Avoir un compte en banque, c’est comme avoir téléphone portable à Kinshasa

Les institutions financières font une percée dans le pays. Qu’il s’agisse des établissements commerciaux ou des coopératives d’épargne et de crédit, la confiance renaît peu à peu après deux décennies désastreuses. Décryptage.

Il y a du nouveau dans le système financier national. Hier cantonnées dans leur tour d’ivoire du centre-ville, les banques commerciales sont aujourd’hui descendues dans l’arène, là où le cash circule. À travers des services et des produits traditionnels ou innovants, elles se ruent dans les quartiers populaires où campe l’économie informelle devenue la principale composante de l’économie nationale. Si, hier, c’étaient les clients qui les pourchassaient, aujourd’hui, les rôles sont inversés : les banques courent comme des gazelles derrière les clients devenus des véritables rois. C’est un signe que le centre réel des affaires s’est déplacé de la Gombe vers la périphérie où des sommes importantes d’argent sont brassées quotidiennement. Cependant, ceux qui les détiennent ne savent quoi en faire.

Une stratégie payante

Les banques ont désormais des guichets ouverts partout à Kinshasa et s’emploient à être présentes dans l’arrière-pays. Cette stratégie est payante au regard des résultats enregistrés. À Kinshasa, avoir un compte en banque, pourrait, à la longue, ressembler au fait d’avoir un téléphone portable, c’est-à-dire un phénomène banal. Selon les statistiques publiées par la Banque centrale du Congo (BCC), le secteur bancaire congolais amorce une nette reprise d’activités. On compte 2,9 millions de comptes en banque (3,7 milliards de dollars de dépôts et 2,27 milliards de crédits en 2015 contre respectivement 90 millions et 30 millions en 2001). Malgré ce fort développement, le nombre de personnes bancarisées reste inférieur à 6 %.

Entre 2006 et 2010, il y a eu une évolution sensible avec un quasi-doublement de tous les indicateurs. La récession de 2008 tant crainte n’a pas eu un grand impact sur le secteur dont la production a continué à progresser. C’est ainsi que, en 2010, le chiffre d’affaires total de tout le secteur était passé de 750 millions à 2,126 millions de dollars, les encours de crédits globaux de 157 millions à 713 millions de dollars, les dépôts de 540 millions à 1,553 millions de dollars, les capitaux permanents qui mesurent la solidité financière d’une entreprise, de 84 millions à 355 millions de dollars et enfin, les produits bancaires de 119 millions à 200 millions de dollars. Les hausses de ces cinq variables étaient respectivement de 183 %, 354 %, 188 %, 323 % et 68 %. Les ratios de rentabilité financière (ROE) et de rendement (ROA) avaient enregistré au cours de la période sous revue des taux de croissance positifs. Le premier de 56 %, en 2006, était passé à 142 % et le second de 9,4 % à 15,9 %. Pour le ROE, la palme de performance était revenue à la Banque internationale pour l’Afrique centrale (BIAC), suivie par la Banque internationale de crédit (BIC), la Banque commerciale du Congo (BCDC), Procrédit, Access Bank, STD, Ecobank, Citi, Rawbank, Fibank, TMB, AFRL, Byblos, Advans bank, MBANK, SFB, BOA et BGFI.

Un Big Push

S’il n’y a pas eu de big bang pour expliquer ces résultats, il y a eu néanmoins un big push dont l’onde de choc est partie du Dialogue intercongolais de Sun City, en Afrique du Sud, en 2002, lorsque le territoire national a été réunifié. Ce qui a permis aux banques dont les activités étaient cantonnées à Kinshasa,  Lubumbashi et Matadi de rouvrir progressivement leurs succursales et leurs agences prises en otage par les chefs de guerre. Par ailleurs, la politique libérale de la BCC en matière d’agrément des établissements bancaires – une dizaine en 2010 – a favorisé l’arrivée de nouvelles banques sur le marché. Celles-ci font un forcing pour capter une épargne nationale dont les deux tiers circulent encore dans l’informel.

Avec les efforts de marketing que déploient les banques pour la collecte de l’épargne, la méfiance du public cède la place à la confiance. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) chiffre à plus ou moins 4 milliards de dollars la grande masse monétaire qui continue à circuler hors banque du fait du taux d’inclusion financière qui est en deçà de 10 %. Le système bancaire est encore fragile comme l’a révélé, en 2010, le naufrage de la Banque Congolaise, alors deuxième banque commerciale du pays avec 15 % du marché bancaire. Les banques congolaises sont dans l’ensemble surliquides. En effet, le ratio crédits/dépôts est passé de 29 % à 46 % entre 2006 et 2010.

Il y a pourtant un paradoxe : chaque opérateur économique qu’on rencontre se plaint de ne pas avoir un accès facile au crédit. Et lorsqu’il s’agit d’un autochtone, il se plaint de l’expatrié à qui les banques n’hésitent pas à accorder un crédit. À leur décharge, les banques instruites par l’histoire des crédits non remboursés sont plus regardantes avant de délier leur bourse. La sous-utilisation des dépôts explique aussi le faible produit net bancaire qu’elles récoltent, mais aussi le manque de culture bancaire pour certains opérateurs, notamment les petites et moyennes entreprises (PME).

Entre 2006 et 2010, le produit de l’ensemble du secteur a évolué de 119 millions à 200 millions de dollars, soit un taux d’accroissement de 168 %. La deuxième tare du système bancaire congolais est sans doute sa faible capitalisation. Le montant total est passé de 84 millions à 355 millions de dollars, soit une hausse de 323 %. Cette hausse s’explique par l’agrément d’une dizaine de banques. Avec des dépôts de 1,553 milliards de dollars, en 2010, les banques ne possédaient que 355 millions de dollars de capitaux, soit un taux de couverture de 23 %, loin du tiers qu’exigent les ratios de Cooke de Bales.

Opération de charme

Ceci expliquant cela, il semble que c’est l’une des raisons qui avait poussé la Banque centrale à augmenter le capital de constitution d’une nouvelle banque de 5 à 10 millions de dollars. La crise des liquidités née dans les années 1980, qui avait provoqué la désertion des guichets bancaires, et le phénomène de thésaurisation semble être un lointain souvenir. Grâce à la dollarisation de l’économie, dont la conséquence est la circulation concomitante de la monnaie nationale et la devise américaine, le spectre de la pénurie de billets de banque a été émoussé.

Beaucoup reste à faire pour bancariser le plus de citoyens possibles. La bataille cruciale à livrer par ce secteur dans tout le pays est sans doute celle de persuader les Congolais de répondre à l’offre des services financiers à la suite de multiples traumatismes provoqués par l’opération Alpha de démonétisation des billets de banque de 1979, la crise en cascade des Coopératives d’épargne et de crédit, l’opération à haut risque Bindo Promotion et consorts,  la crise de liquidités des années 1990, le non remboursement des bons du Trésor échus.