Dieudonné Kasembo, vice-président national FEC/PME

« Un financier américain a dit : l’argent va où il est bien accueilli et reste là où il est bien traité ».

Avant de prendre définitivement la décision qu’il faut investir, plusieurs ne le savent pas, qu’une telle décision découle de l’analyse du risque d’investissement et qui tient à plusieurs facteurs, notamment le contexte politique et économique d’un pays, la taille du marché, le niveau du pouvoir d’achat de la population, la sécurité juridique et judiciaire, la qualification de la main-d’œuvre, l’état des infrastructures, la disponibilité des matières premières, les démarches administratives, le niveau de prélèvement obligatoire, les incitations et autres facilités pour attirer et promouvoir l’investissement.

Il va de soi que tous ces facteurs n’ont pas la même importance et la même considération. Le poids de chaque facteur peut varier suivant certains types d’investissements, et éventuellement les mesures d’atténuation disponibles relatives à la couverture du risque en présence que représente un facteur. Étant donné l’étroite relation entre le développement et l’investissement, l’attrait des investissements est devenu de plus en plus un enjeu majeur pour les États. Les différents gouvernements du monde se livrent une compétition permanente au même titre que le font les entreprises concurrentes sur le marché commercial.

C’est ainsi que les stratégies et politiques publiques de gouvernance sont dynamiques pour mettre en place un environnement des affaires intéressant pour les opérateurs qui exercent déjà et attirer des nouveaux investisseurs.

Doing Business, un motif d’émulation

Le classement Doing Business publié chaque année par la Banque mondiale sur la facilitation de faire les affaires dans les économies est un motif d’émulation pour les États conscients de cet état des choses et qui s’engagent résolument dans les réformes audacieuses et courageuses. Parmi les facteurs déterminants de la décision d’investir mentionnés ci-haut, je voudrais m’appesantir sur le rôle des prélèvements obligatoires dans la prise de cette décision. La fiscalité est un facteur décisif qui est classé en ordre utile lorsque l’on considère son impact sur la réalisation d’un projet d’investissement. En effet, les prélèvements obligatoires affectent de deux manières la décision d’investir.

Premièrement, ils augmentent les charges d’exploitation des entreprises. Le niveau des coûts de production des biens et services est un facteur très pertinent qui influence sensiblement la décision d’investir. Il permet de comparer la compétitivité d’un espace à un autre et est à la base des délocalisations enregistrées ces dernières années dans le monde. Ce n’est pas en vain que le code des investissements dans beaucoup de pays s’évertue à accorder des avantages dits fiscaux aux investisseurs au titre d’incitant à l’investissement.

Sur cette question d’accroître les charges d’exploitation des entreprises par le biais des prélèvements à caractère obligatoires, la RDC n’est pas un modèle. Il est déploré, en effet, des changements intempestifs des règles, des modifications régulières des taux qui interviennent après que l’investissement a déjà été réalisé. Ce qui vient modifier toutes les prévisions de l’opérateur économique et rendre moins prévisible son action. Des changements de procédure dans l’exercice de leurs missions, juste pour répondre au besoin de contraintes budgétaires assignées aux fonctionnaires de fiscalité par leurs régies.

Nous citerons comme exemple, le système du circuit orange mis en place par la DGDA, remettant en cause le sacro principe de la valeur transactionnelle, il nous est imposé une valeur mercuriale. À longueur de journées, les taxes sont créées pour répondre au non-paiement de 40% de rétrocession aux gouverneurs de provinces ou pour permettre aux différents ministères de faire des recettes sur le dos des opérateurs économiques. La SNEL n’étant pas en mesure de couvrir la fourniture de l’énergie nécessaire, l’opérateur investi dans l’acquisition d’un générateur, un investissement supplémentaire, l’investisseur est taxé parce qu’il utilise un générateur.

L’investisseur pour fonctionner organise une fourniture en eau potable par forage ou un pompage privé, il doit payer à la DGRAD de l’argent. Tout retard de paiement parce que les affaires ne marchent pas ou dès qu’il a un contentieux, des saisies des comptes sont opérées dans des banques empêchant l’opérateur de fonctionner. Nous pouvons compter à ce jour plus de 200 taxes qui sont prélevées auprès des investisseurs qui sont des charges fiscales, qui empêchent les opérateurs de prospérer et du coup à attirer des nouveaux investisseurs. Une TVA prélevée auprès d’un opérateur économique bénéficiaire des avantages liés au code des investissements, quand va-t-il terminer à récupérer la TVA qu’il avait payé.

La multiplicité de contrôle qui frise parfois la tracasserie faute de maitrise par les fonctionnaires préposés à exécuter le contrôle, comme par soucis coûte que coûte à toucher les 40% des verbalisants. La plupart des fonctionnaires engagés par certains ministères ne maitrisent pas le fait générateur faute de formation ou d’expertises, ils abusent de leur position. À cause de la multiplicité de taxes à l’interne, certains produits locaux coûtent plus cher que les produits importés.

Le manque de l’équité fiscale, vous vous retrouvez dans un même marché avec certaines personnes qui bénéficient des allègements fiscaux sans justifications réelles. L’application d’un taux uniforme de TVA sur tous les produits à l’importation fait que certains opérateurs préfèrent importer via certains pays voisins où le taux global de dédouanement est alléchant au lieu d’importer pour la RDC. Ces modifications s’appliquent sur les opérateurs ayant déjà investi au regard des certaines données, les nouvelles viendront les perturber.

Ainsi, la FEC après consultation de ses membres disséminés à travers le pays, chaque province avec ses spécificités économiques et évoluant dans divers secteurs d’activités, constate fort malheureusement, que la politique fiscale en vigueur est totalement déconnectée de la réalité économique mondiale et ne peut charmer davantage des investisseurs. Permettez-nous de relever quelques cas d’impôts comparer à certains pays de la même zone, ne disposant même pas d’autant de potentialités ; l’impôt sur les bénéfices et profits prélevés en RDC à 35 % du bénéfice net imposable pendant qu’au Rwanda le taux est de 15 % ;  l’impôt minimum pour une entreprise en difficulté est de 1 % du chiffre d’affaire, suivant la loi des finances votée pour l’exercice 2017, l’Ouganda autorise qu’en cas de perte confirmée par l’administration fiscale, l’impôt minimum soit reporté sur l’exercice à venir ; l’accroissement des certains taux d’impôts à prélever sur certains produits comme les accises des matières plastiques, les droits de consommation de certains produits, tout simplement parce qu’il faut maximiser les recettes.

Un deuxième facteur qui affecte la décision pour l’investisseur de s’installer dans un pays, c’est ce qui lui reste quand il a fini de dépenser et de couvrir toutes ses charges utiles à son exploitation et combien le projet est susceptible de générer sur ce qui a été placé sur les activités? Ce n’est pas d’abord ce qu’il dépense qui compte, même s’il fait bien attention à cela. Aujourd’hui, avec une marge bénéficiaire légale fixée, le retour sur investissement en RDC, est très limité, seuls quelques secteurs restreints en bénéficient encore. Le nombre des entreprises qui ferment ou en cessation d’activités, illustre bien cette lecture des faits.

Le retour sur investissement

L’investisseur en tant qu’actionnaire voudrait aussi voir son argent produire plus et générer un profit confortable. Pourquoi placer de l’argent là où il ne lui rapporte rien au lieu de le mettre dans un projet qui permet de bénéficier des rétributions conséquentes ? Comme relevé, le retour sur investissement s’amenuisant, il s’en suit que les revenus à distribuer aussi se rétrécit. Son imposition à l’impôt mobilier au taux de 20 % le réduit encore. En effet, en RDC, sur un bénéfice net avant impôt de 100 et s’il est décidé la distribution des dividendes, 52% seulement de ce revenu sera réparti entre les actionnaires. Voici le schéma illustratif: bénéfice 100, IBP 35 % 35, revenus après impôt 65, IM 20 % 13, revenus à distribuer 52.

Tout cela réduit la capacité financière du projet à distribuer les dividendes aux actionnaires. C’est avec raison que le chef de l’État lui-même a, dans son adresse devant le congrès le mercredi 5 avril 2017, dépeint un tableau peu glorieux du système fiscal congolais jugé écrasant, discriminatoire et inefficace du point de vue de la protection de l’économie nationale. Dans le même ordre d’idées a-t-il ajouté, tant que notre système fiscal serait tel qu’en lui-même, le climat des affaires ne serait pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal.

Les entreprises qui opèrent dans une éthique s’interdisant toute pratique frauduleuse ont été dans l’impossibilité de poursuivre leur exploitation dans notre pays et ont dû fermer. Ne dit-on pas que trop d’impôts tuent l’impôt.

D’autres entreprises ne font que passer de contrat-programme en contrat-programme en vue de bénéficier de certaines immunités fiscales ou protection face aux importations. Et pourtant, le pays a fait l’expérience d’une loi incitative qui, plus que le code des investissements, a permis de drainer près de 10 milliards d’investissements en créant plusieurs emplois directs et indirects et contribuant significativement à la croissance du PIB. Je fais allusion ici au code minier de 2002.

Cette loi, de par son caractère global et exclusif en matière de la fiscalité, a constitué un signal rassurant pour les investisseurs quant à la clarté, la prévisibilité ainsi qu’à la stabilité des charges fiscales à supporter par les entreprises pendant plusieurs années. En dehors de ce secteur, l’État s’est illustré par une certaine instabilité de la fiscalité et surtout de la parafiscalité, les diverses lois des finances modifiant, depuis 2014, la loi fiscale qui est une loi organique. Ces modifications s’appliquent sur les opérateurs ayant déjà investi au regard des certaines données, les nouvelles viendront les perturber.

En vue d’éviter la décapitalisation des entreprises du fait de la fiscalité et partant leur délocalisation déjà pourtant encours, il y a tout à gagner à procéder, à l’issue des présentes assises à une véritable refonte de la fiscalité de manière à instituer une protection législative du contribuable ainsi que contre l’arbitraire des administrations, à simplifier la fiscalité, réaménager la politique fiscale, à abaisser les taux, à élargir les bases d’imposition, à abolir les taxes à l’exportation, à réduire les droits à l’importation et à simplifier la structure des taux, etc. Ceci permettrait de limiter, si pas supprimer le recours à des mesures d’incitations spécifiques en faveur des investisseurs au cas par cas.

Nous ne devons pas nous permettre de louper cette occasion. Les études démographiques dégagent l’accroissement remarquable de la population à travers le monde, beaucoup plus en Afrique qui doit nourrir sa population, laquelle se recrute plus dans la jeunesse. Pour l’instant, il n’existe aucune politique fiscale incitative dans le secteur agricole et en faveur de la jeunesse. C’est ainsi que je propose l’instauration d’un impôt spécifique, unique et global tenant compte des difficultés de retour rapide sur l’investissement ainsi qu’une fiscalité appropriée pour inciter la PME à pouvoir investir. Il y a lieu de procéder à un allégement du régime fiscal des PME.

Si la réforme de la fiscalité dans le sens attendu par le secteur privé est une condition sine qua none pour attirer les investissements, elle n’est pourtant pas suffisante. En effet, les opérateurs miniers ont dû procéder à des gros investissements dans le domaine des infrastructures, par exemple pour rendre leurs sites accessibles, plusieurs autres ne seraient pas à le faire. Aussi, depuis les années d’indépendance, les pouvoirs publics accordent une place de choix à la promotion des investissements en tant que moyen de stimulation de la croissance en vue du développement économique de la nation sans jamais être concrets. Ainsi dans le cadre de la mise en place des déterminants de la compétitivité de l’économie nationale, le gouvernement devrait adopter une série d’instruments et de dispositifs dont la vocation est d’attirer et d’assurer le développement des investissements directs tant étrangers que nationaux.

Car, l’efficacité de l’attractivité du système fiscal envisagé se heurterait aux obstacles endogènes qui se résument en la mauvaise gouvernance, les tracasseries fiscales, le manque de transparence, l’instabilité fiscale, etc. Ainsi, afin d’améliorer le climat des affaires, les pouvoirs publics devraient prendre des mesures fortes non seulement pour lever ces obstacles, mais aussi pour endiguer les chocs exogènes que sont la concurrence fiscale dommageable et le phénomène de « paradis fiscal » en adaptant la fiscalité de la RDC ne serait-ce qu’à celle des pays limitrophes.

Par ailleurs, la stabilité du cadre macro-économique, la sécurité juridique et judiciaire ainsi que la situation politique sont autant de facteurs auxquels il faudra agir pour garantir davantage les investisseurs à visiter notre pays et à retenir les capitaux qui, par effet de multiplication créeraient des richesses et des emplois, et au finish, l’assiette fiscale élargie permettra à l’État de mobiliser davantage de ressources. Je voudrais terminer avec cet adage d’un financier américain qui a dit je cite : « l’argent va où il est bien accueilli et reste là où il est bien traité ».