Choc frontal entre le droit OHADA et la loi fiscale nationale

En RDC, le champ théorique en matière de réévaluation est circonscrit par l’ordonnance-loi n°89-017 du 18 février 1989, applicable jusqu’à ce jour. Néanmoins, l’arrêté ministériel (intérimaire) n°017/CAB/MIN/FIN/98 du 13 mars 1998 est venu en modifier quelques aspects. À côté, il y a le droit OHADA.

DU POINT de vue de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), rappelle le professeur Samuel Manzambi-Kavako, la réévaluation est dite légale quand elle est effectuée à une date déterminée (clôture de l’exercice) selon des indices de réévaluation indiqués par les autorités compétentes. Par contre, elle est libre du moment où l’entreprise a la possibilité de : réévaluer ou de conserver les valeurs historiques, utiliser un référentiel de valeurs actuelles à déterminer sous sa responsabilité, effectuer la réévaluation à la clôture de l’exercice de son choix, et doit se conformer aux conditions définies par les articles 62 à 65.

Cet expert-comptable fait remarquer que « les réévaluations ne portent que sur les immobilisations corporelles et financières (articles 35 et 62). Il en découle que la valeur réévaluée ne peut dépasser la juste valeur, que toute réévaluation partielle est interdite, que la différence est enregistrée distinctement au passif du bilan dans les capitaux propres au niveau du compte 106 (écart de réévaluation) 106.1 (écart de réévaluation légale) et 106.2 (écart de réévaluation libre), et que la valeur réévaluée sert de base au calcul des amortissements. Et d’avertir : « L’écart de réévaluation ne peut être incorporé au résultat, ni distribué comme dividende, mais peut être incorporé en tout ou partie au capital. »

Le droit OHADA

D’après Samuel Manzambi, la réévaluation OHADA est « régentée » par l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière. Dans ce cas, elle peut faire « l’objet éventuellement d’interprétation ou d’orientation par la doctrine, les normes professionnelles et les autres dispositions des Actes uniformes ainsi que les législations de chaque État partie ».

S’agissant des autres Actes uniformes OHADA, l’expert-comptable épingle d’abord l’article 61 AUSCGIE. Selon cette disposition, le capital social est le gage des créanciers de toute société commerciale. « Le législateur OHADA en fait une obligation impérative », souligne le professeur Manzambi, en ce sens que « toute société commerciale doit avoir un capital qui est indiqué dans ses statuts. Ce montant peut bouger par le jeu des modifications du capital social, notamment en procédant à une augmentation ou à une réduction. »  Ensuite, il cite les articles 371 SARL et 664 AUSCGIE (SA). Explication : « Si, du fait de pertes constatées dans les états financiers de synthèse, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, est tenu, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider si la dissolution anticipée de la société a lieu. » Sinon, le président du conseil d’administration court un risque au pénal, et il y a également risque que la dissolution de la société puisse être demandée au Tribunal de commerce par toute personne intéressée.

Concernant les législations internes de chaque État-partie, le professeur Manzambi soulève le problème de « contrariété » des Actes uniformes prévus à l’article 10 du Traité en ce qui concerne les règles de la force obligatoire des Actes uniformes en droit interne et de l’applicabilité directe de ces Actes. D’où la question : Un Acte uniforme abroge-t-il toutes les dispositions ou lois de droit interne de tout État-partie ayant le même objet que lui ou bien seulement les dispositions de ces textes qui lui sont contraires ?  Et l’avis de l’expert : « Pas nécessairement, seulement celles de même nature qui rentrent en contradiction ou en opposition. À ce niveau, il y a lieu de souligner que tous les États-partie ont toujours voulu mener librement leur politique en ce qui concerne le droit fiscal et le droit pénal considérés comme les derniers remparts des attributs de la souveraineté nationale. » 

La loi fiscale nationale

En République démocratique du Congo, la matière de réévaluation des actifs immobilisés corporels et financiers a toujours été réglée suivant les lois et les dispositions fiscales, alors que le droit (commercial) OHADA relève du droit privé. Pour rappel, il y a eu la loi de réévaluation n°77-018 du 25 juillet 1977, la loi n°83-006 du 25 février 1983, l’ordonnance-loi n°89-017 du 18 février 1989 autorisant la réévaluation de l’actif immobilisé des entreprises et l’arrêté ministériel 017/CAB/MIN/FIN/98 du 13 avril 1998 modifiant et complétant, à titre intérimaire, les dispositions des articles 5, 6, 9 et 20 de l’ordonnance-loi 89-017 du 18 février 1989.

« Ces lois et dispositions, étant fiscales, sont, par conséquent, d’ordre public, c’est-à-dire celles qui sont ordonnées en vue de l’existence même de l’État et pour le bien de la chose publique », pose Samuel Manzambi. Qui en tire la conséquence suivante : « Seules les juridictions sont tenues d’orienter ou d’interpréter celles-ci. Autrement dit, seules les jurisprudences des cours et tribunaux qui comptent. Les doctrines ou normes quelconques professionnelles ne valent rien en cette matière. »

Ainsi, selon l’expert, ces lois et dispositions fiscales sont opposables à tous. Leur application est rigoureusement obligatoire. « Il n’appartient donc ni au ministre des Finances ni à l’administration fiscale d’en modifier les effets. Par conséquent, les arrêtés ministériels ou les circulaires administratives sont dénués de toute force obligatoire lorsqu’ils ne sont pas conformes à la loi », tranche-t-il dans le vif. 

Et il insiste : « L’interprétation en matière fiscale est restrictive. Dans cette logique, il faudrait absolument exclure l’interprétation par analogie, c’est-à-dire appliquer un régime prévu par la loi pour une situation déterminée à d’autres situations non prévues par la loi, parce qu’elles sont analogues du point de vue économique, social ou juridique. » Autrement dit, ce que la loi fiscale veut, elle le dit. Si elle ne veut pas dire quelque chose, elle se tait. « Chaque fois qu’une loi ou une disposition est douteuse, celle-ci profite au contribuable ou redevable. Le principe de la spécialité fiscale s’impose donc d’office, c’est-à-dire du moment où la loi fiscale détermine une situation précise, il ne faudrait pas recourir à d’autres branches du droit pour déterminer la même situation », conclut Manzambi-Kavako.