Airbus et Boeing se disputent la Chine

Près de 10 ans après le lancement de sa ligne d’assemblage d’A320 en Chine, Airbus a inauguré à Tianjin une usine de finition de long-courriers A330. Une stratégie d’implantation locale qui tranche avec la prudence de Boeing.

Avec tambours, mais sans trompettes. Devant quelques centaines d’invités accueillis par une troupe de farfadets en costumes rouges et leurs tambours géants, Airbus a inauguré en grande pompe mercredi 20 septembre sa nouvelle usine de finition de long-courriers A330 à Tianjin, près de Pékin. Le site, qui jouxte la ligne d’assemblage d’A320 lancée en 2008, réceptionnera les A330 assemblés à Toulouse, y installera les équipements intérieurs, effectuera la peinture des appareils et les derniers tests en vol, avant de livrer les appareils aux compagnies clientes.

Premier centre de finition de ce type installé par l’avionneur européen en dehors du Vieux continent, l’usine emploiera 250 salariés et livrera deux A330 par mois à partir de début 2019. Elle devrait progressivement passer à l’A330neo, nouvelle version du gros porteur, à la fin de la décennie, et pourrait prendre également en charge les finitions de l’A350 si les ventes du nouveau long-courrier décollent en Chine.

Près de dix ans après l’inauguration de la ligne d’assemblage d’A320, l’ouverture de ce nouveau site marque une nouvelle étape dans l’implantation industrielle locale d’Airbus. L’usine de finition d’A330, dans laquelle Airbus a investi de l’ordre de 200 millions de dollars, vient compléter un dispositif chinois déjà impressionnant. Celui-ci comprend le site d’assemblage d’A320 à Tianjin (600 millions de dollars investis), un centre de production de pièces spécialisé dans les matériaux composites (à Harbin, au nord-est du pays), un centre d’ingénierie à Pékin, et plusieurs sites de formation et de maintenance.

Airbus emploie ainsi environ 1 800 salariés dans le pays, directement ou à travers des coentreprises avec des sociétés chinoises. L’investissement est à l’avenant: Airbus valorisait sa collaboration industrielle avec les acteurs chinois à 295 millions de dollars en 2012. Le chiffre était de 500 millions en 2015, et devrait franchir le cap du milliard à l’horizon 2020.

50 % de part de marché

Pourquoi cet activisme dans l’empire du Milieu? Le groupe affirme n’y voir que des avantages. « La ligne A320 de Tianjin a été un succès total, à la fois du point de vue industriel et sur le plan commercial, estime Fabrice Brégier, directeur général de l’avionneur. Depuis son ouverture, nous sommes passés de 20 à 50 % de part de marché. Il y a aujourd’hui 1 500 appareils Airbus en service en Chine, soit plus qu’aux États-Unis. » En 2014, l’avionneur a prolongé de dix ans, jusqu’à 2025, son accord avec la Chine sur la ligne d’assemblage A320. Celle-ci, qui livre quatre appareils par mois, pourrait accélérer la cadence, pour passer à 5 ou 6 appareils mensuels. « Nous sommes en discussion avec nos partenaires chinois sur ce sujet », confirme Fabrice Brégier. L’usine devrait, en outre, commencer à assembler ses premiers A320neo, la version remotorisée de l’appareil, à la fin de l’année.

La stratégie d’Airbus pour conquérir cet eldorado tranche avec celle, beaucoup plus prudente, de son concurrent Boeing. Certes, le géant américain va inaugurer en 2018 un centre de finition en Chine pour son monocouloir 737. « Une stratégie de suiveur, qui s’explique par le succès de la nôtre », assène Fabrice Brégier. Mais le groupe de Chicago se refuse toujours à envisager d’installer une ligne d’assemblage sur place. « Nous n’avons aucun projet de ligne d’assemblage en Chine, expliquait fin 2016 à Challenges le PDG de Boeing Dennis Muilenburg. Nous préférons notre modèle économique actuel, que nous pensons plus efficace, à savoir distribuer de grosses charges de travail dans différents pays. Le site de finition du 737 en Chine est un bon exemple. » Boeing mène ainsi la montée en cadence de la production du 737 avec sa seule usine de Renton, près de Seattle, quand Airbus peut s’appuyer sur quatre sites pour l’A320 (Hambourg, Toulouse, Tianjin et Mobile, dans l’Alabama).

Dernière chance de l’A380?

Le marché chinois a de quoi aiguiser les appétits des géants de l’aéronautique. Boeing estime le besoin de la Chine à 7 200 appareils sur les vingt prochaines années, soit un marché de 1 100 milliards de dollars au prix catalogue. Avec 153 appareils livrés en 2016, la Chine représentait déjà à elle seule 22 % des livraisons d’Airbus l’année dernière. Et la tendance devrait se poursuivre: « Nous devrions atteindre environ 200 livraisons en 2017, estime Eric Chen, patron d’Airbus en Chine.

La Chine absorbera le quart de nos livraisons sur les vingt prochaines années. » Le pays représente aussi un des derniers espoirs de commandes d’A380, le super jumbo d’Airbus, en fâcheuse posture commerciale. « L’A380 est un avion idéal pour la Chine, veut croire Fabrice Brégier. Comment comprendre que Dubaï en exploite une centaine, et la Chine seulement cinq? »