Bailleurs, locataires et commissionnaires défient l’Hôtel de ville

Innombrables, pas toujours légales, les agences du secteur ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Dans la même veine, les propriétaires et ceux qui accèdent à leurs logements n’en font qu’à leurs têtes, ignorant la réglementation. Payer l’impôt sur le revenu locatif n’est plus qu’une chimère.  

Le boom immobilier constaté à Kinshasa depuis une décennie n’a rien résolu : pour le  Congolais lambda, trouver un logement est un casse-tête, une gageure, plus que jamais. Les s petites maisons deux-pièces se raréfient.  En revanche, des immeubles d’un standing élevés sortent chaque matin du ventre de la terre, y compris dans des quartiers traditionnellement pauvres. Pendant ce temps, le nombre d’agences immobilières accroît à un rythme vertigineux dans tous les quartiers de la ville. Il faut, cependant, séparer le bon grain de l’ivraie. En effet, certaines agences « sans papiers », fonctionnent en toute illégalité sous des arbres ou au coin d’avenues. D’autres, par contre, bien que reconnues par l’autorité municipale, travaillent avec des documents périmés ou en voie d’expiration. Dans tous les cas, c’est le règne de l’illégalité.

Néanmoins,  une infime minorité de ces commissionnaires sort du lot. Ils détiennent effectivement tous les documents requis pour fonctionner. Par documents, selon le nouveau président national de l’Association des agences immobilières (Assimo), Paulin Nikoli, il faut entendre la fiche d’identification d’une agence, qui coûte 46 000 francs congolais, 50 dollars, et la fiche d’identification individuelle d’un commissionnaire sans agence, qui s’obtient  moyennant 9 200 francs, soit 10 dollars. Ces documents sont dûment signés et délivrés par le chef de la division urbaine de l’Habitat. Leur présentation autorise le président de l’Assimo à délivrer aux membres ainsi identifiés la carte de courtier dont la validité est d’une année, au prix de 9 200 francs.

Selon Popole Mbala, membre du cabinet du ministère provincial  des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de  l’Habitat, « la ministre provinciale, Nephtalie Idia Mukumukira, a déjà demandé aux locataires et bailleurs d’exiger des commissionnaires les documents ad hoc, car tout commissionnaire doit se faire enregistrer et avoir l’autorisation d’opérer dans le secteur ».

Commissions perçues en violation de la loi

La pénurie de logements dans la capitale congolaise a donné lieu à la spéculation, à la surenchère ainsi qu’à divers abus dans les rapports du trio bailleur- locataire-commissionnaire. Pour mettre fin à tous les abus observés, le gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta Yango, a signé en mai 2013 un arrêté réglementant les baux à loyer. Mais ce texte  violé au quotidien par les bailleurs et les commissionnaires. Le cas des commissions perçues par les intermédiaires auprès de futurs locataires est éloquent. « Le locataire est tenu de retenir à la source la quotité du loyer due pour le paiement de l’impôt sur le revenu locatif et de s’en acquitter au plus tard le dixième jour du mois qui suit…Le bailleur, quant à lui, est tenu de s’acquitter, à la fin de chaque exercice, du solde restant dû de l’impôt sur le revenu locatif », stipule le contrat de bail.

Jean Prospère Tshikupela, secrétaire communal adjoint de l’Assimo/Gombe, reconnaît qu’à Kinshasa les commissionnaires perçoivent abusivement des locataires l’équivalent d’un mois de loyer. Le conseiller immobilier impute cet abus, d’une part, à l’ignorance des textes par les locataires et, d’autre part, au laxisme  des autorités communales chargées pourtant d’appliquer l’arrêté du gouverneur.  Il s’insurge par ailleurs contre les  bailleurs qui exigent des conseillers immobiliers une quote-part de la commission perçue de la part des locataires.

Un désordre dénoncé

De l’avis de Lazard Mosu Makanda, chef de service au bureau des contentieux à la commune de Ngiri-Ngiri, le désordre constaté chez les commissionnaires serait surtout le fait des moutons noirs de la profession et de propriétaires. Ces derniers, ainsi que certains sans emploi qui s’improvisent commissionnaires sans en remplir les conditions requises sont à la recherche du « gain facile». Les bailleurs soutiennent que les commissionnaires gagnent facilement de l’argent sur leur dos, oubliant que « la marchandise » leur appartient. C’est le cas d’Alphonsine Mayemba, de la commune de Lingwala : « Je ne vois aucun mal si j’exige ma quote-part  sur la commission perçue sur un bien qui m’appartient de droit et que je mets en location. Nous  pouvons d’ailleurs nous passer des courtiers et trouver nous-mêmes des clients, d’autant que la demande est de plus en plus croissante ».

Un autre appât pour les intrus dans la corporation, soutient Mosu Makanda, ce sont les « frais de déplacement » exigés par tous les commissionnaires avant tout mouvement vers le bien à louer, virtuel ou réel, recherché par les  clients.  Pour  Jean-Pierre Tshikupela, 30 dollars sont versés à ceux qui ont une agence reconnue et 10 dollars à ceux qui n’ont pas d’agence, au titre de droit de visite d’un deux-pièces dont le loyer est fixé à 368 000 francs, soit 400 dollars dans la commune de la Gombe. Pour un logement de plus de 1 000 000 de francs, c’est-à-dire 1000 dollars, les frais de déplacement passent à 46 000 francs congolais, l’équivalent de 50 dollars pour la première catégorie, et 27 600 francs, environ 30 dollars pour la seconde.

Un commissionnaire indépendant, qui travaille avec une agence immobilière, se dit favorable à la mise en application des textes régissant le secteur pour redorer le blason terni de la profession. Il accuse les bailleurs et les faux commissionnaires de semer le désordre en s’évertuant  à vendre illégalement des propriétés d’autrui et de contribuer, ainsi, à jeter l’anathème sur la profession. « L’argent équivalant à un mois du coût du loyer devrait en principe revenir aux commissionnaires. Mais les bailleurs, au lieu de se contenter de la caution qui leur revient de droit, exigent désormais aux conseillers immobiliers de partager avec eux les frais de commission. En cas de vente d’une propriété, ils exigent 3% à 5% de la commission due au commissionnaires », souligne-t-il. Pire, renchérit-il, « les bailleurs imposent et improvisent les membres de leurs familles comme co-commissionnaires afin de prendre une partie de la commission. En cas de refus du commissionnaire, le client qu’il propose est écarté. Cette attitude crée un manque à gagner pour nous ». Pour lui, « au lieu que les bailleurs lieu que les bailleurs prélèvent 3%  sur nos commissions, nous préfèrerions que cet argent soit versé dans les caisses de l’État ».

Les termes du contrat de bail piétinés 

Le vice-gouverneur de Kinshasa, Clément Bafiba, avait lancé officiellement, le 16 octobre 2013, le nouveau contrat de bail type. À cette occasion, il avait déclaré que cet instrument permettrait, dans le domaine de la fiscalité, de recadrer l’impôt sur le revenu locatif (IRL) et faciliterait la traçabilité de cette source de recettes.  À cette occasion, la ministre provinciale des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de l’Habitat avait soutenu que l’IRL permettrait à la ville d’identifier les locataires et les bailleurs. Ce contrat, selon un communiqué publié le 29 juillet 2014 « est vendu à 7 500 francs auprès des communes ou des divisions urbaines de l’Habitat, selon le cas ».  La garantie locative à verser au bailleur est fixée à trois mois pour un immeuble à usage résidentiel, à six pour un immeuble à usage commercial, et à douze pour un immeuble à usage industriel ou socio-culturel.

Mais, dans la pratique, le contrat de bail est malmené. Les commissionnaires pointent du doigt les bailleurs, qu’ils accusent d’être à la base de cette situation. Car, ayant déjà  pris l’habitude d’exiger 10 voire 15 mois de garantie, ils refusent catégoriquement de revenir aux trois mois de garantie fixés par la loi. Ils arguent que « l’État ne leur a pas construit de maisons pour les contraindre à percevoir une garantie fixée par lui. En outre, les mêmes autorités, propriétaires de nombreux immeubles dans la ville, font payer très cher le loyer au mépris de leur propre loi. Par conséquent, les gouvernants doivent d’abord appliquer eux-mêmes la loi avant de penser à asphyxier financièrement les gouvernés ».

La peur de l’impôt 

Il existe, néanmoins, un problème, qu’il ne faut pas éluder : l’impôt. Conformément à l’arrêté relatif aux baux à loyer dans la ville de Kinshasa, le nouveau contrat de bail contraint les bailleurs à payer l’impôt sur le revenu locatif. Cet impôt n’enchante nullement les concernés.  « Sur mon avenue, un seul  bailleur s’est acquitté de son devoir civique. Nous n’avons jamais vécu ça dans ce pays. C’est la toute première fois », constate un Kinois. De son côté, une bailleresse ironise : « Pourquoi acheter ce contrat alors qu’en plus de l’argent à débourser pour l’achat, la commune compte encore nous extorque quelques francs sur le loyer perçu à la fin de chaque mois ? » Les éducateurs civiques ont du pain sur la planche face à des interlocuteurs de moins en moins réceptifs. À l’Hôtel de ville de démontrer à quoi servent les impôts et taxes perçus afin de convaincre les propriétaires à rendre à César ce qui est à César.