Covid-19/Ebola Business : des pratiques de pot-de-vin à grande échelle

Avec le concours de la police judiciaire des parquets, l’Inspection générale des finances a remis le jeudi 13 août un premier rapport de ses audits sur la gestion des fonds publics dans le cadre de la riposte au Covid-19. Selon toute vraisemblance, ça sent le soufre.

ETENI Longondo, le ministre de la Santé publique et médecin de son état, devrait présenter les preuves d’utilisation de près de 4 millions de dollars décaissés par le ministère des Finances en procédure d’urgence. Il semble que le ministre de la Santé n’a jamais rien justifié, notamment en ce qui concerne la passation des marchés pour les commandes effectuées. 

Dans les milieux des humanitaires, on n’est pas surpris par cette tournure des événements qui risque d’emporter au passage plusieurs personnalités. Une enquête de l’ONG international The New Humanitarian tNH) montre noir sur blanc que la riposte au Covid-19 et à Ebola en République démocratique du Congo est un vrai business.

L’enquête souligne que les pratiques douteuses dans la réponse à Ebola en RDC, y compris les fonds alloués aux forces de sécurité, à la location des véhicules à des prix exorbitants et les pots-de-vin, ont sérieusement compromis les opérations humanitaires et ont mis des vies en danger. TNH a donc enquêté pendant plusieurs mois sur la soi-disant « affaire Ebola ». Elle a révélé des pratiques qui sont également rapportées dans un récent projet d’examen opérationnel commandé par un groupe d’agences des Nations Unies et d’ONG sur la corruption et la fraude dans le cadre de l’aide humanitaire. 

L’enquête de TNH montre comment Ebola Business a fonctionné sous le paravent d’assistance humanitaire en RDC, suscitant des inquiétudes pour de futures opérations d’urgence, notamment la nouvelle épidémie d’Ebola à l’Équateur. « Le flux de centaines de millions de dollars de fonds pour la riposte à Ebola dans un pays que Transparency International classe parmi les plus corrompus au monde a créé un terrain fertile pour les conflits d’intérêts et la course au profit », soulignent les auteurs de l’enquête. 

La réponse aux pandémies en RDC est gérée par le ministère de la Santé, avec le soutien technique et opérationnel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Plus d’une douzaine d’autres groupes (ONG et agences onusiennes) sont impliqués dans l’appui. Malgré les résultats probants obtenus dans le cadre de la riposte pour contenir et traiter la maladie au cœur de la violence armée dans l’Est, la méfiance de la communauté encline à des décennies de conflit et de quasi abandon du gouvernement et le malaise chez les ONG locales, les autorités gouvernementales et les humanitaires internationaux.

Réinitialiser la réponse

Les attaques contre les centres de traitement et les agents de riposte à Ebola ont longtemps affecté la réponse : 11 agents d’intervention ont été tués dans plus de 400 attaques depuis le début de l’épidémie en août 2018. 

En mai 2019, lors de l’assemblée annuelle de l’OMS, un organe de surveillance mis en place après l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a publié une déclaration selon laquelle « la réponse doit être réinitialisée ». Faisant référence aux attaques contre les agents de santé et les établissements, le rapport indiquait : « Un consensus croissant au sein de la communauté d’intervention est que certaines attaques sont motivées par la frustration suscitée par le soi-disant Ebola Business. »

Dans son enquête, TNH a obtenu des informations tirées de documents de l’OMS qui montrent comment certains agents de santé et fonctionnaires ont profité des fonds de riposte; et comment, dans la précipitation pour intensifier une réponse dans une zone de conflit actif, l’OMS a payé des millions de dollars aux forces de sécurité congolaises. « Les affaires d’Ebola ne sont pas nouvelles dans cette épidémie », a déclaré à TNH Gary Kobinger, un conseiller expert de l’OMS qui a étudié ces problèmes pendant la riposte. Et d’ajouter : « Je n’ai jamais vu autant de détournements de fonds et d’argent. ».

Les auteurs du projet de revue commandé par l’ONU et les ONG – obtenu exclusivement par TNH – préviennent que « les pratiques mises en œuvre pendant la riposte à Ebola auront inévitablement un impact direct sur la capacité des organisations humanitaires à contrôler la corruption au sein de leurs programmes ». Les groupes impliqués dans la réponse ont depuis longtemps des défis reconnus. « Une intervention d’urgence d’une telle ampleur et complexité comporte toujours des risques », a déclaré Margaret Harris, la porte-parole de l’OMS, à TNH en avril dernier. « Ce qui est important, c’est d’avoir des processus en place pour traiter les problèmes, d’évaluer et d’améliorer constamment nos processus. Nous réalisons des audits réguliers de toutes nos opérations de réponse et agissons sur les constatations et recommandations des auditeurs », souligne-t-il.

Une difficulté potentielle pour lutter contre la corruption présumée dans la riposte, a déclaré Kobinger qui a participé à l’évaluation pour l’organe de surveillance de l’OMS, est le manque de mécanismes permettant au personnel de lutte contre Ebola de signaler les problèmes ou les plaintes. « Nous avons vu le personnel permanent de l’OMS tenter de sonner l’alarme à plusieurs reprises et ils ont été renvoyés chez eux », a-t-il déclaré. Les auteurs du projet de révision ONU/ONG ont déclaré que « les tentatives de certains lanceurs d’alerte de dénoncer certaines pratiques ont au mieux été étouffées et au pire ont abouti à la mort, comme le cas du Dr Richard Valery Mouzoko », se référant à un épidémiologiste camerounais qui travaillait pour l’OMS lorsqu’il a été tué lors d’une attaque en avril 2019.

Médecin camerounais tué

Quatre mois après la mort de Mouzoko, la police a arrêté plusieurs médecins travaillant pour le ministère de la Santé qui auraient ordonné le meurtre de Mouzoko. Ils ont depuis été libérés. L’OMS n’a pas dit si la mort de Mouzoko a soulevé des inquiétudes concernant les pratiques de la riposte à Ebola.  « Nous attendons avec impatience la publication du rapport final et nous examinerons attentivement les recommandations », a déclaré Harris à TNH. En janvier dernier, David Gressly, ancien coordonnateur de la réponse d’urgence à Ebola de l’ONU, a fait savoir que l’attaque contre le médecin de l’OMS avait peut-être été motivée par le désir de détourner des ressources vers les agents de santé locaux. 

Les communautés sont témoins de ce que les gens gagnent de la gestion de la réponse aux pandémies de nouveau coronavirus et de fièvre à Ebola. Alex Wade, le chef de mission pour le Congo à Médecins Sans Frontières, qui a géré un budget en 2019 d’environ 37,6 millions de dollars de fonds de réponse, laisse entendre que l’argent que les gens recevaient comme salaires journaliers dépassait l’entendement des communautés. 

Les courriels et autres documents obtenus par TNH lors de son enquête ouvrent une fenêtre sur la façon dont certains fonds de la réponse ont été gérés et comment les procédures opérationnelles standards ne sont pas respectées. TNH dit avoir interrogé plus de 30 personnes en 2019 travaillant dans la riposte et a fait un suivi cette année, totalisant environ 70 entretiens. Beaucoup de personnes interrogées ont décrit une situation chaotique qui dure bien au-delà des premières étapes de l’intervention.

L’épidémie d’Ebola dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, la deuxième plus meurtrière à ce jour, a tué plus de 2 279 personnes depuis sa déclaration, tandis qu’une nouvelle épidémie dans la ville de Mbandaka, dans le Nord-Ouest du pays, a été annoncée le 1er juin et a jusqu’à présent fait au moins 11 morts. L’épidémie qui a éclaté au Nord-Kivu et en Ituri a été la première dans une zone de conflit actif, et les opérations de riposte ont dû être interrompues à de nombreuses reprises en raison d’attaques contre des cliniques et des agents de santé, entraînant de nouveaux pics de cas d’Ebola et de décès.

« L’OMS devait être opérationnelle immédiatement dans une zone où il n’y avait pas de fournisseurs connus ou approuvés par l’ONU», a déclaré Harris à TNH, décrivant le début de la réponse dans la province du Nord-Kivu. « Nous avons dû accélérer rapidement, trouver des bureaux, des logements, des fournitures et louer des voitures pour pouvoir travailler. Notre priorité était de sauver des vies. » Plusieurs organisations menant la riposte ont déclaré que la méfiance de la communauté a entravé les opérations depuis le début. Le rapport de supervision de l’OMS a spécifiquement noté que les témoignages de la communauté n’étaient pas utilisés pour façonner la stratégie de réponse à Ebola, ce qui rendait difficile de prendre en compte le ressentiment, la méfiance et l’hostilité de la communauté. 

La réponse a d’abord été dirigée par Oly Ilunga, le ministre de la Santé de l’époque, arrêté en septembre 2019 puis emprisonné pour avoir détourné des fonds de réponse à Ebola, qu’il conteste, puis par le professeur virologue Jean-Jacques Muyembe Tamfum, qui faisait partie de l’équipe de recherche qui a enquêté sur la première épidémie d’Ebola connue en 1976. Interrogé par TNH en mars, Dr Muyembe a déclaré que le gouvernement n’a pas géré l’essentiel des fonds de réponse. Les tentatives ultérieures pour joindre Muyembe au sujet d’allégations de mauvaise gestion basées sur les rapports de TNH sont restées sans réponse, tout comme les tentatives pour atteindre les fonctionnaires du ministère de la Santé.

L’OMS a géré plus de 361 millions de dollars sur plus de 700 millions de dollars en fonds de riposte contre Ebola et demande 28,5 millions de dollars pour poursuivre la riposte contre Ebola, avec des fonds supplémentaires destinés à la nouvelle épidémie à Mbandaka.

Exploitation sexuelle

La riposte à Ebola emploie des milliers de personnes pour une gamme de services, allant de l’enterrement des morts à la désinfection des maisons contaminées par le virus. L’attribution de ces emplois à des soi-disant « journaliers » a ouvert la voie à une variété de pratiques apparemment de corruption, selon les rapports de TNH et les interviews des auteurs du projet de revue de l’ONU et ONG. L’OMS n’embauche généralement pas les « journaliers », ont déclaré plusieurs d’entre eux à TNH. Les ouvriers travaillent généralement sous la tutelle du ministère de la Santé et l’OMS verse une prime de 10 à 15 dollars par jour en plus des salaires du gouvernement rendant les emplois d’autant plus désirables. 

Ces « compléments » ne sont pas rares. Cependant, dans certains cas, les emplois ont un prix. « Si vous voulez un emploi, vous devez faire une opération retour [verser un pot-de-vin] à la personne qui vous a embauché », a déclaré un travailleur à TNH, notant que cette pratique se produit souvent ailleurs, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’aide humanitaire. « Tout ici est opération retour ! C’est ainsi que les choses fonctionnaient déjà avant Ebola. » 

Un autre travailleur journalier congolais qui a requis l’anonymat de peur de perdre son emploi, a raconté à TNH une histoire similaire en septembre 2019. « Une infirmière m’a appelé pour me dire qu’elle avait un travail pour moi », a-t-il dit. « Quand je suis arrivé à son bureau, elle m’a dit que pour obtenir cet emploi, je devais lui rendre au moins 30 % de mon salaire chaque mois. » Le « prix » de ces emplois peut inclure le sexe, selon les témoignages des personnes interrogées dans le cadre du projet de revue de l’ONU/ONG, contribuant davantage aux abus sexuels et à l’exploitation des femmes. « L’exploitation sexuelle, en particulier le sexe pour le travail, a été évoquée par les personnes interrogées », ont écrit les auteurs du projet de revue. 

Ils ont fait référence à un rapport qui a fait le constat selon lequel « de nombreuses indications montrent que les hommes dans des rôles décisionnels [pour la réponse à Ebola] ont utilisé leur position de pouvoir pour soumettre les femmes à des abus sexuels comme condition préalable à l’emploi ou avant de recevoir leur salaire ».

L’OMS a refusé de dire si l’organisme mondial de la santé avait reçu des rapports d’exploitation sexuelle dans le cadre de la riposte à Ebola. De plus, certaines personnes semblaient être payées plusieurs fois pour avoir effectué simultanément différents emplois d’intervention à temps plein.