Comment la Chine veut faire revenir ses licornes cotées à l’étranger

La Chine a fait émerger des géants de la high-tech, mais les investisseurs chinois ne profitent pas de cette extraordinaire ascension. Baidu, Tencent, Alibaba sont tous cotés à l’étranger. À l’heure où de nouvelles licornes s’apprêtent à lever des milliards en Bourse, le régime communiste cherche la parade.

C’est le genre de paradoxe que n’apprécie pas Pékin. Dans sa guerre pour le leadership technologique avec les États-Unis, la Chine peut certes se targuer d’avoir fait émerger en quelques années des mastodontes qui mettent à mal la domination américaine de l’Internet mondial. Alibaba, Tencent, Ant Financial, Baidu, Didi, JD.com… 

Au total, neuf sociétés chinoises figurent désormais parmi les vingt entreprises les mieux valorisées de la planète tech, contre trois il y a cinq ans, relève  une récente étude de Kleiner Perkins Caufield & Byers. Et, dans le club très fermé des dix plus grandes entreprises cotées, il faut désormais compter sur Tencent et Alibaba, qui pèsent chacun autour de 500 milliards de dollars.

Huawei, champion du tout connecté

Problème, les investisseurs chinois n’ont absolument pas profité de l’extraordinaire percée de ces entreprises qui font la fierté du pays. Toutes ces pépites technologiques n’ont pas choisi Shanghai ou Shenzhen, les deux places boursières de Chine continentale, pour lever des fonds sur les marchés. Alibaba, Baidu, JD.com sont allés à Wall Street tandis que Tencent s’est introduit à Hong Kong. 

Compte tenu des importantes restrictions sur les sorties de capitaux, cela rend quasiment impossible aux investisseurs chinois de prendre position sur ces entreprises.

Mécanisme taillé sur mesure

« Une telle situation ne doit plus se reproduire », a prévenu au printemps Liu Shiyu, le patron de l’autorité de régulation boursière. L’ordre a été exécuté à la vitesse de l’éclair.  Quelques mois auront suffi au marché boursier chinois pour devenir plus « tech friendly ». En témoigne l’inhabituelle rapidité avec laquelle la filiale chinoise du géant taïwanais de l’électronique Foxconn a obtenu le feu vert pour s’introduire à la Bourse de Shanghai, devenant d’emblée la plus grosse capitalisation d’une entreprise technologique en Chine continentale. Surtout, la Chine s’apprête à mettre en place un mécanisme taillé sur mesure pour ses pépites high-tech.

Pour faire revenir les Alibaba, Tencent, Baidu et autres JD.com à la maison, Pékin compte lancer des « chinese depositary receipts » (CDR), qui, à la manière des ADR américains, vont permettre à des entreprises chinoises domiciliées ou cotées à l’étranger de pouvoir également émettre des actions en Chine continentale. 

Et ce sans avoir à se conformer aux règles de cotation existantes, comme l’obligation d’afficher une rentabilité trois années consécutives, d’être domiciliées en Chine, ou encore à l’interdiction d’émettre des actions à droits de vote double. Autant d’obstacles qui avaient fait fuir les start-up chinoises jusqu’à présent.

Montants colossaux

Il s’agit aussi pour les autorités chinoises de ne pas rater le coche alors qu’une nouvelle génération de start-up chinoises prépare des introductions en Bourse aux montants colossaux. Parmi elles, il y a le fabricant de smartphones Xiaomi , mais aussi le pionnier du paiement mobile Ant Financial, Didi l’« Uber chinois » ou encore  l’un des champions de la livraison de repas, Meituan. Visant officiellement les secteurs de l’Internet, du « cloud computing »,  de l’intelligence artificielle et des composants, les CDR pourront permettre aux licornes de se financer directement auprès des investisseurs chinois, au premier rang desquels les très nombreux petits porteurs. Avec la possibilité d’une double cotation en Chine et ailleurs, toutes ces entreprises pourraient théoriquement augmenter leurs chances d’atteindre des valorisations très ambitieuses. Autre avantage pour les start-up qui jouent des coudes pour recruter les meilleurs talents, la possibilité d’offrir des titres émis en yuans à des employés astreints par les contrôles de capitaux. L’impact pourrait être majeur pour le marché boursier chinois, avec un afflux massif de liquidités. À peine 1 % du capital d’Alibaba vaut plus de 5 milliards de dollars !

Un revers avec Xiaomi

Reste à savoir si les géants chinois répondront à l’appel. La Bourse chinoise reste encore très contrôlée par Pékin et certains observateurs voient dans cette opération séduction une manière pour le régime communiste d’accentuer son influence sur les firmes technologiques. Quant à la tempête boursière de l’été 2015, elle a profondément marqué les esprits. Pour l’heure, les patrons des BAT (Baidu, Alibaba, Tencent) ont tous dit poliment qu’ils étudieraient la question. Baidu « a toujours voulu rentrer à la maison », a ainsi fait savoir son patron, Robin Li.

Mais la Bourse de Hong Kong fait, elle aussi, les yeux doux aux licornes chinoises. La place, qui ne s’était jamais remise du choix américain d’Alibaba,  a accepté de déroger au principe du « un actionnaire = un vote » tant décrié par les fondateurs de start-up désireux d’en conserver le contrôle, même avec une petite part du capital. Le choix  de Xiaomi d’être coté à Hong Kong est donc une immense victoire pour l’ancienne colonie britannique, tant soucieuse de conserver son aura de grande place financière asiatique. 

Une victoire d’autant plus savoureuse qu’elle s’accompagne d’un revers cinglant pour les autorités chinoises puisque Xiaomi a finalement renvoyé à plus tard l’idée d’une cotation en parallèle à Shanghai. Les petits investisseurs chinois devront encore patienter.