Des acteurs sociaux font un réquisitoire sévère

En marge de la journée mondiale célébrée le 19 août, des altermondialistes congolais sont en campagne. Ils sensibilisent, à travers le pays sur l’impact négatif de cette assistance accordé par le pays riches sur le développement.

Des déplacées de guerre aux environs de Goma,
Des déplacées de guerre aux environs de Goma,

L’aide au développement est encore un sujet tabou. Depuis qu’elle a été mise en place par les pays riches, elle est instrumentalisée, devenant ainsi, selon certains une nouvelle forme de colonisation. C’est pourquoi, des altermondialistes congolais ont pris l’engagement, le 19 août, à l’occasion de la 5è journée mondiale de l’aide humanitaire, de sensibiliser la population sur l’impact de l’aide humanitaire ou de l’aide au développement sur le pays.

Créer des richesses

Des flux de capitaux ont été affectés à la RDC au cours de ces deux dernières décennies dans le cadre de l’aide humanitaire. «Ces flux d’aides n’ont pas suffi pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui arrivent à échéance cette année», fait remarquer Adrien Mavungu Vita, un acteur social. Quels sont donc les ingrédients manquants ? « Nous devons le plus nous intéresser à l’aspect sécurité du territoire pour que soient remises en place des conditions favorables à la croissance dans le cadre de la productivité du travail», affirme-t-il.

Selon la FAO, la guerre est la plus grande des causes qui donnent à des institutions internationales et philanthropiques à recourir à l’aide humanitaire. Elle perpétue la pauvreté, les maladies et la faim dans le monde. Outre les vies humaines, atteste Mavungu, l’agriculture est l’une des victimes principales des guerres. Les combats forcent les paysans à quitter leurs terres. Le bétail et les cultures sont pillés ou saccagés, les services de base (transport, eau, intrants et services vétérinaires) interrompus. Les femmes sont souvent en première ligne, réduites à pourvoir aux besoins de leurs familles dans des conditions extrêmes de pauvreté et d’insécurité. Beaucoup, victimes de viols en masse par des soldats, sont contaminées par le VIH/sida, une tragédie humaine qui a aussi un grave impact sur l’agriculture. L’environnement, enfin, paie un lourd tribut : déforestation, érosions, disparition de la faune sauvage et pollution de l’eau.

Après le conflit, les besoins vitaux comme un logement, de la nourriture et de l’eau ont la priorité. Mais pour un rétablissement et une paix durables, il faut des solutions durables permettant de rebâtir surtout la vie rurale et de ramener les agriculteurs aux champs. Le redémarrage de l’agriculture et son développement sont habituellement la première étape de la croissance économique et l’une des bases d’une paix encore plus solide et durable, pensent les humanitaires.

Reculer la pauvreté, un objectif non atteint

L’aide au développement accordée aux pays africains ne permet pas de faire reculer la pauvreté. Elle préoccupe la société civile qui considère que le sujet est encore tabou. Mettre en cause le bien-fondé des milliards d’euros ou de dollars déversés, chaque année, en Afrique est un sacrilège pour la grande majorité des dirigeants politiques occidentaux. Pourtant, l’économiste et altermondialiste zambienne, Dambisa Moyo, auteur d’un ouvrage à charge, dénonce non seulement l’inefficacité de l’aide mais aussi ses conséquences néfastes. Elle appelle de ses vœux un modèle de développement fondé sur le commerce et le marché. Au cours des cinquante-quatre dernières années, le montant total de l’aide au développement transféré des pays riches vers l’Afrique s’élève à plus de mille milliards de dollars. Ceci inclut des dons directs ainsi que des prêts à taux réduits. À l’heure actuelle, l’aide représente environ 15% du PIB de l’Afrique. Ceci a-t-il permis de faire reculer la pauvreté ? Non, répond Dambisa Moyo.

Au contraire, l’aide au développement encourage la corruption et permet à des régimes de se maintenir artificiellement.  Sur le plan économique, souligne Lucien Mateso, l’aide nuit à la compétitivité des secteurs productifs, réduisant leur capacité à exporter. « Elle contribue aussi au maintien des secteurs publics pléthoriques qu’il conviendrait de réformer en profondeur. Ce n’est donc pas un hasard si entre 1970 et 1998, c’est-à-dire durant la période au cours de laquelle l’aide au développement était au plus haut, la pauvreté a augmenté de 11% à 66% », explique-t-il.

Au fond, poursuit-il, l’aide souffre d’un défaut essentiel : elle détruit les incitations à évoluer, à se réformer et à se développer. Pour autant, sa suppression n’aggraverait-elle pas la situation ? « Au contraire, il s’agit d’une condition essentielle pour que la RDC, tout comme d’autres pays africains, trouvent le chemin d’une croissance durable », soutient Mateso. À la base de cette idée se trouve un constat simple : tous les pays qui ont connu un développement important, que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie, doivent leurs performances non pas à l’aide extérieure mais à leur capacité à créer des richesses. « Il y a plus de trente ans, le Malawi, le Burundi et le Burkina Faso disposaient d’un revenu par habitant supérieur à celui de la Chine. Depuis des années, la Chine connaît une croissance soutenue parce qu’elle a réussi à gagner en compétitivité et à attirer à elle des investissements étrangers. Ce n’est pas encore le cas de nombreux pays africains », faisait observer Dambisa Moyo dans son liure.

Des solutions à portée de main.

Qui offre des solutions possibles pour l’Afrique. Première piste de l’économiste : s’ouvrir au commerce extérieur et aux investissements directs étrangers. À l’heure actuelle, l’Afrique ne représente que 1% des échanges mondiaux alors qu’elle est proche d’un marché de taille, le marché européen. «Une réelle insertion dans le commerce international suppose un contexte politique et juridique stable, ainsi que des droits de propriété garantis». Autre piste : supprimer les subventions massives que les gouvernements américain et européens accordent à leurs agriculteurs. «Les paysans africains pourraient ainsi accéder aux marchés mondiaux et vivre de leur production. Ce qui serait beaucoup plus efficace que de leur octroyer des aides au développement», notait-elle. Enfin, plutôt que de se financer par des prêts à taux réduits, Dambisa Moyo suggère que les États africains se financent par émissions d’obligations sur les marchés de capitaux : « Ceci les pousserait à respecter une discipline plus stricte : ils devraient convaincre les investisseurs de leur solidité financière ». Derrière l’ensemble des propositions avancées par Dambisa Moyo transparaît une priorité unique : le respect des droits de propriété. Selon elle, cette recette fonctionne, ainsi que l’illustre le cas du Botswana, qui fait figure d’exception en Afrique.

Entre 1968 et 2001, la croissance moyenne y a été de 6,8% en raison des politiques favorisant la liberté économique : ouverture des marchés à la concurrence internationale, politique monétaire non inflationniste, pression fiscale modérée. « Il n’y a donc pas de fatalité concernant l’Afrique », martèle cette économiste. Avec précision et clarté, Dambisa Moyo montre la voie à suivre pour permettre un réel développement.


L’Afrique a davantage besoin d’entrepreneurs que d’argent

L’argent de l’étranger peut-il résoudre le problème du développement de l’Afrique ? Le débat se corse entre élites africaines au lendemain du cinquantenaire de l’Union africaine (UA). William Easterly est professeur d’économie à l’Université de New York et co-directeur de l’Institut de recherches pour le développement à NYU. Il répond par la négative à cette question cruciale du débat engagé par les élites africaines sur le devenir de leur continent. «En fait, après cinquante ans de tentatives et 600 milliards de dollars d’aide, avec une hausse presque nulle du niveau de vie en Afrique, je peux défendre la réponse non de manière assez claire », déclare-t-il.

Et comment ? « Les avocats de l’aide parlent des solutions peu coûteuses comme les sels de réhydratation orale à 10 cents qui permettraient de sauver un bébé mourant de maladies diarrhéiques, le médicament contre le paludisme à 12 cents qui sauve quelqu’un du paludisme ou les moustiquaires à 5 dollars qui les empêchent de contracter le paludisme en premier lieu. Pourtant, malgré l’afflux de l’argent de l’aide, des millions de bébés meurent encore de maladies diarrhéiques, plus d’un million meurent encore du paludisme, et la plupart des victimes potentielles du paludisme ne dorment toujours pas sous des moustiquaires», illustre-t-il son propos.

De toute évidence, pour ce professeur d’économie, l’argent seul ne résout pas les problèmes : «Ce qu’il faut, au contraire, ce sont des entrepreneurs dans le domaine économique, social et politique qui soient responsables, par exemple, de s’assurer que les médicaments arrivent aux victimes, plutôt que des slogans magnifiques sur les solutions administratives qui ne servent que de véhicules de publicité pour augmenter encore plus l’argent pour des bureaucraties inefficaces de l’aide». Les entrepreneurs, explique-t-il, seraient responsables des résultats, contrairement aux bureaucrates de l’aide et les politiciens des pays riches qui font des promesses dont personne ne les tient pour responsables.

Quant à faciliter le développement en Afrique, il dit : «La libre entreprise est le véhicule qui a fait ses preuves pour échapper à la pauvreté partout ailleurs (voir la Chine et l’Inde plus récemment) et il est tout simplement condescendant de prétendre que cela ne fonctionnera pas en Afrique. L’espoir de l’Afrique vient davantage de quelqu’un qui, comme l’homme d’affaires Alieu Conteh, a commencé une entreprise à succès de téléphone cellulaire en RDC dans le chaos de la guerre civile, que de célébrités défendant l’aide comme Bono».