Didier Leroy, le French gagne plus que le PDG japonais chez Toyota

Selon ce que rapporte RFI, la firme japonaise a versé, pour la première fois de son histoire, plus d’un milliard de yens de salaire (environ 8 millions d’euros) à son numéro deux, premier non-Japonais à avoir intégré en 2015 la vice-présidence exécutive de l’entreprise.

Dans un Japon où les dirigeants d’entreprises sont beaucoup moins payés qu’ailleurs, rapporte RFI, la firme automobile Toyota Motor a versé, pour la première fois de son histoire, plus d’un milliard de yens de salaire (environ 8 millions d’euros) à son numéro deux, le Français Didier Leroy. Il est le tout premier non-Japonais à avoir intégré en 2015 la vice-présidence exécutive de l’entreprise. Selon l’information de RFI, cet ingénieur français gagne aujourd’hui près de trois fois plus que son patron AkioToyoda, membre de la famille fondatrice de Toyota.

Comme le dit RFI, c’est vraiment une première dans l’histoire de Toyota – n°1 mondial de l’automobile, entreprise multinationale, mais à caractère encore familial et connue pour la modicité de ses salaires. Son vice-président Didier Leroy a vu sa rémunération augmenter de 50 % l’an dernier, pour atteindre un montant de plus de 8 millions d’euros, bonus inclus. Par comparaison, le salaire du PDG AkioToyoda n’a augmenté que de 18 % sur un an, atteignant 2,9 millions d’euros. Aujourd’hui, Didier Leroy, ancien cadre de Renault, gagne trois fois plus que son patron AkioToyoda, dont le grand-père créa Toyota.

Le constructeur justifie cette différence par les standards de rémunération pratiqués dans les autres pays. Les cadres japonais, eux, sont payés à l’ancienneté et leur salaire progresse lentement et modestement. En échange, ils bénéficient de l’emploi à vie. Une étude internationale a révélé que les patrons japonais ayant plus dix milliards de dollars de chiffre d’affaires par an ne gagnent en moyenne que 10 % des revenus des patrons américains.

Portrait et trajectoire

Vice-président de Toyota, Didier Leroy est le seul européen dans l’état-major du constructeur japonais. Ancien directeur de l’usine d’Onnaing, ce « Nordiste » devenu le n°2 de Toyota est un ingénieur français, seul non-Japonais à être jamais arrivé à ce niveau. La première fois qu’un chasseur de têtes le contacte pour lui dire qu’il intéresse Toyota, Didier Leroy l’éconduit. Il travaille alors avec Carlos Ghosn à la tête de Renault, il n’a aucune envie de partir. L’autre insiste : le responsable de la production monde de Toyota veut venir le voir à Paris. 

Didier Leroy croit à une blague. Cédant à la curiosité et peut-être à la flatterie, il se rend au rendez-vous. Et réalise que le Japonais est venu de Tokyo exprès pour lui. Son avion a atterri à 20 heures et redécolle à 6 heures. À peine assis, l’homme sort un brouillon de plan d’usine : « On n’a jamais réussi chez Toyota à faire une petite usine compétitive, on veut que vous vous en chargiez sur le site de Valenciennes, vous aurez carte blanche.» Là, Leroy est déstabilisé. « J’avais d’un côté l’occasion de bosser avec Carlos Ghosn, de l’autre, celle de démarrer une usine de zéro alors que tout le monde pensait qu’on ne pouvait plus rien produire en France. J’ai dit banco ! » C’était en 1998. Aujourd’hui, ce Ch’ti est le n°2 du premier constructeur automobile mondial.

Et pourtant, il n’a quasi rien changé à sa façon de vivre. Il passe deux semaines par mois à Tokyo, à l’hôtel, et le reste du temps sillonne le monde dans un jet Gulfstream du groupe. Mais il s’arrange pour revenir tous les week-ends, ou presque, à Lille retrouver sa femme, Patricia, prof de techno dans un collège. Là, il quitte le costume, court 8 à 10 km le samedi et le dimanche matin avec son voisin, et enfourche sa BMW depuis qu’il a son permis moto. Sinon, il roule en Lexus, la marque haut de gamme de Toyota, et sa femme en Yaris. Toutes deux motorisées hybrides…  Didier Leroy aurait pu être footballeur. C’est sa passion première, mais une blessure à la cheville a réduit ses rêves à néant. Il aurait bien été médecin, mais un ami de la famille l’en a dissuadé. Alors il a intégré une école d’ingénieur, à la grande satisfaction de ses parents. Son père a fait toute sa carrière à la Sécurité sociale de Douai. Sa mère travaillait dans un magasin de chaussures. Fils unique, il n’avait pas trop la pression même si le redoublement de sa 5e n’est pas très bien passé. Idem quand le prof principal a dit, un brin agacé, à ses parents : « Quand on est au tableau et qu’on entend dans son dos la classe se tordre de rire, on sait qu’on peut dire : ‘’Leroy dehors’’ » Comme quoi, on peut avoir été un élève dissipé et diriger un des plus gros groupes du monde. L’homme n’a guère changé, il continue à faire des blagues. Il paraît même qu’il fait rire AkioToyoda.

Ancien de Renault

Chez Renault, il avait débuté en travaillant deux ans sur une chaîne de production pour comprendre les rouages du métier. Chez Toyota, il commence par monter une usine, celle d’Onnaing, près de Valenciennes, qui produit la Yaris. « Quand je suis arrivé, de bonnes âmes m’ont dit :’’Tu n’auras jamais de responsabilités car il y aura toujours un Japonais sur ton épaule’’ Moi, mon objectif n’était pas le positionnement hiérarchique, je voulais apprendre. Et ensuite capitaliser cette expérience pour obtenir leur confiance. » Il l’a vite obtenue.

En 2007, AkioToyoda lui propose d’étendre ses responsabilités industrielles à l’Europe. Didier Leroy accepte et passe deux à trois jours par semaine à Bruxelles. En 2009, nouveau coup de fil, Toyoda lui propose de gérer aussi les ventes et le marketing. « Mais… je n’en ai jamais fait !  », s’exclame Leroy. « Pas grave », lui répond le patron. Un an plus tard, Toyoda confie au Français l’ensemble des activités Europe, soit 25 000 personnes. Frappé de plein fouet par le contrecoup de la crise financière de 2008, Toyota Europe vient de finir l’année 2010 en pertes et prévoit de rester cinq ans dans le rouge. Didier Leroy promet à ses troupes le retour aux bénéfices au bout de trois ans. « Dans quelle boîte au monde un actionnaire accepte-t-il que ses équipes s’engagent à faire cinq ans de pertes ? Il faut redonner du sens à ce qu’on fait, montrer qu’on a un vrai projet, quelque chose de positif pour lequel se battre ! », les harangue-t-il.

Pour lui, tout passe par le choix de bons leaders. Il organise neuf séances de deux heures pour l’encadrement de Bruxelles, et leur explique ce qu’il attend d’eux à partir d’une fiche plastifiée qui ne quitte jamais la poche de sa veste. Lors d’une convention mondiale du groupe, AkioToyoda lui a demandé d’expliquer le principe de sa fiche, il n’en est pas peu fier. « Je ne crois qu’à l’humain, une des valeurs de Toyota. Et pas seulement aux jeunes. L’expérience, c’est important. » Et ça marche.

Didier Leroy a mis toute l’entreprise dans sa poche, d’AkioToyoda – qui l’a propulsé n°2 – aux syndicalistes d’Onnaing qui ne tarissent pas d’éloges. « Même si certains l’appellent ’’le Requin blan’’ – parce qu’il en veut -, il est très proche des gens, très apprécié chez nous, on regrette de ne pas le voir davantage. Et il sait d’où il vient » (CFDT). « Il est franc et direct, très présent, il s’est toujours battu pour que la société reste pérenne, mais il n’y est pas arrivé tout seul, c’est aussi grâce aux efforts des salariés, vous l’écrirez, hein ? » (FO). Pour Jean-Louis Borloo, ex-maire de Valenciennes, Didier Leroy est « un industriel hors normes qui a gardé une incroyable simplicité ». Impossible de trouver la moindre critique.