CAN 2015: Le temps des interrogations

La plus grande fête sportive du continent s’est terminée, le 8 février, en Guinée-Équatoriale. Si elle n’a pas tenu toutes les promesses au niveau du jeu, elle a permis néanmoins de soulever un certain nombre de problèmes qui minent le développement du sport roi.

Le milieu de terrain Yaya Touré, capitaine des Eléphants, brandissant le trophée après la victoire.
Le milieu de terrain Yaya Touré, capitaine des Eléphants, brandissant le trophée après la victoire.

Elle aura été longue la nuit moite de Bata, la deuxième ville de la Guinée-Équatoriale, lors de la finale de la 30ème Coupe d’Afrique des nations entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. À la fin du temps réglementaire, aucune des deux sélections n’ayant marqué le moindre but, il a fallu aller aux prolongations pour les départager. Là encore, le score est resté désespérément vierge. Ultime recours, les tirs aux buts.  Au bout du suspense, le hasard choisit son camp : les Éléphants ivoiriens réussissent à convertir neuf tirs contre huit pour les Black Stars du Ghana, et se hissent pour la deuxième fois de leur histoire sur le toit du continent. L’homme le plus heureux de la longue nuit équato-guinéenne a sans doute été le Français Hervé Renard, sélectionneur de l’équipe ivoirienne. Lors de la finale de la CAN 2012, l’équipe qu’il entraînait à l’époque, la Zambie, l’avait emporté sur…la Côte d’Ivoire, au terme d’une séance de tirs aux buts. L’histoire retiendra que, pour la huitième fois, la Coupe d’Afrique des nations a été remportée par une équipe qui s’est imposée après des tirs aux buts. Et aussi que le record du Zaïrois Ndaye Mulamba, auteur de neuf buts lors d’une phase finale, n’a toujours pas été battu.

Une CAN des miracles 

La 30ème édition de la plus grande compétition sportive du continent a failli ne pas avoir lieu à la suite de l’attitude du pays organisateur initial, le Maroc, qui avait sollicité un report auprès de la Confédération africaine de football (CAF) par crainte de voir le virus Ebola, qui touchait certains pays subsahariens, se répandre sur son territoire. Malgré le refus de l’instance suprême du football africain, le royaume chérifien est resté sur sa position. Ce qui a conduit au recours à la Guinée-Équatoriale. Mais la peur du virus Ebola était-elle la vraie raison de la volte-face des Marocains ? Selon certaines sources, le Maroc était tout simplement en retard par rapport au calendrier et tout ne pouvait pas être prêt dans les délais. Est-ce pour cela que Rabat a limogé, en janvier, Mohamed Ouzzine, le ministre des Sports ? « C’est plausible », indique un observateur qui a suivi le dossier. C’est dans ces conditions que la Guinée-Équatoriale, disqualifiée dans la phase éliminatoire de la compétition pour naturalisation douteuse d’un joueur, a été appelée à la rescousse afin de remplacer, au pied levé, le Maroc. Malgré cette improvisation, Malabo semble avoir réussi son pari, si l’on tient compte du fait que le temps de la préparation pour organiser la compétition dans les meilleures conditions n’a été que de deux semaines. Heureusement pour la CAF, le petit État d’Afrique centrale avait coorganisé, avec le Gabon, la CAN 20012. Cette expérience a servi à quelque chose.

Le rendez-vous des meilleurs 

Malgré l’absence de certains grands pays du football africain comme le Nigeria, l’Égypte et le Maroc, qui à eux trois ont remporté le plus de finales de la CAN, la plupart des nations présentes en Guinée-Équatoriale occupent un rang plus qu’honorable dans le dernier classement de la Fédération internationale de football (Fifa) publié en janvier. Sur 209 équipes nationales, l’Algérie, premier pays africain, est classée 18e mondial. Elle est suivie de la Tunisie (22e) ; de la Côte d’Ivoire (28e) ; du Sénégal (35e). Viennent ensuite le Ghana (37e) ; la Guinée (39e) ; le Cap-Vert (40e) ; le Cameroun (42e) ; le Mali (49e) ; la Zambie (50e) ; l’Afrique du Sud (52e) ; la République démocratique du Congo (57e) ; le Congo (61e) ; le Gabon (62e) ; le Burkina Faso (64e) et la Guinée-Équatoriale (118e). Au vu de ce classement, il est indéniable que les équipes nationales qui se sont retrouvées en Guinée-Équatoriale sont parmi les mieux classées au monde. Certaines ont défendu leur rang, d’autres pas.

Peuvent mieux faire 

Le classement de la Fifa montre bien que le football africain n’est plus à la traîne par rapport au reste du monde. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de footballeurs originaires du continent font le bonheur de plusieurs clubs européens, notamment. Un certain nombre d’entre eux a participé à la CAN en Guinée-Équatoriale. Mais la prestation des uns et des autres a suscité moult interrogations de la part des spectateurs et des téléspectateurs. On a vu, particulièrement lors de la phase des poules, une stérilité étonnante des attaquants, ainsi que, de façon générale, un manque de prouesse tactique, de maîtrise du ballon, une imprécision quasi générale dans la finition. D’où cette multiplicité de matchs nuls. Était-ce dû à l’incompétence des joueurs, à un éventuel mauvais état des terrains équato-guinéens, à une économie des efforts en attendant une qualification au tour suivant ? La réponse n’est pas évidente. Une certitude cependant : les marqueurs de buts ont été plus que maladroits.

Ni amateurs ni professionnels         

L’un des plus grands changements observés dans le football africain ces dernières années se situe au niveau des clubs. Alors que l’Europe était la destination préférée des footballeurs en quête d’un avenir meilleur, de plus en plus de joueurs du continent trouvent preneurs dans des équipes africaines. S’il faut parler d’intégration africaine, c’est sans doute l’un des meilleurs exemples. Mais ce qui n’a pas changé, c’est le statut ambigu des footballeurs évoluant en Afrique. Sont-ils professionnels, semi-professionnels ou, tout simplement, amateurs ? En réalité, ce sont des professionnels parce qu’ils n’ont pas d’autre métier. Dans les faits, ils sont considérés comme des amateurs recrutés dans des clubs pauvres, sans plan de développement. Sans contrat de travail ni aucune assurance, ils vivotent grâce à la « générosité » du propriétaire ou du président de l’équipe. Il y a, finalement, deux catégories de joueurs : ceux qui  vivent pleinement du football en tant que professionnels et ceux qui ne sont ni amateurs ni professionnels, mais entre les deux. Mais quand ils se retrouvent tous dans une équipe nationale, ils ont du mal à être au diapason. C’est pourquoi le football africain a besoin de managers capables de le transformer en quelque chose de productif, une source de revenus pour tous ceux qui ont décidé d’y consacrer leur vie, au lieu de continuer à le considérer comme une simple activité ludique. Un football sans moyens, sans statut à un certain niveau, c’est du bricolage. Même si les clubs, comme par enchantement, obtiennent de temps à autre des résultats positifs. Dans certains pays, heureusement, la professionnalisation est en train de devenir une réalité. Mais le chemin reste très long. Dans le Projet cadre de politique sportive pour l’Afrique 2008-2018 de l’Union africaine, on peut lire ce jugement sans appel : « Le sport en Afrique est en proie à la mauvaise organisation, aux tricheries, à la corruption, aux détournements de fonds, aux conflits d’intérêt, à la violence, au racisme, à l’intolérance, aux scandales, qui sont tributaires de la superstition, du chauvinisme et de l’influence de l’argent. Par ailleurs, ces problèmes sont une entrave au développement du sport, notamment en ce qui concerne une plus grande participation et la mise à disposition d’équipements et de structures sportives. » Dans le football, en particulier, ce qui compte pour les dirigeants ce n’est pas l’excellence mais ce qu’ils peuvent en tirer sur le plan financier.

La problématique des sélectionneurs étrangers

Tout le monde l’a vu : sur les seize sélectionneurs présents en Guinée-Équatoriale, treize étaient étrangers et trois seulement Africains. La France était bien représentée par six entraîneurs : Claude Leroy (Congo-Brazzaville); Hervé Renard (Côte d’Ivoire) ; Jorge Costa (Gabon) ; Michel Dussuyer (Guinée) ; Alain Giresse (Sénégal) ; Christian Gourcuff (Algérie). Il y avait deux entraîneurs belges : Paul Put (Burkina Faso) et Georges Leekens (Tunisie). Le Polonais Henryk Kasperczak cochait le Mali ; l’Allemand Volker Finke le Cameroun ; l’Israélien Avram Grant le Ghana ; le Portugais Rui Aguas le Cap-Vert ; tandis que l’Argentin Esteban Becker était à la tête de la sélection équato-guinéenne. Les trois Africains sont Ephraim Mashaba (Afrique du Sud) ; Honour Janza (Zambie) et Jean-Florent Ibenge (République démocratique du Congo). Cette surreprésentation des entraîneurs étrangers dans une compétition africaine – une première depuis vingt ans – a suscité de nombreuses réactions. Pour le Nigérian Stephen Keshi, qui a remporté une CAN et conduit son pays à la dernière Coupe du monde au Brésil, c’est le football africain en tant que tel qui est menacé. Dans une déclaration à l’Agence France Presse, il a dit : « Je n’ai rien  contre les entraîneurs européens, mais les fédérations et les pays africains devraient se montrer patients avec leurs propres techniciens. Ils pensent qu’ils nous font une faveur en nous faisant travailler. Mais c’est une manière de tuer le football en Afrique. Il y a énormément de joueurs qui reviennent à la fin de carrière et qui aimeraient entraîner dans leurs pays, mais ils n’en ont pas la possibilité. » L’ancien gardien de l’équipe nationale du Cameroun, Joseph-Antoine Bell, va plus loin : « Malgré tout ce qui est dit depuis de nombreuses années, le nombre d’entraîneurs étrangers ne cesse d’augmenter en Afrique. En Afrique, un Européen remplacera un Européen. Eux, ils ont le droit d’être mauvais. Les entraîneurs africains, non. On le vire quand il a été mauvais, et parfois lorsqu’il a été bon, pour prendre un Européen derrière. C’est donc un problème de mentalité. Et ce n’est pas un problème propre au football. Cette attitude-là on la retrouve dans beaucoup d’autres domaines. » On assiste à un phénomène important : l’absorption par l’Afrique des excédents de techniciens européens. L’un d’eux, Claude Leroy, qui a entraîné beaucoup de sélections du continent, pense que c’est une question de formation. « C’est un problème de philosophie. Quand on passe des diplômes en France, ça dure dix ans, physiologie, pédagogie, management, langues étrangères, c’est beaucoup de travail et de temps pour avoir le diplôme le plus élevé.» Et il ajoute une autre dimension, celle du manque de considération des officiels africains envers leurs propres compatriotes. « Moi, personne ne peut interférer dans mon travail, je serais furieux. La dernière décision est toujours la mienne. Mais les entraîneurs africains ressentent une grosse pression, le président de la fédération vient sur le terrain et leur dit de faire tel changement. Il faut leur laisser la complète responsabilité. Le gros problème, c’est le respect des entraîneurs locaux en Afrique. » Quant à Hervé Renard, la solution est simple : « Pour les équipes nationales, on devrait avoir des entraîneurs issus du pays. Ce serait très bien d’instaurer la règle. » Mal payés par rapport à leurs homologues étrangers, souvent sans moyens et confrontés à de sérieux problèmes de logistique pour mener à bien leur mission, les entraîneurs doivent également faire face à une certaine catégorie de joueurs qui ne les prennent pas au sérieux et n’hésitent pas à contester leur autorité. Les choses pourront peut-être évoluer de façon positive le jour où l’Afrique aura des écoles de formation d’entraîneurs ou lorsque les plus célèbres de ses enfants qui ont eu des carrières brillantes à l’étranger se transformeront à leur tour en techniciens de haut niveau. En attendant, ils ne sont pas prophètes chez eux. Dans le classement de l’International Federation of Football History and Statistics, le premier entraîneur africain est classé soixante-dixième sur le plan mondial. Quant à la prochaine CAN, rendez-vous en 2017. Où ? Les paris sont ouverts.


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Le cas Ibenge

Contre toute attente, le sélectionneur des Léopards a réussi un véritable exploit en terminant la compétition sur la troisième marche du podium en Guinée-Équatoriale. Si son équipe avait été un peu plus concentrée et audacieuse, elle aurait pu créer la surprise. Pourtant, Jean-Florent Ibenge est une parfaite illustration du manque de considération qui caractérise certains responsables, qu’ils soient ministres ou présidents de fédérations. Nommé à la tête des Léopards et également entraîneur de l’Association sportive Vita Club qui est arrivée en finale de la Ligue des champions de la CAF, il a attendu de très longs mois avant d’être payé parce que son dossier s’était « égaré » entre deux ou trois ministères. Comme si cela ne suffisait pas, le président de la Fédération congolaise de football association (Fécofa) ne s’était pas gêné de déclarer qu’il n’a jamais été demandé à Ibenge de qualifier les Léopards à la phase finale de la CAN, mais seulement de monter une équipe. Réussir est donc une hérésie. Même son salaire, quelque 18 000 dollars, n’est pas à la mesure de ses compétences. S’il avait été étranger, il aurait sans doute été mieux traité.