Comment Apple cède à la censure chinoise

 La firme a accepté d’interdire l’accès à l’appli du « New York Times » sur l’Apple Store chinois. Ou quand les intérêts commerciaux passent avant la liberté d’expression. 

 

La suppression par Apple, fin 2016, de l’application du New York Times sur l’App’store chinois a ulcéré les défenseurs de la liberté d’expression. Le site Internet du journal américain est censuré en Chine depuis 2012, à la suite de la parution d’une enquête sur la fortune des plus hauts dirigeants chinois. Mais le célèbre quotidien, qui met également en ligne une édition en chinois, continuait à diffuser son contenu dans le pays par toutes sortes de moyens : des sites miroirs, qui reprenaient ses articles pour un temps avant d’être censurés ; mais aussi des applis pour les appareils Apple ou Android, un canal jusqu’alors ignoré par le système de censure chinois, le « Great Firewall » (la grande muraille virtuelle). Il est par ailleurs possible d’accéder au site du New York Times en utilisant des outils de contournement, appelés VPN (Virtual Private Network) – mais seule une minorité de Chinois en dispose.

Or, fin décembre, Apple a cédé aux requêtes de la Chine. L’un de ses porte-parole, Fred Sainz, a déclaré au New York Times avoir été informé que l’application « violait les réglementations locales », tout en promettant qu’elle serait rétablie « quand la situation changerait ». Mais M. Sainz a refusé, selon le titre, de préciser « quelles réglementations avaient été violées, qui avait contacté Apple, et si une décision judiciaire ou tout autre document légal avait ou non été produit ». Ces détails sont essentiels car les agences chargées de la censure en Chine exercent leur pouvoir de coercition sans faire grand cas des procédures – et parfois même sans aucune trace écrite. Leurs actions peuvent donc, en principe, être contrées au nom des lois existantes – même si, en pratique, tout recours est illusoire.

Problème de déontologie

Le géant de Cupertino s’est souvent montré bien plus réticent à collaborer avec des gouvernements, à commencer par le gouvernement américain. Début 2016, malgré l’injonction d’un juge fédéral américain, le patron d’Apple, Tim Cook, avait refusé d’aider le FBI à contourner les clés de cryptage d’un iPhone ayant appartenu à l’un des tueurs de la fusillade de San Bernardino. Ce « deux poids, deux mesures » a alerté la communauté des observateurs de la censure en Chine. Le site GreatFire.org, qui offre des solutions pour sauter la « grande muraille virtuelle », n’a cessé de critiquer sur Twitter la firme à la pomme, la désignant comme « le plus grand contrevenant [à la déontologie] parmi les grandes sociétés technologiques sur le marché chinois ».

Autre motif d’agacement pour les pourfendeurs de la censure chinoise : la concomitance de la décision d’Apple avec une nouvelle enquête du journaliste star du New York Times en Chine. Auteur des révélations de 2012, David Barboza se penche aujourd’hui sur les avantages cachés accordés par les autorités chinoises au principal sous-traitant d’Apple en Chine, le géant Foxconn. Un dossier sensible, car Donald Trump a promis de s’attaquer aux délocalisations des multinationales américaines. En 2010, Google avait choisi de quitter la Chine pour ne pas y perdre son âme. Apple, lui, semble surtout sensible aux enjeux commerciaux que représente le marché chinois. C’est d’ailleurs dans ce pays qu’il a implanté sa plus grosse base de production mondiale.