Des réformes, vite et maintenant

Dans un pays où plus de 80 % des populations vivent dans les zones rurales mais aussi dans la pauvreté, voire dans une extrême pauvreté, la problématique de la petite finance devient éventuellement délicate pour la RDC. Heureusement, il y a encore des gens dans ce pays qui réfléchissent.

Les rideaux sont tombés sur le Salon Expo Microfinance, édition 2017 organisé par l’Agence Privilège. Pendant deux jours (5-6 avril), le salon Virunga de l’hôtel Memling de Kinshasa a refusé du monde. Signe de l’intérêt que le public en général attache à la question de l’inclusion financière en République démocratique du Congo. Les conférences thématiques ont été articulées autour des problématiques qui sont pour autant aujourd’hui des enjeux majeurs pour l’inclusion financière.

Avec un certain retard sur certains pays d’Afrique autour d’elle, la RDC commence à utiliser les mécanismes classiques de la microfinance. En témoigne le dynamisme des institutions de microfinance (IMF) qui émergent à travers le pays mais aussi l’ancrage des coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC). En organisant le Salon Expo Microfinance, l’Agence Privilège ne pensait peut-être pas si bien faire. Deux jours d’exposition de produits, deux jours de rencontres autour des conférences thématiques, six au total, et au bout du compte la satisfaction des participants. La plupart ont témoigné être sortis de cet événement avec un plus après avoir suivi les conférences.

Pour la journée du 5 avril, le premier thème a porté sur les problématiques de l’instabilité du système financier : causes et solutions pour un développement durable du secteur de la microfinance. Le deuxième thème a été centré sur l’éducation financière dans l’inclusion financière. Quels enjeux pour l’émergence d’un secteur de microfinance solide et pérenne au service de la population congolaise ? Quant au troisième thème, les communications ont tourné autour de Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Comme une stratégie de développement pour les institutions financières ou une solution pour les exclus des services financiers en RDC (mobile banking, messagerie financière).

Lors de la seconde journée, le 6 avril, les participants ont suivi des communications sur la centrale des risques : surendettement des débiteurs et crise de liquidité des institutions de microfinance (premier thème), les femmes petites commerçantes transfrontalières : opportunités et défis pour le secteur de la microfinance en RDC (deuxième thème), et microfinance : une protection pour le demandeur de crédit face aux garanties exigées par les institutions de microfinance et les coopératives d’épargne et de crédit (troisième thème).

Diagnostic

Dans un contexte d’inclusion financière très faible mais en réelle progression (5,7 % de la population totale), la microfinance ne représente qu’un faible poids (en volume : 5,9 %) par rapport à l’ensemble des transactions financières (total bilantaire) en RDC. Cependant, elle s’avère être un des piliers importants sur lequel peut s’appuyer l’économie nationale en matière d’inclusion financière.

Selon les statistiques de la Banque centrale du Congo sur le secteur de la microfinance, arrêtées à décembre 2013, le pays compte 126 COOPEC et 23 IMF agréées par la BCC. Il existe, en outre, un grand nombre de systèmes informels tels que des tontines, des groupes d’entraide ou des fournisseurs d’intrants à crédit.

D’après l’expert de la BCC, Serge Mputu, le secteur de la microfinance en RDC répond à une réalité historique. Au départ, une activité exercée à la fois par des sociétés de type coopératif, des ONG et des institutions financières bancaires, elle devient entre 1970 et 1990 l’activité des COOPEC, qui émergent dans le pays et s’implantent dans des endroits reculés et dépourvus de banques. Cependant, les COOPEC vont perdre entre 1991 et 1993 près de 80 % de leurs membres et 66 % des fonds placés dans les banques de dépôts du fait des pillages qui ont porté un coup fatal à l’économie nationale. Après la faillite de la plupart des COOPEC, il y a eu une naissance dynamique des IMF, surtout au Kivu (Kinshasa ayant suivi le mouvement) et une renaissance des COOPEC.

Les COOPEC ont dominé le secteur de la microfinance en RDC en termes de nombre d’institutions (88,4 %), mais aussi de total bilantaire (70,5 %). Mais depuis 2013, ce sont les IMF qui ont renversé la tendance grâce à leur dynamisme, explique l’expert Serge Mputu. Certaines banques, notamment

la TMB, l’Advans Banque, la ProCredit Bank rachetée par Equity Bank, et la Rawbank offrent, de plus en plus, des produits similaires à ceux des IMF.

Les IMF et COOPEC sont parfois accessibles à des endroits très reculés, dépourvus d’infrastructures de base. Trois principaux éléments caractérisent le secteur de la microfinance en RDC : démarcation factuelle et légale des institutions mutualistes (COOPEC) des institutions non mutualistes (IMF), absence d’autosuffisance opérationnelle, concentration des activités dans les deux Kivu et à Kinshasa. Les COOPEC sont régis par la loi n° 002/2002 du 2 février 2002, qui instaure le régime d’agrément et de supervision par la BCC… Les IMF, quant à elles, sont soumises à la loi n° 11/020 du 15 septembre 2011 promulguée le 25 février 2013. La loi distingue les entreprises de microcrédit des sociétés de microfinance. Ces sont les seules habilitées à collecter l’épargne du public.

Les produits de base

La loi et les nouvelles instructions de la BCC prises en application, opèrent un renforcement des conditions d’agrément et d’exercice, avec notamment pour les sociétés de microfinance, un capital minimum passé de 100 000 dollars à 350 000 dollars, et projeté à 700 000 au 1er janvier 2017. Il y a lieu de noter que la loi autorise les IMF à fournir certains services financiers annexes, tels que le transfert d’argent, la mise à disposition et la gestion de moyens de paiement, la distribution (mais pas l’émission) de monnaie électronique. Toutes les IMF sont aussi assujetties à certaines normes de transparence financière et de protection des clients mais seules les sociétés de microfinance sont placées sous supervision prudentielle de la BCC.

Les deux produits classiques habituellement offerts par toutes les IMF et COOPEC-MEC en RDC sont l’épargne et le crédit, avec un faible taux de transformation de cette épargne en crédit. Les épargnants étant des personnes à faibles revenus, ils retirent fréquemment leur épargne pour faire face à leurs multiples besoins. La principale activité financée par le crédit accordé par ces institutions demeure le commerce (69 %) avec des délais moyens de remboursement compris entre quatre et six mois. Plus de 70 % des IMF se spécialisent dans le crédit de groupe, avec pour toile de fond le recours à la caution solidaire légalement reconnue (article 44 de la loi 11/20 du 15 septembre 2011) et la possibilité de transférer le risque du prêteur vers l’emprunteur (groupe d’emprunteurs) lorsque le capital social existe réellement entre les membres du groupe et que la pression sociale opère efficacement, fait remarquer Serge Mputu.

La plupart des COOPEC qui, au départ, n’accordaient que du crédit individuel, ajoutent le crédit de groupe à leur méthodologie, non seulement pour mieux servir les personnes n’ayant pas de garanties matérielles, mais surtout pour améliorer la qualité de leur portefeuille de crédit. Le crédit à la consommation se chiffre à 11 % de l’offre, mais il est généralement garanti par la domiciliation des salaires. Avec la bancarisation de la paie des fonctionnaires et bientôt des employés du secteur privé, les IMF et les COOPEC-MEC sont en train de perdre la clientèle qui demande souvent ce type de crédit au profit des banques commerciales de détail.

La part du crédit habitat est de 8 % et concerne surtout l’amélioration de l’habitat des clients concernés plutôt que l’investissement dans l’immobilier. Il ne s’agit donc pas de crédit hypothécaire. Pour sa part, le crédit agricole ne représente que 3 % du portefeuille des crédits à cause de la brièveté des échéances des ressources prêtables dont disposent actuellement les institutions. Les délais requis par le financement agricole sont généralement plus longs. Cela s’explique aussi par la forte concentration des institutions en milieux urbains et d’importants risques covariants caractéristiques des opérations agricoles.

Les produits de transfert d’argent, bien qu’autorisés par la loi au titre d’activités connexes ne sont actuellement offerts que par un réseau d’institutions mutualistes au travers d’une société filiale dénommée Société de transfert du Congo (STC).

Même si les IMF et les COOPEC n’utilisent pas encore le mobile banking, il existe à Kinshasa un produit mis en place par une IMF internationale : le POS (point of sale) ou TPE (terminal des paiements électroniques). Le secteur est actuellement dominé par les institutions à capitaux étrangers.