Dollar : le pic de 2 000 francs congolais

Il y a vraiment des statistiques macros à se mettre sous la dent pour justifier une quelconque forme de pessimisme : la dernière semaine du mois de mai a accéléré le rythme de formation des prix.

L’INFLATION hebdomadaire s’est établie à 0,591 %, contre 0,241 % la semaine précédente et à 0,565 %, contre 0,257 % une semaine plus tôt à Kinshasa. En cumul, elle a atteint 6,278 % au niveau national et 6,738 % à Kinshasa. L’inflation annualisée s’est située à 15,479 % au niveau national et 16,665 % à Kinshasa. En glissement annuel, elle a atteint 9,252 % au niveau national et 9,196 % à Kinshasa

Cette inflation hebdomadaire est consécutive à la dépréciation du franc congolais par rapport au dollar, entraînant ainsi la hausse des prix des biens et services. Acacia Bandubola, la ministre de l’Économie nationale, a été auditionnée le 28 mai par la commission économico-financière (ECOFIN) de l’Assemblée nationale dans le cadre du contrôle parlementaire. La ministre de l’Économie nationale a sollicité et obtenu du gouvernement d’autoriser exceptionnellement le contrôle économique auprès de certains opérateurs économiques concernés par la mesure de suspension de la TVA et les grandes pharmacies. Dans une tribune (« La revanche du ‘roi’ dollar) qui a fait le tour de réseaux sociaux, Barnabé Kikaya bin Karubi, ancien conseiller diplomatique de Joseph Kabila Kabange, le prédécesseur de Félix Antoine Tshisekedi Tshlombo, écrit que « tous les signaux sont au rouge ». Et point n’est besoin d’être expert pour en admettre l’évidence. Premier signal majeur, souligne-t-il, « la dilapidation de la masse budgétaire trouvée dans le Trésor public, masse affectée en priorité au financement des programmes plutôt consommateurs que générateurs de recettes budgétaires ». 

Conséquence : « pour faire face à tous les besoins qu’il s’est volontairement et inutilement créés, le président de la République est obligé, bien malgré lui, à miser sur la planche à billets, pratique réputée inflationniste ». Pour ne pas arriver à une situation où les dépenses sont plus élevées que les recettes collectées, le Fonds monétaire international (FMI) a recommandé un plan de trésorerie et un plan d’engagements budgétaires, pour s’assurer que les dépenses soient effectuées en fonction des recettes disponibles.

Taux de change

En janvier 2019, la parité dollar-franc congolais était de USD 1= CDF 1 640, avant de chuter brusquement à 1 300 FC. Seize mois après, le dollar frôle les 2 000 (au guichet de la banque) et 1 950 FC sur le marché parallèle. Par conséquent, le pouvoir d’achat se délite, car tout est apprécié en dollar en RDC. Un détour sur le marché des biens de consommation suffit pour se rendre compte de la surchauffe des prix.

Aujourd’hui, les effets de la dollarisation de l’économie nationale depuis les années 1990 se font plus sentir à travers la dépréciation continue de la monnaie nationale. En décembre 2007, le dollar valait 500 FC ; en 2012, le franc s’est déprécié davantage pour se situer à 915 FC le dollar. En 2017, la parité s’est établie à USD 1=CDF 1 350.

Pendant des décennies, le gouvernement a parlé de dédollariser l’économie. Cependant, pour le FMI, il faut une « stabilité macroéconomique et des institutions financières fortes ». Par exemple, le Pérou a réussi à réduire de 70 % la dollarisation de son économie. Souvent, la dollarisation de l’économie est la conséquence du déséquilibre macroéconomique et monétaire. Dans le cas de la RDC, il faut d’abord une Banque centrale fortement indépendante pour parvenir à dédollariser l’économie.

Selon les experts du FMI, la dollarisation est observable dans les pays où l’inflation est élevée et variable, où la substitution monétaire constitue aussi un processus dynamique se résumant à la circulation conjointe de plusieurs monnaies au sein d’un même espace économique. C’est à la suite des taux d’inflation particulièrement élevés des années 1990 que les ménages et les entreprises ont commencé à recourir de plus en plus au dollar comme réserve de valeur et moyen de paiement.

Dans les banques commerciales, les dépôts qui se font en dollar sont estimés à plus de 90 % et les crédits à 95 %. Sur la masse monétaire en circulation, le dollar représente plus de 80 %. Le gouvernement a exigé aux commerces d’afficher leurs prix en franc congolais mais ceux-ci préfèrent le paiement en dollar. La crise financière a obligé la RDC a opté pour le régime de change flottant. Mais pour combien de temps encore ? Est-ce que cette même crise va-t-elle l’obliger à renoncer ainsi à sa souveraineté monétaire ? On notera qu’il existe (officiellement ?) une double circulation, incluant la devise américaine et le franc congolais.

Politiques monétaire

Par principe, un pays qui adopte une monnaie internationale bénéficiant d’une réputation de stabilité, devrait enregistrer de bonnes performances en matière de maîtrise des tensions inflationnistes et contrôler la hausse des prix. De ce point de vue, les pays qui ont vécu des périodes d’hyperinflation doivent en être les premiers bénéficiaires car ils ont payé un lourd tribut en termes de croissance (Fischer, 1993). Les experts du FMI soulignent que la dollarisation, fusse-t-elle totale, n’exclut pas le risque de chocs externes. Néanmoins, elle contribue à diminuer leur impact et les risques de contagion en éliminant les risques de change.  En optant pour la dédollarisation de l’économie, les dirigeants du pays ont-ils les moyens de leur politique ? La politique monétaire de la RDC connaît des difficultés dans un contexte de dollarisation poussée du système bancaire et de faiblesse institutionnelle. La Banque centrale du Congo (BCC) n’est guère en mesure de maîtriser l’inflation, en dépit d’une réactivité rapide aux chocs inflationnistes. Les experts du FMI notent que pour renforcer l’efficacité de la politique monétaire, le renforcement du cadre actuel demeure la meilleure voie à suivre, compte tenu du fait que le pays est vulnérable à de fréquents chocs sur les termes de l’échange.

En dépit de progrès, la maîtrise de l’inflation à un niveau faible et stable pose encore des difficultés aux dirigeants. L’objectif premier de la BCC est d’assurer la stabilité des prix. Et pour conduire sa politique monétaire, la BCC définit une trajectoire de croissance de la masse monétaire compatible avec son objectif d’inflation et avec sa projection de croissance de l’économie. La croissance de la masse monétaire est divisée en objectifs hebdomadaires par la BCC en fonction des projections actualisées de demande de monnaie. Si la croissance à court terme projetée de la masse monétaire dévie par rapport à la trajectoire programmée, la BCC intervient et injecte ou absorbe des liquidités en achetant ou vendant des instruments émis par elle. La forte dollarisation pose problème parce qu’elle limite la portée des leviers d’action de la BCC.

Ailleurs, l’expérience d’autres pays a montré que les mesures incitatives à l’utilisation de la monnaie locale (mesures « pull ») ont plus de chances de fonctionner que les mesures contre la dollarisation (dédollarisation contrainte ou mesures « push »). Ce sont, par exemple, le renforcement de la gestion et de liquidité et des instruments de la Banque centrale afin de rendre la monnaie locale plus attractive (les réserves obligatoires, les facilités permanentes de prêt et de dépôt, l’introduction d’effets publics à moyen terme pour améliorer la lisibilité de la politique monétaire et développer une courbe des rendements, le développement du marché des changes, afin d’assurer un accès facile aux devises étrangères…) ; l’amélioration de la gestion du budget et de la dette publique (le rééquilibrage des finances publiques, par une réduction des emprunts d’Etat en devises étrangères, peut contribuer à réduire la dédollarisation des engagements de l’État ; le recours à la monnaie nationale par le gouvernement pour ses opérations : impôts, salaires, biens et services) ; l’émergence d’un marché national de capitaux et le développement de la banque de détail…