De Brazzaville à Dakar, un sentiment « Y en a marre » gagne même les chefs d’État

Un sommet est prévu dans les tout prochains jours pour décider de l’avenir du franc CFA. La monnaie commune à plusieurs pays d’Afrique arrimée à l’euro est en question sur les vraies fausses garanties de la France. Des Africains y voient des germes d’une colonisation perpétuelle.  

 En 1992, les pays de la zone CFA dont le voisin Congo d’en face sont secoués par un véritable séisme financier : la France décide d’autorité de dévaluer de 50 % le Franc CFA, au motif de mieux adapter la monnaie communautaire africaine à l’euro. L’onde de choc est ressentie même à l’alors Zaïre, à Kinshasa singulièrement, qui a développé d’intenses activités mercantiles avec Brazzaville.  Alors que les dirigeants politiques, Françafrique oblige, jouent à l’apaisement, économistes, acteurs de la société civile s’en révoltent d’autant plus pour les intérêts d’Air France, Paris s’emploie activement à clouer Air Afrique. Vingt-cinq ans plus tard, il est des chefs d’État et de gouvernement de la zone CFA qui disent tout haut leur ras-le-bol et tout le mal sur les vraies fausses garanties de la France sur la monnaie communautaire, portant des germes d’une colonisation perpétuelle en commençant par son appellation.

Le président guinéen, Alpha Condé, l’a rappelé à François Hollande, lors de leur récente entrevue. Franc des colonies françaises d’Afrique, le franc CFA est devenu le franc de la coopération financière en Afrique, après avoir symbolisé le franc de la Communauté financière africaine à la naissance de la Vè République française en 1958. Le contenu du FCFA est resté constant bien que le contenant soit en perpétuel changement. ça remonte à 1939. Par une guerre éclair, l’Allemagne nazie occupe la moitié de la France qui s’étendra ensuite à la totalité du territoire français et fait main basse sur le franc français et l’économie française. Le franc CFA (Franc des Colonies Françaises d’Afrique) naît officieusement pour les colonies françaises et servira de fonds souverains pour De Gaulle exilé en Angleterre pendant toute la période de guerre. En 1942, avec le FCFA, De Gaulle, fait réquisitionner les matières premières à vil prix dans les colonies d’Afrique et les vend à prix d’or en Angleterre et aux USA. Les réserves de change engrangées permettront alors de financer l’effort de guerre de la France Libre dont la capitale passe de Paris à Brazzaville.

Le 26 décembre 1945, le franc CFA sort de la clandestinité et naît officiellement. La totalité des réserves en devise servait à financer l’effort de reconstruction d’une France sortie très abîmée de la guerre.

En 1959, pour donner un peu d’autonomie aux États africains dans le cadre de la communauté, la France crée la BCEAO (Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest) et la BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale). Dans le cadre de ces banques centrales, la France concède 35 % des réserves en devise à ces anciennes colonies et s’octroie la part du lion (65 %) pour financer les institutions de la communauté. Les colonies n’étaient donc, aux yeux de la France, que des collectivités décentralisées de l’État français.

Les quatre (4) principes de la coopération monétaire entre la France et les États membres de la zone Franc ont épousé l’esprit de la fédération, à savoir la mise en commun des ressources financières depuis cette date jusqu’à ce jour, à savoir, la garantie du Trésor français à la convertibilité en Franc français (aujourd’hui en euros) des monnaies émises par les trois instituts d´émission de la zone, la  fixité des parités entre le Franc français (aujourd’hui l’euro) et le franc CFA, la liberté des transferts au sein de chaque sous-ensemble ainsi que la centralisation des réserves de change.

BCEAO et BEAC, simples officines  

Les indépendances de 1960 ont conservé l’esprit et la lettre de la communauté franco-africaine avec la ferme conviction que « La France n’a aucun intérêt à nous laisser dans les bras de la misère et de la pauvreté ». Toutefois, cette espérance du Père de la Françafrique avait un prix. Car, en contrepartie de ces principes et de cette profession de foi, les banques centrales de la zone Franc sont tenues de déposer une partie de leurs réserves de change (65 %, révisée à 50 % en 1999) auprès du Trésor français sur un compte d’opérations.

Le fonctionnement du compte d’opérations a été formalisé par des conventions successives entre les autorités françaises et les représentants des banques centrales de la Zone franc. Le compte reçoit des dépôts à vue ou à terme en provenance des pays africains de la zone Franc.

La France place ces ressources qui rapportent des intérêts par des opérations de crédit (en partie à l’Afrique). Une partie des intérêts sert à rémunérer le compte d’opérations et l’autre partie est à la discrétion du pouvoir français que l’on retrouvera sous forme d’aides diverses (Ministère de la coopération, assistance militaire au pouvoir ou aux rebelles, Banque Mondiale, FMI, AFD, UE-ACP, UA, BAD, CEDEAO, etc.). Par rapport au compte d’opérations, le Trésor français fonctionne donc comme la vraie banque centrale avec des agences que sont la BCEAO et la BEAC et comme une banque d’investissement actionnaire principale de l’AFD (agence française de développement), de la FED (Fond Européen de développement.

La confiscation systématique de 50 % des avoirs extérieurs des anciennes colonies par le Trésor français et le libre transfert des avoirs des opérateurs économiques des anciennes colonies vers la France favorisé par le code d’investissement qui exonère d’impôts les bénéfices des multinationales, réduisent de manière drastique l’épargne publique et privée.

Cette confiscation institutionnelle et systématique de l’épargne oblige les anciennes colonies à emprunter leurs propres ressources ainsi confisquées.

À titre d’exemple, le rapport annuel de la Banque de France sur les comptes de la BCEAO indique pour l’année 2010 (en milliards de FCFA) un compte d’opérations de 3 048,978 FCFA.

Pourtant, l’Afrique avec ses énormes richesses en matières premières exploitées au quotidien n’a pas besoin d’aide mais de souveraineté monétaire.

Le sous-développement de l’Afrique francophone  n’a donc pas d’autres causes que l’absence de souveraineté. Cette absence de souveraineté des pays d’Afrique francophone fait de ces pays les bases-arrière pour la déstabilisation des pays d’Afrique dans le cadre des accords UE-ACP. En 1957 lors des négociations du traité de Rome qui crée la Communauté économique européenne (CEE) – actuelle Union européenne (UE), De Gaulle obtient la création de la DG VIII, une direction générale de la Commission européenne chargée de gérer les fonds européens pour la mise en valeur des territoires coloniaux en vue d’un égal accès de l’économie européenne aux matières premières africaines. Afrique Caraïbes Pacifique

Après les indépendances, pour éviter la contagion de l’Afrexit de l’Algérie, de l’Egypte, du Ghana et de la Guinée, et avant la convention de Yaoundé en 1963 qui prolonge l’alliance CEE-ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) en les contextualisant, De Gaulle s’empresse de donner une forme juridique à la réquisition économique de l’Afrique pour assurer le maintien de l’économie coloniale de guerre sous surveillance de l’armée française dans ses ex-colonies. C’était la signature des accords de coopération militaro-économico-financiers de 1961 qui fondent la Françafrique pour financer la reconstruction de la France et contraindre les chefs d’États africains au respect de ses accords par le maintien de l’armée française sur leur sol. Ainsi les accords françafricains s’imposent aux accords CEE-ACP. Ces derniers deviennent le prolongement des premiers dont l’armée française devient le gendarme de l’Afrique, générateur des coups d’État et des rebellions pour déstabiliser toute tentative d’Afrexit.

Ces faits démontrent avec éloquence, que depuis toujours, les accords de coopération entre la France et l’Afrique en particulier et entre l’UE et l’Afrique en général permettent à la plupart des pays européens d’utiliser les richesses de l’Afrique comme leur fonds de souveraineté. L’apport fait par la zone Franc au trésor français par l’intermédiaire du compte d’opérations constitue son fonds de souveraineté qui retourne en Afrique sous forme d’Aide et de dette. Il faut ajouter à cela la balance au titre des revenus transférés qui est de 735,6 milliards de FCFA en 2010 au sein de l’UEMOA favorisée par le contrôle de l’épargne locale par des banques françaises. Pour la France et les françafricains, remettre en cause cette manne tombée du ciel des anciennes colonies, c’est être un criminel. Le cas de Laurent Gbagbo prouve à suffisence jusqu’où la France peut-elle aller.