Congo : « C’est Katumbi qui arbitrera les élections »

De plus en plus de voix s’élèvent pour encourager le très populaire gouverneur du Katanga à s’engager dans la course présidentielle contre Kabila.

Moïse Katumbi, le gouverneur de la province du Katanga.
Moïse Katumbi, le gouverneur de la province du Katanga.

Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, occupe deux parmi les plus importantes fonctions dans la République démocratique du Congo. Il est le gouverneur du Katanga, une province riche en ressources minières qui compte 5,6 millions d’habitants et dont la superficie avoisine celle de l’Espagne. Il est en outre le président du TP Mazembe, un des clubs de football les mieux gérés de l’Afrique subsaharienne, un rôle qui lui assure une grande popularité. Et maintenant, nombreux sont ceux qui s’attendent à ce que cet homme de 50 ans, riche et charismatique à la fois, brigue un titre plus important encore  : celui de président.

S’il fut pendant un temps l’allié du président Joseph Kabila, Monsieur Katumbi s’est récemment profilé telle une personne prête à le détrôner. « Le Congo est l’éléphant de l’Afrique, » déclarait-il l’an dernier dans une interview au Financial Times. « Il s’agit maintenant d’un éléphant moribond. Relevons cet éléphant pour aller loin. »

Les spéculations concernant les intentions de Monsieur Katumbi se sont intensifiées le mois dernier à l’occasion du discours enthousiaste qu’il a prononcé lors de son retour au pays après une mystérieuse maladie qui l’avait tenu éloigné de la scène publique pendant trois mois. Recourant à des métaphores footballistiques, il a demandé à la foule si elle accepterait l’éventualité que Monsieur Kabila brigue un troisième mandat à la fin de celui-ci l’an prochain – pour rappel, la réélection du président en 2011 avait largement été perçue comme le résultat de scrutins truqués. « Non ! » a répondu la foule dans un cri.

D’autres personnes partagent également ce sentiment, parmi lesquelles John Kerry, le secrétaire d’État américain. Lors d’une visite au Congo l’an dernier, il a déclaré que Monsieur Kabila, au pouvoir depuis 2001, « se trouve face à une possibilité – dont il est conscient – de pouvoir engager et maintenir le pays sur la voie de la démocratie. »

On relève déjà des signes inquiétants indiquant que Monsieur Kabila pourrait bien nourrir des idées différentes. Des  affrontements entre des manifestants issus de l’opposition et les forces de l’ordre ont éclaté lundi dans les rues de Kinshasa et ont fait au moins quatre morts. Les manifestants disent qu’ils craignent que Monsieur Kabila ne veuille modifier la Constitution afin de briguer un nouveau mandat, ou qu’un recensement proposé cache en fait une tactique visant à retarder les élections. Des leaders de l’opposition ont été arrêtés hier alors que les manifestations continuaient, et que l’internet et les connexions téléphoniques étaient bloquées dans la capitale.

Douze ans après la «Grande guerre africaine » – un conflit à ce point épouvantable qu’il a entraîné avec lui huit pays voisins – le Congo se trouve face à une nouvelle épreuve : le pays est-il en mesure d’assurer une passation de pouvoir pacifique ? La réponse ne présente pas uniquement un intérêt pour les perspectives du pays en matière de démocratie, d’investissement et de stabilité, mais pour le continent tout entier.

Ce vaste pays, riche en ressources naturelles, devrait être le poumon économique au cœur de l’Afrique.  La construction d’un barrage sur son fleuve pourrait résoudre les problèmes d’alimentation en électricité du continent. Ses richesses minières et son potentiel agricole pourraient transformer la nation, assurer la croissance et la stabilité pour des millions de consommateurs potentiels.

« Le Congo devrait être un Brésil, le moteur de l’Afrique subsaharienne, qu’il s’agisse d’énergie hydroélectrique, d’agriculture ou d’exploitations minières » déclare Aly-Khan Satchu, un conseiller en investissement pour l’Afrique de l’Est. « Si le pays fonctionnait à plein rendement, cela créerait un gigantesque mouvement positif et un véritable décollage pour la population et pour le reste de la région que l’on ressentirait jusqu’au Kenya. »

Au lieu de cela, le Congo occupe l’avant-dernière place parmi les pays les moins développés dans le monde, après le Niger. La corruption, les dysfonctionnements et les rébellions dans l’Est du pays ainsi qu’au Katanga ont découragé les investissements et l’État brille surtout par son absence. Les donateurs et les investisseurs ont déversé des milliards de dollars dans le pays depuis la guerre de 1998-2003 tandis que les Nations unies maintiennent encore 21 000 gardiens de la paix dans le pays, mais c’est à peine si le pays a commencé à se construire. Le revenu annuel moyen se situe à quelque 390 dollars par personne, 88 pour cent de ses 70 millions d’habitants vivent dans la pauvreté.

Ces problèmes existent depuis bien longtemps – le Congo souffrait déjà bien avant qu’il prenne son indépendance de la Belgique en 1960 – mais ils ont été exacerbés par Monsieur Kabila qui est devenu président après l’assassinat de son père en 2001.

On va surveiller de très près ce que Monsieur Kabila, cet homme de 43 ans, fera en 2016 lorsqu’il sera forcé de se retirer conformément à la Constitution. « Il y va du processus de paix qui a débuté en 1999 – si Kabila met en pièces la Constitution, cela risque de détricoter les progrès engrangés depuis la fin de la guerre»,  explique Jason Stearns, un auteur qui a fait partie du Groupe d’Experts des Nations unies sur le Congo.

Il existe tellement de dissentiments internes au sujet de Kabila que s’il reste au pouvoir, par quelque manière que ce soit, cela pourrait provoquer une crise interne telle qu’elle pourrait avoir des répercussions tous azimuts. La stabilité de ce pays aux immenses ressources naturelles et au grand potentiel de croissance dépend entièrement de la question de 2016. »

Le Congo est le plus grand producteur africain de cuivre et la source principale de cobalt dans le monde. La Gécamines, sa société nationale d’exploitation minière, était une des plus grosses sociétés minières du monde dans les années 1980, avant que la guerre ne la conduise à négliger ses mines pendant de longues années. La production de cuivre a atteint des niveaux record ces dernières années après la vente d’actifs à des investisseurs internationaux tels que Glencore, société de négoce et courtage de matières premières basée en Suisse, et Freeport-McMoRan, la société minière américaine.

Cependant, avec le ralentissement de la croissance de la Chine, les prix du cuivre ont chuté de 22 pour cent au cours de l’année passée, ce qui pourrait accroître la pression qui pèse sur les compagnies minières ainsi que sur les revenus fiscaux du Congo. Selon le FMI, plus de 95 pour cent des exportations du pays proviennent des industries extractives.

Pour Glencore, Freeport-McMoRan, AngloGold Ashanti et d’autres encore qui nourrissent des projets à long terme concernant l’exploitation minière dans le pays, ainsi que pour des multinationales telles que Nestlé qui tablent sur une augmentation du pouvoir d’achat de la population, le résultat des prochaines élections au Congo s’avère crucial.

« Les gens sont inquiets – les élections sont censées avoir lieu dans moins d’un an et demi ; il n’y a pratiquement pas d’argent qui entre dans le pays, en fait – les risques liés à la politique et à la sécurité sont trop importants et les gens ne sont pas enclins à s’y exposer», déclare un investisseur étranger qui brasse des affaires au Congo.

Mais Monsieur Kabila, qui n’a pas encore révélé ses projets pour 2016, n’a jamais brillé lorsqu’il s’agit de répondre aux questions. « Il essaie de gagner du temps – l’indécision ou la prise de décision très lente ont été des grandes caractéristiques de la présidence de Kabila »,  souligne Hans Hoebeke de l’International Crisis Group.

Le gouvernement congolais a été pratiquement à l’arrêt pendant 14 mois jusqu’à ce que, le mois dernier enfin, Monsieur Kabila finisse par annoncer le remaniement de son cabinet qu’il avait promis depuis bien longtemps. Les diplomates occidentaux disent que les ministres avaient cessé de prendre de nouvelles initiatives pendant plus d’un an et, au lieu de cela, en profitaient pour se remplir les poches. »

« Dans le cadre d’une stratégie de survie, l’indécision et les ralentissements lui sont utiles jusqu’à un certain point » poursuit M. Hoebeke. « Mais, naturellement, cette politique plonge le pays dans une crise perpétuelle qui empêche tout véritable mouvement. »

Sa présidence  a également été marquée par des allégations de corruption et de dilapidation d’actifs dans le secteur minier, allégations qui ont conduit les donateurs à retirer leur soutien en 2010. Des opposants politiques ont été emprisonnés et les défenseurs des droits de l’homme des Nations unies expulsés du pays. En outre, Monsieur Kabila s’est élevé contre les «injonctions» étrangères concernant l’avenir politique du Congo. « La police secrète est très active», affirme un diplomate occidental. « Il y a de nombreux problèmes liés à la liberté de parole ou d’expression – nous n’allons pas financer un processus dont nous pensons qu’il n’est pas libre et transparent. »

Il est juste un peu avant minuit et, dans sa maison à Kinshasa, Vital Kamerhe griffonne une carte du Congo à l’encre verte. Ce leader de l’opposition, à la fois respecté et véhément, évalue ses chances de gagner les élections, totalise des pourcentages imaginaires et pointe la province du Katanga. « Tout dépend de Moïse Katumbi – c’est lui qui arbitrera les élections» dit le président du parti politique Union pour la nation congolaise(UNC), formulant ainsi une opinion largement partagée par d’autres protagonistes politiques, diplomates et analystes.

Respecté par les diplomates occidentaux, Monsieur Kamerhe décrit l’économie comme une « catastrophe » gérée par des intérêts particuliers. Défenseur de l’intégrité territoriale du Congo, il s’était brouillé en 2010 avec Monsieur Kabila à propos de la présence de troupes rwandaises dans sa région natale dans l’Est du Congo. Il envisage maintenant de mener une campagne électorale qui rassemble des forces populistes au cœur des églises et avec l’aide de musiciens influents.

Mais, à l’instar de bien d’autres, il sait que rien ne peut rivaliser de loin ou de près avec l’attrait et l’influence potentiels que pourrait exercer Monsieur Katumbi s’il décidait de se lancer dans la bataille, comme cela semble probable maintenant. Face à la fragilité de la coalition au pouvoir de Monsieur Kabila, Monsieur Kamerhe croit que lui-même et Monsieur Katumbi, s’ils devaient joindre leurs forces, pourraient unir les parties orientales et australes du pays contre Monsieur Kabila, dont la capitale, à l’Ouest, a de toute façon toujours été un bastion d’une opposition pleine de ferveur.

En 2011, c’est le Katanga très peuplé qui a donné sa victoire à Monsieur Kabila, avec l’aide de Monsieur Katumbi, mais la province reste un puissant bastion pour ce dernier. Alors qu’il s’est forgé un profil national grâce à son club de football, Monsieur Katumbi a également construit des routes dans un pays tristement célèbre pour l’état épouvantable de ses infrastructures et il a généré de la richesse pour sa province.

Monsieur Katumbi a perdu son poste politique régional dans la coalition après son discours de Noël, qui a suscité de l’agitation au sein du parti au pouvoir et a fait venir Monsieur Kabila au Katanga où il a prononcé quelques uns de ses rares discours publics. L’absence de trois mois de Monsieur Katumbi, parti en Europe, a également alimenté des rumeurs selon lesquelles il y aurait été traité médicalement pour un empoisonnement.

Mais sa popularité ainsi que sa richesse et ses liens avec les investisseurs miniers qui ont déversé des milliards de dollars dans le pays, pourraient bien faire de Monsieur Katumbi soit une personne capable de faire et défaire les rois, soit un souverain.

« Je crois qu’il serait un bon président, » indique un investisseur étranger avec des activités au Katanga. Il considère Monsieur Katumbi comme un homme politique pragmatique et comme un homme d’affaires volontariste qui entretient déjà de bonnes relations avec les sociétés étrangères et locales et qui tient à faire la preuve qu’il agit pour son pays.

« Dans une perspective économique, un mouvement en faveur de Katumbi (en tant que président) serait auréolé d’une connotation positive,» explique Monsieur Hoebeke. « Si c’était un parfait outsider qui prenait la suite de Kabila, ce serait très dangereux car le pays ne dispose pas vraiment d’un État en état de fonctionner – un tel fait exposerait la nation à un risque élevé de graves violences. »

Certains banquiers ont même été jusqu’à prédire, en privé, que le Congo pourrait bien éclater un jour et qu’à l’avenir, il se pourrait qu’ils finissent par investir eux-mêmes dans une République du Katanga. Après l’indépendance, la région avait fait sécession et elle abrite toujours de violents mouvements sécessionnistes.

Bien que Monsieur Katumbi ait précédemment déclaré qu’il souhaitait quitter la politique et revenir à ses affaires de famille, dans le cadre d’une interview accordée au FT dans son bureau de Lubumbashi avant son départ pour l’Europe l’an dernier, on l’a amené à parler de la nécessité de respecter la Constitution et d’organiser des élections en temps voulu.

« Personne n’a le droit de toucher à la démocratie… La personne qui gagnera en 2016 sera notre président»,  a déclaré Monsieur Katumbi. « Le président est le garant de la Constitution. Jusqu’à présent, il n’a pas dit qu’il allait modifier la Constitution. Nous verrons. »