Akinwumi Adesina : « Faisons preuve de sagesse lors de la Conférence de Paris ! »

Akinwumi Adesina est président de la Banque africaine de développement (BAD). Il s’est récemment engagé à tripler le financement de la Banque pour la lutte contre le changement climatique d’ici à 2030.

François Hollande et Akinwumi Adesina, président de la Banque mondiale de développement, à Paris, le 10 novembre 2015, à l’issue d’une réunion de préparation de la COP21 à l’Elysée. (Crédits : AP)
François Hollande et Akinwumi Adesina, président de la Banque mondiale de développement, à Paris, le 10 novembre 2015, à l’issue d’une réunion de préparation de la COP21 à l’Elysée. (Crédits : AP)

L’expression « glacial pace » (littéralement « lenteur glaciaire ») – qui fait référence à la lenteur extrême des mouvements millénaires – prend tout son sens dans le contexte du changement climatique. Si la disparition de nos glaciers a bien pu s’être terriblement accélérée, force est de reconnaître que ce sont nos efforts pour enrayer le mouvement qui se sont montrés d’une vraie lenteur glaciaire. Ceci doit changer. Maintenant.

Depuis que le Protocole de Kyoto a vu le jour, nous avons échoué lamentablement à protéger notre planète. Les projections actuelles montrent que la planète est en voie de connaître une élévation de température de près de 3 °C d’ici à 2100. La COP21 est notre dernière chance de renverser la vapeur. Aucun autre continent n’est autant concerné que l’Afrique. Nous savons depuis longtemps que ce continent – qui porte le moins atteinte à l’environnement – est celui qui souffre le plus des dommages causés par autrui. L’Organisation météorologique mondiale a enregistré 1 300 catastrophes naturelles liées au climat en Afrique de 1970 à 2012, qui ont entraîné 700 000 morts et près de 26 milliards de dollars (24 milliards d’euros) de dommages économiques. En 2012, 99 catastrophes ont été répertoriées – soit le double de la moyenne à long terme.

Il y a dix ans, en 2005, lors de la COP11 de Montréal, l’Afrique n’affichait pas de position commune, ni de négociateurs communs. Cette année, pour la COP21, elle dispose d’un Comité des chefs d’Etat et de gouvernement africains sur le changement climatique et d’une équipe d’experts qui compte quelque 200 négociateurs pour le climat ; elle affiche une position dûment élaborée sur les négociations et un programme de travail collectif bien précis, pour encourager un développement à faible émission de carbone et résilient au changement climatique sur le continent.

Un potentiel est à couper le souffle

L’Afrique prend en compte le changement climatique. Et elle vient à Paris chargée d’espoir, mais avec des propositions concrètes. Elle vient, à cette COP21, avec trois « dons » importants au reste du monde pour trois « demandes » de même ampleur. Premièrement, l’Afrique vient avec ses engagements propres et démontre sa volonté de se joindre au reste du monde pour que le changement climatique soit vraiment pris en compte. A ce jour, 53 des 54 pays africains se sont d’ores et déjà acquittés de leurs contributions déterminées au niveau national (Intended Nationally Determined Contributions, INDC). Chaque plan établit ce que chaque pays peut faire, depuis les minuscules Comores, qui s’engagent à réduire leurs émissions de 85 % en quinze ans, à l’Ethiopie, qui a annoncé des plans pour réduire de 64 % la croissance de ses émissions sur la même période.

En matière de réduction d’émissions, les pays africains ont fait preuve de plus grandes ambitions que les pays les plus pollueurs. En deuxième lieu, l’Afrique offre le cadeau – à elle-même et à la planète – que sont ses immenses ressources en énergies renouvelables. Ce potentiel est à couper le souffle : le continent peut fournir 11 térawatts d’énergie solaire et 1 300 gigawatts d’énergie éolienne. Ces ressources, si elles sont gérées de façon optimale et responsable, peuvent résoudre les problèmes d’énergie non pas de l’Afrique seulement, mais aussi d’autres pays, voisins ou éloignés. Enfin, en troisième lieu, l’Afrique offre au monde une part des « aspirateurs » atmosphériques gigantesques que sont ses forêts tropicales naturelles. Elle recèle, en effet, 650 millions d’hectares de forêts préservées, soit près d’un cinquième de la réserve mondiale. Ces « puits » de carbone peuvent aspirer 1,2 milliard de tonnes de dioxyde de carbone par an – soit près de la moitié des émissions de dioxyde de carbone de tous les foyers nord-américains. Et ce, malgré la menace de la déforestation et de la dégradation des forêts. Si nous savons préserver nos forêts, dans le bassin du Congo par exemple, nous pouvons absorber davantage de dioxyde de carbone, le nôtre et celui du reste du monde.

Boucler la boucle vertueuse

Mais l’Afrique cherche aussi, bien sûr, le soutien matériel de la communauté internationale. Elle a trois « demandes » à présenter à la COP21, pour venir ainsi boucler cette boucle vertueuse. Premièrement, l’Afrique sollicite un financement approprié – 11 milliards de dollars par an au minimum – pour l’aider à s’adapter au changement climatique. Seuls 4 % de la totalité du financement mondial alloué à l’adaptation (jusqu’à 2 milliards de dollars) vont in fine à l’Afrique – une situation qui exige une réforme immédiate. L’Afrique, déjà perdante en matière de changement climatique, ne saurait l’être aussi s’agissant du financement lié au climat. Les communautés qui ont le moins contribué au changement climatique ne peuvent pas être celles qui paient le plus lourd tribut face aux mouvements de défense que nous oppose notre Terre nourricière. Tandis que nous écrivons ces lignes, le sud et l’est de l’Afrique souffrent d’inondations et de sécheresses provoquées par le pire El Niño de ces dernières décennies – des vents chauds soufflent sur des eaux chaudes.

Deuxièmement, l’Afrique invite le monde entier à se joindre à elle, en investissant au moins 55 milliards de dollars par an dans son secteur de l’énergie, ce, jusqu’en 2030. Pourquoi ? Surtout parce que cela offrirait le plein accès à l’énergie à plus de 600 millions d’Africains qui en sont privés aujourd’hui. Un accès inégal à l’énergie signifie des inégalités en termes d’emplois, de santé et d’éducation. Cela signifie une qualité de vie moindre. La pénurie d’énergie a mis un frein au développement de l’Afrique.

Mais pourquoi le reste du monde devrait-il adhérer ? Parce qu’en développant une énergie propre en Afrique, nous allons, tous ensemble, éliminer des milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Et parce que, au vu des retours sur investissement des énergies renouvelables, ce sont des millions de dollars que nous allons insuffler ainsi, tous ensemble, dans de nouvelles opportunités économiques. Prenez le projet d’énergie solaire à Ouarzazate, au Maroc : non seulement il a généré 510 MW pour raccorder 1,1 million de personnes, mais il a aussi contribué à réduire le dioxyde de carbone libéré dans l’atmosphère de 760 000 tonnes par an et offre une rentabilité financière de près de 12 % à ses investisseurs nationaux et internationaux.La troisième et dernière « demande » est la suivante : que les pays du monde entier réévaluent les exigences qu’ils s’imposent les uns aux autres. Limiter la hausse mondiale de la température à 2 °C n’est pas assez : nous demandons, aux côtés du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de réviser cet objectif pour la limiter à 1,5 °C. Le continent des proverbes nous rappelle qu’« en temps de crise, le sage construit des ponts ». Nous sommes effectivement en crise, et l’Afrique invite le reste du monde à se joindre à elle pour bâtir des ponts vers un monde meilleur. Faisons preuve de sagesse lors de la Conférence de Paris !