Chine-Afrique, le désenchantement

Des ingénieurs chinois et kenyans travaillent sur le chantier de la voie ferrée reliant Nairobi à Mombasa, dont l’inauguration est prévue en 2016 (Crédits : CORBIS)
Des ingénieurs chinois et kenyans travaillent sur le chantier de la voie ferrée reliant Nairobi à Mombasa, dont l’inauguration est prévue en 2016 (Crédits : CORBIS)

La « Chine-Afrique » a connu des périodes plus flamboyantes. Au premier semestre, les investissements chinois sur le continent africain ont plongé de plus de 40 % à 1,2 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros). Les importations chinoises ont suivi le même mouvement (- 43 %) et, pour la première fois, la Chine affiche avec l’Afrique un excédent commercial important qui reflète, a contrario, les difficultés africaines. Le 6e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), qui s’est ouvert, vendredi 4 décembre, à Johannesburg (Afrique du Sud), porte la marque de cet environnement moins porteur.

Les représentants de la quasi-totalité des 54 pays africains et des principales organisations panafricaines ont fait le déplacement pour rencontrer Xi Jinping et sa délégation fournie de ministres, de banquiers et de chefs d’entreprise. A l’heure où le ralentissement de l’économie mondiale – et chinoise – et la fin du boom des matières premières accroissent la vulnérabilité et l’endettement de nombreux pays africains, pas question pour leurs dirigeants de rater une occasion de rencontrer le numéro un de l’empire du Milieu. A charge pour celui-ci de combattre la morosité ambiante en annonçant, comme ce fut le cas lors des trois précédents forums, une forte augmentation des financements chinois et quelques annulations de dettes.

Partie d’une présence assez modeste en 2000, la Chine s’est imposée, dès 2009, comme le premier partenaire commercial de l’Afrique. En mai 2014, le premier ministre chinois, Li Keqiang, s’est fixé pour objectif un doublement des échanges commerciaux à 400 milliards de dollars d’ici à 2020. La Chine importe du pétrole et des minerais des pays producteurs (Angola, Zambie, Afrique du Sud, etc.) et elle exporte ses textiles, ses téléphones ou ses voitures… En 2013, elle est devenue le quatrième investisseur en terre africaine derrière la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et le premier investisseur émergent, loin devant l’Inde, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Une offre cousue main

« Vue de Pékin, analyse Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre, la coopération sino-africaine répond à un triple objectif de la Chine : assurer un accès aux matières premières pour son industrie lourde, offrir des perspectives de développement aux entreprises chinoises, asseoir son influence et gagner de nouveaux alliés. » Les Chinois présentent volontiers leurs échanges avec l’Afrique comme un jeu gagnant-gagnant. Mais de l’avis de Jean-Raphaël Chaponnière, spécialiste de la Chine-Afrique, ils ont été essentiellement bénéfiques aux pays africains exportateurs de pétrole et de produits miniers qui ont bénéficié de la hausse des cours et diversifié leurs débouchés. « Dans les années à venir, ils pourraient l’être pour d’autres pays (tels que les exportateurs de café et de cacao) qui bénéficieront de l’évolution des goûts de la classe moyenne chinoise », précise ce chercheur à Asia Centre dans « L’empreinte chinoise en Afrique » (Revue d’économie financière, 2014).

L’Afrique risque de payer cher sa dépendance à la Chine 

Malgré une décennie de forte croissance, les économies africaines continuent d’occuper une place marginale dans la production manufacturière mondiale. La Chine n’y est pas pour grand-chose, les erreurs des politiques industrielles africaines et la rigidité des programmes d’ajustement structurel y sont pour beaucoup, assure M. Chaponnière. Toutefois, la priorité donnée aux infrastructures pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de coopération. Des mines au pétrole ou à l’énergie, en passant par les télécoms, la construction et toutes les infrastructures de transport, plus de 2 500 entreprises chinoises sont implantées sur le continent.

Leur réputation n’est plus à faire en matière de chemin de fer depuis la construction, entre 1973 et 1976, du Tanzam, ces 1 600 kilomètres de voie ferrée qui permettent à la Zambie d’exporter son cuivre à partir de la côte tanzanienne. La ligne Addis-Abeba-Djibouti, financée et construite par des Chinois, va être inaugurée en 2016 et de nombreux autres projets ferroviaires, d’un montant total de 10 milliards de dollars, sont engagés en Afrique de l’Est, notamment au Kenya.

Pékin a séduit de nombreux Etats africains en leur proposant une offre cousue main : les services de ses entreprises et son aide financière. Entre 2000 et 2011, observe un haut fonctionnaire français, les financements publics chinois en Afrique ont représenté 75 milliards de dollars. Seulement 13 milliards répondaient aux critères internationaux du comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques car l’aide chinoise reste fondamentalement une aide liée, qui sert à acheter des biens ou des services chinois. Assortis de conditions initiales favorables, ces financements présentent l’inconvénient de coûter, sur la durée, les yeux de la tête. Les taux d’intérêt sont très élevés et le service de la dette est intenable. Au moment où leurs rentrées budgétaires s’effondrent, plusieurs gouvernements africains s’inquiètent de l’emballement de leur dette à l’égard de la Chine.

Une coopération « problématique »

Dans un autre registre, les Chinois sont fréquemment accusés de ne pas embaucher assez de « locaux » et, quand ils le font, leur gestion – d’une main de fer – des relations sociales pose parfois problème. Des conflits aigus ont été rapportés en Zambie, au Kenya et en Tanzanie par plusieurs ONG, dont Human Rights Watch.

La Chine étrenne sa nouvelle diplomatie en Afrique 

Dans un article sur la Chine-Afrique de juillet 2015, Thierry Vircoulon et Victoria Madonna, deux chercheurs de l’Institut français des relations internationales, notent que la concurrence très forte des produits chinois sur les marchés intérieurs africains, incarnée par la présence de Chinois dans le petit commerce jusque dans les zones rurales les plus pauvres (au Lesotho, au Swaziland, etc.), passe mal. Et alimente un sentiment populaire antichinois qui a parfois conduit les autorités à réagir. « Le revirement critique de certains gouvernements africains s’étend aussi aux contrats miniers et pétroliers qui sont maintenant passés au crible », précisent-ils. En juillet 2012 à Pékin, le président sud-africain, Jacob Zuma, avait fait sensation en qualifiant la coopération sino-africaine de « problématique » et de « non soutenable ». Il avait appelé à un échange moins inégal des richesses. Trois ans plus tard, Xi Jinping sait qu’il est attendu sur ce terrain. Et que l’augmentation de l’aide, les annulations de dette et 600 projets de développement Sud-Sud ne suffiront pas à rendre le sourire aux Africains. Il sait aussi qu’un million de Chinois sont présents sur le continent et qu’ils attendent de lui que leur sécurité y soit assurée. Signe probable d’évolution, la Chine, qui vient de perdre trois cadres dans la prise d’otages de Bamako, le 20 novembre, s’est rapprochée de la France en raison de sa connaissance du terrain en Afrique francophone. Un partenariat économique sino-français en Afrique est à l’étude.