reste une des régions du pays les plus dynamiques, notamment grâce aux activités des minings. Le pays renferme également des gisements de pétrole sur le littoral atlantique, dans la cuvette centrale et dans la région du lac Albert. 

Les espoirs de croissance économique reposent donc sur l’industrie extractrice, en particulier l’exploitation minière. Mais les retombées de la rente minière ne profitent pas à tous les Congolais en termes d’amélioration des leurs conditions de vue. La Gécamines était la principale entreprise minière du pays qui fournissait environ 66 % des recettes budgétaires de l’État jusque dans les années 1980. Pendant plus de 30 ans, cette entreprise a été un des moteurs principaux de l’économie nationale. Avec une contribution de l’ordre de 20 %  par rapport à la Gécamines dans les années 1980, la MIBA a vu sa production minière industrielle s’effondrer entraînant des conséquences économiques et sociales importantes. Le code minier promulgué en 2002 n’a rien changé à la situation. Au contraire, on a assisté à l’accaparement des terres au profit de nouvelles concessions minières, à la fraude fiscale généralisée des multinationales et aux contrats léonins qui ont bradé et spolié le pays avec la complicité de certaines autorités. Le code minier de 2002 a été révisé en 2018, semble-t-il, pour corriger le déséquilibre et faire bénéficier à la population les retombées de la rente minière. Ici et là, on attend de voir. Malgré toutes ces richesses du sous-sol, le pays sombre dans la pauvreté. Le Produit intérieur brut (PIB) par habitant est de 466 dollars en 2018. La RDC regorge de 80 millions de terres arables, de 52 % d’eaux douces du monde et d’importants espaces de pâturage. Mais c’est le pays qui dépense 1,5 milliard de dollars par an pour l’importation des produits alimentaires. 

Changer de paradigme

Alors quelles stratégies mettre en place pour que le sol et le sous-sol contribuent au développement du pays ? En mai 2018, l’Université de Lubumbashi a organisé un symposium autour de « Sol et sous-sol de la RDC. Perspectives 2030-2035 ». On retiendra de ce colloque la phrase suivante : « Les ressources naturelles de la RDC exigent une exploitation et une protection durable des forêts, une agriculture à réinventer, des ressources hydriques comme atout, du pétrole comme denrée à rentabiliser, des ressources minières comme nécessité d’un nouveau paradigme ». Conclusion : la croissance économique de la RDC requiert que le pays diversifie son économie et soit industrialisé. 

La diversification de l’économie et l’industrialisation du pays sont notamment fonction d’un leadership fort et d’une bonne gouvernance. Appréciez : « Dans aucun pays au monde, il y a eu développement sans une vision. Mais au leadership visionnaire, il faut un leadership exécutif ». Au-delà de ce leadership, il faut un leadership opérationnel parce que l’engrenage du développement part du sommet de l’État jusqu’au niveau le plus inferieur. Si la RDC veut devenir un pays émergeant et aller vers une croissance économique, elle doit changer de modèle économique. Le pays ne peut pas se développer en ne misant que sur l’exploitation brute de ressources naturelles.