Airbus craint d’exploiter les problèmes que traverse son concurrent Boeing

Pourquoi Airbus ne cherche pas à profiter de la crise du 737 MAX, lancé en réponse à l’A320neo, l’avion le plus vendu du constructeur européen en France ?

Les mêmes raisons, selon des sources du secteur, expliquent aujourd’hui pourquoi Airbus craint d’exploiter les problèmes que traverse son concurrent avec l’interdiction de vol du MAX depuis le mois de mars, alors que les deux avions sont basés sur une stratégie similaire d’efficacité des moteurs. Airbus s’est associé aux grandes compagnies aériennes pour exprimer sa confiance dans le fait que Boeing émergerait bientôt de cette crise provoquée par deux catastrophes aériennes à cinq mois d’intervalle impliquant un 737 MAX.

En premier lieu, c’est parce que les deux avionneurs ont tous deux intérêt à préserver la confiance du public et se font rarement concurrence sur le terrain de la sécurité. « Ce n’est pas bon pour l’aviation », déclarait début avril Guillaume Faury, le nouveau président exécutif d’Airbus, à propos de la crise du MAX. Mais l’histoire de cet appareil et de son concurrent l’Airbus A320neo montre également pourquoi il est peu probable que le MAX soit l’enjeu d’un affrontement entre les deux groupes, au-delà de leur féroce concurrence habituelle pour décrocher des contrats, estiment des analystes et des responsables du secteur aéronautique.

Situation de duopole

Airbus et Boeing sont en duopole et de forces à peu près équivalentes sur le marché des monocouloirs évalué par Airbus à 3 500 milliards de dollars sur 20 ans. Aucun des deux ne peut se permettre de se laisser trop distancer sans subir un gros désavantage sur les coûts, qui dépendent fortement des volumes. Si c’était le cas pour l’un d’eux, il lui faudrait prendre des mesures drastiques – allant de la guerre des prix au développement d’un nouvel avion – qui risqueraient de les déstabiliser tous les deux, et les forces du marché ont ainsi tendance à maintenir en phase les stratégies des deux entreprises, selon des spécialistes du secteur.

En 2011, Airbus a mis cette théorie à l’épreuve avec les ventes record de son A320neo qu’il venait de lancer. Cette version améliorée de l’A320, proposant des moteurs plus efficaces, était une réponse à la menace représentée par le CSeries du canadien Bombardier. En adoptant des moteurs similaires, Airbus a pu bloquer le CSeries et provoquer des commandes massives de la part de sa base existante de clients, tout en envoyant à la Chine, rival potentiellement encore plus important, le message que ce segment du marché des avions de ligne serait âprement défendu.

Mais Airbus craignait aussi que sa stratégie ne soit mise à mal si Boeing décidait de relever le défi avec un tout nouvel avion qui prendrait plus de temps à construire mais offrirait plus d’efficacité. Airbus savait qu’il devrait répondre à cette situation avec un plan B plus coûteux, un projet d’avion baptisé A30X, mais il était alors confronté à plusieurs problèmes de trésorerie, notamment liés à son programme d’avion militaire A400M.

Airbus en a alors conclu qu’il fallait forcer la main à Boeing, en piétinant ses plates-bandes avec la négociation d’un contrat de vente de 460 avions à American Airlines, compagnie qui n’achetait alors que des Boeing, ont déclaré plusieurs personnes au fait des discussions. Calculant qu’il perdrait trop avant que son tout nouvel avion soit prêt, Boeing a changé son fusil d’épaule et annoncé un 737 remotorisé à temps pour se voir attribuer près de la moitié de la commande record d’American Airlines en 2011. Le motoriste américain General Electric a aussi usé de son influence sur Boeing et avait préparé un projet d’accord de motorisation avant même que Boeing ne change officiellement de stratégie, selon deux personnes au courant des discussions. GE n’a pas souhaité faire de commentaire.

Mauvais calendrier

Huit ans plus tard, les deux constructeurs d’avions ont vendu des milliers de leurs monocouloirs respectifs et ont vu leurs cours de Bourse quintupler, ce qui a stimulé l’ensemble du secteur de l’aviation commerciale. Non seulement ce duopole pourrait être déstabilisé si le MAX devait être remplacé mais, selon des experts, ce ne serait pas le moment idéal pour une bataille technologique sur ce segment crucial du marché.

Sous l’impulsion de Boeing, les avionneurs ont étendu l’utilisation de matériaux composites légers en carbone au début des années 2010. Ce fut ensuite au tour des motoristes de faire un bond en avant en termes de performances. À l’avenir, l’intelligence artificielle et l’automatisation dans le cockpit pourraient faire bouger les lignes mais ces technologies ne sont pas encore matures. « La technologie pour de nouvelles étapes majeures dans les matériaux, les moteurs et le pilotage n’existe pas à l’heure actuelle. Ce n’est pas le meilleur moment pour les deux parties de déstabiliser le marché et de lancer un nouveau monocouloir », a déclaré à Reuters un analyste spécialisé.

De plus, Airbus n’est pas aussi prêt qu’il le souhaiterait pour la compétition technologique qu’impliquerait un nouvel avion. En y ajoutant les investissements déjà réalisés par les fournisseurs, les banques et les constructeurs, et la préservation de la valeur marchande à la revente d’avions déjà commercialisés, rares sont ceux qui sont pressés de recommencer à zéro. « Sur le plan industriel et concurrentiel, il est logique dans un duopole d’avoir besoin d’une concurrence raisonnablement forte », a déclaré Rob Morris, consultant en chef au cabinet Flight Ascend.

À court terme, Airbus n’est pas tellement en mesure d’augmenter sa production, même si certains clients de Boeing le courtisent déjà publiquement, ce qui est en partie perçu comme une tentative de ces clients de négocier avec Boeing des conditions plus avantageuses. Guillaume Faury a minimisé la possibilité que la crise du MAX ouvre la voie à de nouveaux contrats pour Airbus et a déclaré que l’actuelle interdiction de vol du MAX « ne changera pas la situation à moyen long terme ».

Airbus a déjà conquis une part plus importante que prévu du marché des monocouloirs et, plutôt qu’un partage à 50/50 avec Boeing, penche aujourd’hui vers les 60 %. Des experts affirment qu’une nouvelle avancée pourrait avoir des conséquences imprévisibles pour les deux groupes. Des analystes d’Agency Partners ont prévenu que Boeing était déjà sous pression pour remplacer le MAX, ce que l’américain a démenti. « Boeing ne peut accepter une part de marché inférieure à 40 %. Si le MAX échoue, Boeing devra faire quelque chose de déterminant et Airbus devra répondre », a déclaré Rob Morris, de Flight Ascend.

Les objectifs 2019 confirmés 

Airbus Group a confirmé ses objectifs financiers pour 2019, après avoir vu son résultat opérationnel ajusté progresser au premier trimestre, grâce à l’augmentation des livraisons de sa division d’aéronautique civile. « La performance du premier trimestre reflète principalement la montée en cadence et l’étalement des livraisons d’avions commerciaux », a déclaré Guillaume Faury, le président du comité exécutif d’Airbus, cité dans un communiqué. 

Au premier trimestre, le résultat net du groupe aéronautique s’est établi à un peu plus de 40 millions de dollars, contre 283 millions un an plus tôt, pénalisé par des ajustements négatifs de 368 millions passés au niveau du résultat opérationnel (EBIT) consolidé. Ces ajustements incluent notamment un impact négatif de 190 millions « induit par la suspension prolongée des licences d’exportation de matériels de défense à l’Arabie saoudite par le gouvernement allemand ». Dominik Asam, le directeur financier d’Airbus, a expliqué que les mesures prises par Berlin empêchaient le groupe d’exécuter un contrat de sécurité frontalière passé avec l’Arabie saoudite. Les ajustements cités par Airbus intègrent également un impact négatif d’un peu plus de 61 millions de dollars lié au coût du programme A380.