Des religieuses « corvéables à merci » dénoncent leurs conditions de travail

Des nonnes du Vatican ont affirmé travailler de l’aube au coucher pour des prélats, sans rémunération ni reconnaissance. Un phénomène qui s’étendrait bien au-delà du Saint-Siège.

Des religieuses seraient reléguées au rang de domestiques dans les services du Vatican : c’est ce que révèle une enquête parue début mars dans un supplément du journal officiel du Saint-Siège, L’Osservatore Romano. Plusieurs sœurs anonymes ont raconté leur quotidien au journal, fait de longues heures à repasser, à laver, à faire à manger, pour des évêques et des cardinaux, et sans être rémunérées ni traitées avec respect. « Les sœurs sont vues comme des bénévoles corvéables à merci, ce qui donne lieu à de véritables abus de pouvoir », affirme l’une d’elles.

Faire la cuisine et la vaisselle

« J’en connais, employées au service d’hommes d’Église, qui se lèvent aux aurores pour préparer le petit-déjeuner et se couchent une fois que le dîner a été servi, la maison remise en ordre, le linge blanchi et repassé », raconte sœur Maria (les prénoms ont été changés), qui accueille à Rome depuis une vingtaine d’années des religieuses venues du monde entier. « J’ai connu des sœurs ayant un doctorat en théologie qui, du jour au lendemain, étaient envoyées faire la cuisine et la vaisselle, sans mission en lien avec leur formation intellectuelle et sans véritable discussion », poursuit-elle. Ces nonnes ont même été renommées les « sœurs pizza » par un journaliste d’information religieuse romain, en référence à leur « emploi ».  Et de ces tâches, les religieuses « n’ont pas d’horaires précis ni réglementés », et la rémunération est « aléatoire, souvent très maigre », voire inexistante, poursuit sœur Maria. « Une de mes sœurs anime les chants à la paroisse d’à côté et assure des conférences de Carême sans recevoir un centime… Alors que si un prêtre vient dire la messe chez nous, il nous facture 15 euros », relate pour sa part sœur Paule. « Cela crée une rébellion intérieure très forte. Elles vivent dans une grande frustration », raconte encore sœur Maria, affirmant que certaines nonnes en viennent à prendre des anxiolytiques pour « tenir bon ».

« Les faits rapportés sont extrêmement répandus, cela se retrouve dans les fibres de toutes les organisations catholiques. Et c’est particulièrement criant au Vatican », commente pour Europe1.fr Anne Soupa, présidente du Comité de la jupe, qui défend les droits des femmes dans l’Église catholique en France. « Au Vatican, il y a une flopée de cardinaux qui vivent dans des conditions immobilières luxueuses, mais parce qu’ils n’ont pas trop de revenus, ils ‘embauchent’ des religieuses comme des domestiques, sans contrat, détachées par leur congrégation », détaille-elle.

Cette journaliste spécialisée assure que ce phénomène se retrouve aussi en France, mais dans une moindre mesure. « Dans les épiscopats, ce sont souvent les religieuses qui font le service, elles font des travaux domestiques et elles sont mal considérées. Une religieuse peut aller faire deux, trois heures par jour (de ménage, ndlr) chez un évêque et n’est souvent pas déclarée pour cela », illustre-t-elle. « Il y a aussi des femmes qui peuvent tenir des conférences sans être rémunérées, parce qu’on estime qu’elles n’ont pas besoin d’être payées. On part du principe qu’elles doivent rendre service, servir avec humilité. »

Pour sœur Paule, cela résulte d’une confusion entre la notion de service et de gratuité, dit-elle dans L’Osservatore Romano : « Nous sommes héritières d’une longue histoire, celle de saint Vincent de Paul et de tous ces gens qui ont fondé des congrégations pour les pauvres dans un esprit de service et de don. Nous sommes religieuses pour servir jusqu’à la moelle et, de là, s’opère un glissement dans l’inconscient de pas mal de gens dans l’Église, avec le fait qu’il n’est pas dans l’ordre des choses d’être rémunérées. » Mais au-delà de la seule question pécuniaire, les religieuses souffrent d’un manque de reconnaissance professionnelle et personnelle. D’après les témoignages recueillis, elles sont ignorées et parfois humiliées par les prélats qu’elles côtoient. Le phénomène serait tel que, d’après sœur Maria, des supérieures refusent que les religieuses poursuivent leurs études de théologie pour ne pas devenir « orgueilleuses ».

Un prête est tout, une nonne n’est rien 

« Les religieuses ne sont pas considérées comme l’égale de l’homme, elles n’ont pas de prix, on ne les voit même pas. Dans un climat général, on ne parle que des prêtres », dénonce à son tour Anne Soupa, affirmant que « l’Église catholique est le dernier bastion du patriarcat ». Et si ces religieuses se taisent sur leurs conditions, c’est parce qu’elles ont été éduquées à une « obéissance absolue » envers l’Église catholique, poursuit-elle. « Il y a un respect de l’autorité, et la conscience qu’une femme est un être moindre que l’homme. » Une sœur interviewée dans L’Osservatore Romano résume ainsi : « Un prête est tout, une nonne n’est rien. » La parution de cette enquête intervient à la veille de la journée internationale des droits des femmes, et dans un organe de presse officiel du Vatican, « cela signifie que des décideurs, au Saint-Siège, souhaitent faire bouger les choses », analyse pour France 24 Josselin Tricou, sociologue spécialiste des questions de genre dans la religion catholique. Dans la préface d’un ouvrage sur les femmes à paraître en Espagne, le pape François s’est d’ailleurs dit « préoccupé par le fait que dans l’Église elle-même, le rôle du service auquel chaque chrétien est appelé glisse souvent, dans le cas des femmes, vers des rôles de servitude ». Le mouvement #MeToo va-t-il contribuer à libérer la parole des femmes aussi dans l’Église catholique ? « C’en est le signe. Mais le problème c’est : est-ce que les religieuses vont oser aller plus loin ? Ce n’est pas sûr… C’est à la société civile de les aider à comprendre que ça ne peut plus durer », estime Anne Soupa. Pour l’heure, le Saint-Siège n’a pas réagi à la parution de cet article.

La question de la place des femmes dans l’Église catholique a été au cœur d’un colloque, jeudi 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, à Rome. Le colloque « Voix de foi », tenu par un réseau de femmes catholiques, appelle l’Église à inclure davantage les femmes dans ses décisions, au risque d’assister à « l’exode de jeunes femmes talentueuses et éduquées » de ses rangs. Alors qu’elle se tenait depuis quatre ans au sein même du Vatican, la conférence aura lieu pour la première fois jeudi en dehors de ses murs en raison de la protestation d’un cardinal, qui l’a jugée « non-conforme à l’enseignement de l’Église ». Signe que la vague #MeToo n’est pas prête à toucher le Saint-Siège.