Corée du Nord : la revanche de Kim Jong-Un

 Le leader nord-coréen tient une immense victoire avec son sommet face à Donald Trump, prévu le 12 juin prochain. Il va pouvoir consolider son autorité et engager une ouverture très mesurée de son économie sans lâcher ni ses bombes atomiques, ni sa gouvernance barbare.

 

Dans la soirée du 23 octobre 2000, quelques heures seulement après son arrivée à Pyongyang, Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat de Bill Clinton, échangea, pour la première fois, directement avec Kim Jong-il, alors leader du régime. 

Après quelques toasts virils, comme elle le raconte dans ses mémoires, le dictateur lui parla un peu de cinéma puis se vanta de posséder trois ordinateurs. Il demanda même l’adresse web du site du Départment d’Etat américain. Mais surtout, le dictateur nord-coréen insista pour organiser rapidement un sommet historique avec le président américain. Pour obtenir cette rencontre, il était prêt à tout promettre. L’arrêt de ses exportations de missiles balistiques ou la fin de ses programmes nucléaires militaires.

De retour à la Maison Blanche, l’hypothèse d’une rencontre fut méticuleusement examinée. ‘Le président Clinton lui-même était plus que disposé à faire le voyage’, confie Madeleine Albright. Les alliés sud-coréens pressaient en faveur d’un sommet. Mais les résistances restaient fortes à Washington où des experts pointaient les multiples promesses trahies par les Kim et la formidable légitimation qu’allait offrir une telle poignée de main à la dictature nord-coréenne. Puis la précipitation des événements au Moyen Orient poussa finalement Bill Clinton à renoncer à une expédition à Pyongyang.

Un formidable symbole

Dix-huit ans plus tard, Donald Trump n’a pas eu les mêmes réserves et a accepté, sans consulter ses conseillers, de retrouver, mardi 12 juin, à Singapour, Kim Jong-un, qui est monté sur le trône de la dynastie communiste à la mort de son père en décembre 2001. 

Enfin. Après des décennies d’un cycle immuable de provocations et de mains tendues, le petit pays paria, délabré, cryogénisé dans la Guerre froide, tient son sommet historique avec la plus grande puissance de la planète.

A 34 ans, le dictateur obtient la formidable victoire symbolique que son grand-père, Kim Il-sung, puis son père, n’avaient jamais pu approcher. Peu importe désormais le résultat de la rencontre, les clichés fixant la poignée de main et les sourires seront indélébiles. Insulté, il y a six mois encore, par Donald Trump, menacé de frappes américaines préventives ou encore ridiculisé par nombre de médias ou sketchs en Occident, le jeune leader tient une formidable revanche qui va lui permettre de consolider son aura et son pouvoir sur sa scène intérieure. Sa propagande va se régaler en mettant en scène ces échanges entre deux puissances nucléaires se parlant d’égal à égal.

Son plan se sera finalement déroulé sans accroc. Si les menaces de frappes américaines, agitées à Washington par les partisans de la stratégie du ‘bloody nose’ ont certainement inquiété Pyongyang fin 2017, elles n’auront fait que précipiter l’enclenchement du scénario écrit depuis longtemps par Kim Jong-un.

La survie de sa dynastie

Après une accélération des tests nucléaires et balistiques, le régime a annoncé en novembre, après le tir de son missile balistique intercontinental Hwasong-15 susceptible d’atteindre le sol américain, qu’il détenait désormais la force de dissuasion nucléaire inscrite dans sa constitution en 2012. Le dirigeant a maintenant en main ce qu’il a toujours perçu, à tort ou à raison, comme l’assurance de la survie de sa dynastie et il peut désormais se consacrer à ses autres objectifs.

A Singapour, le jeune leader va ainsi surtout tester le sérieux de Donald Trump dont la stratégie reste confuse. Lorsqu’il a dit oui à un sommet, le président américain a promis la plus grande fermeté et réclamé une dénucléarisation complète, immédiate, vérifiable et irréversible de l’arsenal de Pyongyang. Depuis quelques jours, il semble avoir considérablement revu à la baisse ses objectifs. Kim Jong-un, qui n’abandonnera jamais ses bombes atomiques intégrées à l’ADN de son régime, s’assurera alors que la Maison Blanche se contentera de quelques annonces symboliques et d’un vague plan de dénucléarisation étalé dans le temps et invérifiable en échange d’une lente normalisation des relations entre les deux nations.

De retour à Pyongyang, il pourra se consacrer au développement de sa nation,malmenée par les sanctions internationales et par un système économique arriéré. Son offensive de charme aux Jeux Olympiques puis ses mains tendues au président sud-coréen Moon Jae-in et au leader chinois Xi Jinping ont déjà brisé la dynamique de pression qu’avaient réussi à mettre en place les Etats-Unis l’an dernier. Pékin et Séoul ne soutiendront plus cette stratégie américaine de l’étouffement et vont progressivement reprendre leurs partenariats économiques, au grand dam du Japon toujours partisan, lui, d’une politique de fermeté. Déjà, les analystes notent une reprise des échanges sur la frontière entre la Chine et la Corée du Nord.

Le piège de la réunification

Si Kim Jong-un a promis à son peuple d’enfin lui apporter de la croissance, il ne va pas suivre, comme semble l’espérer Donald Trump, les voies express empruntées par d’autres dictatures communistes telles que la Chine ou le Vietnam. La structure clanique de son pouvoir, construit dans la terreur, au fil de purges, autour de sa famille et d’un noyau de fidèles, ne survivrait pas à une ouverture trop rapide. Il ne peut soudain abandonner le narratif de la citadelle assiégée par les impérialistes mais protégée par le feu nucléaire, qui a permis de cimenter la population autour de sa lignée. Il y perdrait toute légitimité face à une Corée du Sud qui a déjà gagné, dans la péninsule, la bataille du développement économique. Comment pourrait-il encore justifier l’existence même de sa dynastie qu’il espère encore maintenir pendant des décennies ? Il sait qu’une normalisation débouchant obligatoirement sur une réunification lui serait fatale