Cobalt : la guerre a déjà commencé

Des lanceurs d’alerte avaient déjà prévenu qu’il fallait s’attendre, après la guerre du coltan, à une autre guerre, celle du cobalt. Un nouveau code minier en pleine période électorale repose la problématique des marges de manœuvre réelles des politiques face aux pouvoirs économiques des majors.

 

Cobalt, cuivre, or, coltan, diamant… Un code minier coupe-gorge ! Qu’est-ce qui adviendrait si le chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, promulguait en l’état le nouveau code minier appelé à remplacer celui de 2002 ? « Beaucoup d’intérêts sont en jeu et les entreprises multinationales savent se faire très influentes », nous confie un conseiller économique dans une ambassade occidentale à Kinshasa. Tout semble pour le moment suspendu à la promulgation de la loi. Et selon certains aviseurs, c’est l’incident qui va faire basculer le pays dans un nouveau cycle de violence. En réalité, la guerre a déjà commencé avec tout ce que nous vivons dans le pays comme instabilité, insécurité, tensions sociales et politiques…

Sur le plan légal, le président de la République a 15 jours pour promulguer une loi votée au Parlement dès la date de sa transmission. Depuis fin janvier, Joseph Kabila garde le mutisme sur le nouveau code minier, ce qui laisse planer le suspens. En tout cas, c’est une patate chaude entre les mains. Les multinationales qui opèrent dans le secteur minier en République démocratique du Congo ont demandé à le rencontrer. Dans une correspondance datée du 8 février, les miniers ont fait part de leurs vives préoccupations sur les amendements apportés au code de 2002. Le gouvernement a choisi la tribune du forum Indaba en Afrique du Sud, pour donner sa position. En tout cas, il a pris parti pour les intérêts de la population congolaise dans le nouveau code contrairement à celui de 2002 plutôt « complaisant » avec les multinationales.

Dans ce qui apparaît désormais comme une « guerre déclarée », sept grandes entreprises minières sont montées en première ligne : Randgold Ressources, Anglogold Ashanti, CMOC International, Glencore Internatinal AG, Invanhoe Mines, Gold Moutain International et MMG Limited. Dans leur ligne de défense, les miniers attirer l’attention des dirigeants congolais sur les « effets néfastes » de la redevance sur les métaux stratégiques (un décret du 1ER Ministre devra déterminer quels sont les métaux stratégiques) qui passe de 2 à 10 % et de la taxe sur les superprofits qui est majorée de 5 à 50 %.

D’après eux, cela a des « implications négatives » et il est important de maintenir les « mesures incitatives ». On ne doute pas que le cobalt dont le cours est en hausse car très demandé surtout dans l’industrie du téléphone (smartphone) et de l’automobile (voitures électriques) est au cœur de ce bras de fer engagé. Le boom mondial des batteries de smartphone et de voitures électriques a provoqué une flambée des prix du cobalt de +127 % en un an. Par ailleurs, le nouveau code relève de 40 à 60 % le taux de rapatriement au pays des recettes d’exportation tant que les remboursements des prêts liés à l’investissement sont en cours. Il réajuste également la participation de l’État dans les sociétés d’exploitation de 5 à 10 % du capital social.

Comment agissent les multinationales ?

Le secteur minier pose des problèmes particuliers à cause de sa forte intégration dans l’économie mondiale, tant en termes d’exportations que de propriété des exploitants. De ce fait, les relations avec les marchés étrangers et les investisseurs sont plus importantes dans ce secteur que dans les autres. Souvent, les disputes ou les contentieux sont sous l’autorité d’un arbitre en dehors du pays où les majors exploitent les ressources naturelles. Futées, les multinationales exploitent tous les vides et les failles juridiques, et utilisent des méthodes à la limite, voire en marge de la légalité pour perpétuer leur activité. C’est la thèse que défend Alain Deneault, auteur de l’ouvrage « De quoi Total est-elle la somme ? ».

D’après lui, les multinationales sont des « réseaux d’entités indépendantes en droit, mais solidaires financièrement ». Chaque filiale respecte le droit correspondant au pays où elle se trouve créée. Et comme il le dit, les firmes imposent une forme de loi qui est la « loi de la mondialisation ». C’est la loi du marché. Et elles sont assez puissantes pour faire « chanter les États et pour les faire plier ». Il y a donc deux régimes de lois qui se développent dans le cadre de la mondialisation, explique-t-il. C’est la loi du marché ou la loi du plus fort, et la loi du commerce ou la loi de la mondialisation qui est celle qui élabore des acteurs extrêmement puissants que sont les multinationales et les législations qui sont, en quelque sorte, enfermées dans des prérogatives qui sont de moins en moins à la hauteur des défis de l’époque.

Aujourd’hui, une multinationale est un « acteur politique mondial ». Un acteur au-dessus des souverainetés démocratiques nationales ou internationales : un « pouvoir » en soi, évoluant dans un monde où les règles du jeu sont taillées sur mesure. Les multinationales répètent à l’envi qu’elles ne font pas de politique. En réalité, elles se considèrent au-dessus de la politique, que la politique est l’affaire des pauvres, qui s’entredéchirent pour prendre le pouvoir. Tout ce que cherchent les multinationales, c’est de maintenir un contrôle de la situation et un rapport de forces tels que leurs intérêts fassent loi, quel que soit le gouvernement en place.  On comprend dès lors que les multinationales ne suivent qu’une logique implacable : la loi économique à laquelle on ne peut rien. Et comme c’est dans l’ordre des choses, il faut être du côté des gagnants, donc des multinationales… C’est le « totalitarisme pervers » dont parle Alain Deneault. Aux politiques qui osent remettre en cause cette sorte de « loi naturelle », les multinationales use à la fois de rapports de chantage (coup d’État, assassinat, rébellion…) et de collusion (maintien au pouvoir). Les multinationales ont inventé les règles du jeu économique, et ceux qui créent les règles sont en position de faire en sorte que ces règles les avantagent mécaniquement.

Maturité politique

L’heure est venue de faire preuve de maturité politique, parce que le rapport de forces est totalement déséquilibré. Les firmes multinationales jouent un rôle politique majeur dans la définition des règles du jeu de la mondialisation. Ce pouvoir des grands acteurs économiques privés reste assujetti à celui des États. Ceux-ci restent les acteurs décisifs de la mondialisation économique et de sa régulation politique. Mais, selon une autre interprétation, si les États restent des acteurs importants de l’économie mondiale, ils doivent composer avec la montée en puissance d’un ensemble d’acteurs privés, au sein desquels les multinationales productives et financières jouent un rôle considérable.

Des affrontements et des compromis entre acteurs publics et privés naissent des normes publiques – nationales, régionales ou internationales -, des normes privées et des zones de non-gouvernance où plus personne ne maîtrise rien. La mondialisation est alors gouvernée par un entremêlement de toutes ces règles, qui font constamment l’objet de négociations. Si l’on suit cette approche, identifier les différents canaux d’influence par lesquels passe le pouvoir politique des firmes multinationales devient un enjeu essentiel.