Des centaines de kilomètres à pied pour survivre

Ils préfèrent parcourir de longues distances à travers la ville pour vendre leur marchandise, plutôt que d’ouvrir une boutique ou disposer d’un étal au marché. Pour les vendeurs ambulants, qui luttent pour la survie, la rue est plus rentable.  

Un vendeur de pommes sur l’avenue de la Libération.
Un vendeur de pommes sur l’avenue de la Libération.

Christine Mukasongo, la cinquantaine, un bassin sur la tête, reprend son train-train quotidien. Après avoir acheté des bottes de feuilles de manioc auprès de maraîchers à Kinsuka, elle traverse plusieurs communes de la capitale, avale des kilomètres, signale son passage en informant les potentiels clients à haute voix, qu’il vente ou qu’il pleuve. Tout ce qu’elle veut c’est écouler sa marchandise. Et elle travaille trois fois par semaine. « Je me réveille très tôt, vers 5 heures du matin, pour me rendre à Kinsuka. Ma tournée se termine vers 17 heures. Il m’arrive parfois de rentrer beaucoup plus tôt quand les clients sont nombreux », dit-elle. Sa clientèle est constituée à la fois d’acheteurs fidèles – qui peuvent même prendre ses feuilles de manioc à crédit – et d’acheteurs occasionnels. La marchandise lui coûte 10 000 francs. Quand elle revend, ses bénéfices se situent entre 7 000 et 10 000 francs lorsque ses produits viennent de Kinsuka. Si elle achète ailleurs où c’est plus cher, sa marge bénéficiaire est assez étroite.  Pour attirer le plus de clients possible, d’autres vendeurs ambulants ne sont pas en panne de stratégies. C’est le cas de Jean-Pierre Muteba, 28 ans, qui vend de petites balles dont les tout petits raffolent, ce qui incite les parents à les leur acheter. Il revend à 500 francs, la pièce, ce qui lui coûté 300 francs dans un magasin chinois. De la commune de la Gombe, à Bandalungua, en passant par Ngaliema et Kintambo, il court derrière un bénéfice journalier de 14 000 francs. Jean-Pierre Muteba est dans la vente de beaucoup de produits. Quand il va s’approvisionner, au marché central ou ailleurs, il privilégie la nouveauté. « Je vends beaucoup d’autres choses comme des assiettes, des couteaux, des gobelets, des parasols », indique-t-il. Pour travailler dans la sérénité dans cette débrouille, ce jeune de Masina, une commune dans l’Est de Kinshasa, préfère être loin des regards de ceux qui le connaissent. « Bien sûr qu’il n’y a pas de sot métier… Mais il y a certaines personnes qui, pour ce que vous faites, peuvent ne plus avoir de considération pour vous. J’essaye d’éviter ce genre de désagrément », se justifie-t-il.

Le malewa ambulant    

Le commerce ambulant n’a cessé de prendre de l’ampleur à Kinshasa. Aujourd’hui, un nouveau phénomène est visible dans les rues : des « restaurants » mobiles, qui n’ont rien à voir avec la charcuterie, les arachides ou encore le manioc qui sont souvent proposés. Le plus en vedette, depuis quelques temps, s’appelle « evida », un plat constitué de poisson fumé accompagné généralement de chikwangue. Elles sont de plus en plus nombreuses, les femmes qui, seau en plastic transparent sur la tête, parcourent les rues de la ville pour vendre ce plat aux plus défavorisés. « Elles passent chaque jour et nous permettent d’avoir quelque chose à manger rapidement pendant les heures de pause », commente un mécanicien à Ngaliema. Depuis un certains temps, l’on découvre également, dans les rues, des vendeurs vêtus de blouses blanches. Ils proposent généralement des grillades accompagnées de bananes plantains ou de chikwangue. Chaque jour, Gaston Kabeya, l’un d’eux, passe chez un fournisseur. Lui qui peut vendre jusqu’à 70 000 francs par jour affirme gagner, par mois, 25 % de son capital.

Des expatriés s’en mêlent     

Le commerce ambulant n’est pas l’apanage des seuls Congolais. Quelques expatriés s’y sont mis. A l’instar de Hadji, Sénégalais, que d’aucuns connaissent pour son café fortifiant à base, notamment, de gingembre. Il vend la mesure à 200 et 300 francs. « C’est vraiment un café efficace pour le corps», reconnaissent, en chœur, quelques porteurs de sacs de ciment à l’entrée de Mont Fleury qui sont parmi les plus fidèles consommateurs du « fortifiant ». « J’ai commencé ce commerce depuis Dakar. Je le continue ici depuis quatre ans », ajoute Hadji. Alors que les jeunes Ouest-africains sont plus connus, dans la capitale, pour leurs activités de grillade, Hadji préfère parcourir les rues de Kinshasa avec ses quatre thermos de café. Il dit, d’ailleurs, n’être pas le seul Sénégalais à se lancer dans cette spécialité.

Plus rapide et bénéfique      

Nationaux ou expatriés, ces commerçants restent unanimes sur une chose : la vente ambulante leur permet d’écouler plus rapidement leur marchandise. « Sur un étal au marché, je peux faire trois à quatre jours avec la même quantité de marchandises alors que je peux tout écouler en une journée en marchant. Certes, c’est pénible de parcourir de longues distances, mais cela me permet de toucher chaque jour l’ensemble de mon bénéfice », argumente Maguy Kisita, 40 ans, vendeuse d’arachide et de manioc. Elle espère gagner, à la fin de la journée, 10 000 francs sur les arachides achetées à 20 000 francs. « C’est avec ce fonds que j’entretiens ma petite famille », ajoute celle qui s’est lancée dans cette activité depuis l’âge de 13 ans.  Evoluant dans l’informel, ces commerçants ne payent aucune taxe à l’Etat. Leur unique et grande difficulté c’est qu’ils sont souvent interdits de vendre dans le centre ville. Maguy Kisita a vu souvent sa marchandise confisquée par la police. Depuis, elle n’ose plus trop s’aventurer à la Gombe.