Bouquiniste, une façon de gagner sa vie

L’instinct de survie a favorisé l’éclosion d’un certain nombre de métiers dans l’informel. Vendre des livres d’occasion est de ceux-là. Et cela marche. 

Une librairie catholique place Victoire, dans la commune de Kasa-Vubu.
Une librairie catholique place Victoire, dans la commune de Kasa-Vubu.

Il suffit de parcourir certaines artères de la capitale pour s’en rendre compte : les bouquinistes sont bien là. Depuis des années, ils vendent à ceux qui ne peuvent pas s’acheter un livre neuf dont l’utilité est indiscutable. Partout, leur marchandise est étalée à même le sol. Les intempéries, le soleil et la poussière ne les épargnent pas. Parmi eux, Florent Masada, la quarantaine, bouquiniste depuis le milieu des années 1990 au Pont Kasa-Vubu, à Lingwala. À l’en croire, l’activité a commencé à cet endroit en 1978. En dépit des différentes mesures déjà prises par l’Hôtel de ville contre tous ceux qui vendent le long des grandes artères de Kinshasa, les bouquinistes résistent et refusent de mourir. D’autant que, grâce à eux, beaucoup de livres introuvables dans les librairies sont miraculeusement disponibles.

La rentrée scolaire est  la seule période de l’année où nous vendons beaucoup. Les livres scolaires sont tellement demandés que nous augmentons les prix pour faire des bénéfices.

Un bouquiniste

Les clients des bouquinistes se retrouvent dans les différentes classes sociales. Mais la cible principale reste les plus démunis. « Nous exerçons ce métier pour aider les lecteurs congolais qui n’ont pas assez de moyens pour acheter des livres dans les grandes librairies », explique Masala. Conscient que le prix du livre est prohibitif pour le commun des Congolais, le jeune bouquiniste pense que « la librairie par terre » est une solution au problème de l’accès au livre et à la lecture. Il a constaté, au fil des ans, que les chrétiens, les juristes et d’autres  chercheurs dans le domaine du droit, les étudiants, les élèves du primaire et du secondaire, constituent l’essentiel de la clientèle. « Nous n’aimons jamais manquer de livres de droit car ils nous rapportent plus que tous les autres. » Mais il n’y a pas que le droit. « Les élèves nous sollicitent pour acheter des romans lorsqu’ils doivent faire un exposé ou un autre devoir de français qui nécessite la lecture d’un roman », explique le bouquiniste. La période la plus rentable est celle de la rentrée scolaire. « C’est la seule période de l’année où nous vendons beaucoup. Les livres scolaires sont tellement demandés que nous augmentons les prix pour faire des bénéfices », nous confie un bouquiniste exerçant son activité devant la librairie Saint-Paul, sur l’avenue du Commerce, à la Gombe. Les prix varient selon la qualité du livre recherché par l’acheteur. Contrairement aux librairies, les bouquinistes offrent à leurs clients l’opportunité de marchander. Le livre le plus cher, selon Florent Masala, coûte environ 50 dollars. Trouvaille originale pour les clients fidèles : louer des livres et les emporter chez eux le temps de la consultation et les rendre dans les délais fixés dans le « contrat ».

Les « libraires par terre » s’approvisionnement auprès des grandes librairies et des particuliers. Marc Eloria, vendeur sur l’avenue du Commerce, affirme qu’il achète sa marchandise à la librairie Saint-Paul, qui applique une réduction pour tout achat de plus de cinq ouvrages. Ce qui explique que le même livre vendu à 10 000 francs dans les librairies peut coûter 8 500 francs chez les bouquinistes. « Nous ne perdons rien parce que nous savons comment récupérer de la main gauche ce que la droite a donné. Ce même livre acheté à 8 500 francs par un client qui ne sait pas marchander peut être pris à 1500 francs par un autre. Ce genre de clients sont nombreux, car ils n’ont pas le temps d’aller dans une librairie classique », commente Marc Eloria. « Il y a aussi des gens qui viennent nous solliciter pour nous vendre des livres difficiles à trouver sur le marché, parce qu’ils deviennent encombrants. D’autres, par crainte de voir les souris détruire leurs ouvrages, décident carrément de s’en débarrasser en nous les vendant à bas prix. Comme ils sont dans le besoin, nous en profitons pour imposer nos prix en fonction de la qualité de la marchandise», ajoute le bouquiniste.