Dr Kisala Kanda Mays utilise le bistouri et la houe pour guérir les malades

Joseph Kabila Kabange, Président de la République démocratique du Congo, parle lors de la 68e session de l’Assemblée générale des Nations Unies au siège de l’ONU à New York. AFP PHOTO / Stan HONDA / POOL
Joseph Kabila Kabange, Président de la République démocratique du Congo, parle lors de la 68e session de l’Assemblée générale des Nations Unies au siège de l’ONU à New York. AFP PHOTO / Stan HONDA / POOL

De sources proches du Secrétariat général à la Santé Publique, le secteur étatique congolais compte à ce jour  8.760 médecins. La plupart d’entre ceux-ci travaillent dans les milieux urbains où ils estiment que les conditions de vie sont bonnes. Rarement, ils vont travailler en campagne, à moins d’y être contraints. Contrairement à beaucoup de ses confrères, Dr Kisala Kanda Mays a, lui, préféré, à la fin de ses études à l’Université de Kinshasa, aller s’occuper des soins de la population à la campagne. Natif de Zaba dans le territoire de Bulungu au Bandundu, il est médecin traitant à l’hôpital général de référence Dr Anne Marie VERWILGHEN, du nom d’une Belge morte à 83 ans au Centre Médical de Kinshasa (CMK) après avoir rendu d’énormes services durant 54 ans à la population de Yasa Bonga dans le territoire de Masimanimba. C’est dans cette grande cité, située à près de cinq cents kilomètres de Kinshasa, que ce médecin hors du commun et ayant pour modèle Dr Anne Marie VERWILGHEN, preste depuis janvier 2008. Une année après son arrivée à Yasa Bonga, il fut retenu superviseur territorial du Projet VacNada chargé de lutte contre les maladies de New Castle  par la sensibilisation et la vaccination des poules locales dans le district du Kwilu. Cela peut-il expliquer le début d’une autre phase de sa vie ? Peut-être, puisque Dr Kisala Kanda Mays partage tout son temps entre l’hôpital aux côtés des malades, les champs de manioc et de maïs…et les étangs de tilapia, estimant que les médicaments vont de pair avec une bonne alimentation pour la guérison totale de certaines maladies. Bien plus, il se trouve au centre de plusieurs petits projets de développement dans cette cité. C’est ce médecin qui a accepté volontiers de parler à Business et Finances.

BEF – Docteur, comment expliquez-vous, qu’en tant que médecin, je vous trouve en train d’arranger des sacs de légumineuses ? Vous êtes à la fois médecin et cultivateur ?

Dr Kisala Kanda Mays
Ok merci. C’est simple. Je suis médecin-traitant. Je soigne les malades, je les examine ; ils me consultent, mais vous savez qu’en tant que médecin,  nous sommes au centre de la vie de l’homme parce que quand nous nous trouvons dans le cabinet entrain de soigner les malades, ces derniers viennent avec tant de problèmes : psychologique, moral, physique. A tous ces problèmes, c’est le médecin qui doit donner la solution pour que la personne rentre satisfaite. Entre autres éléments qui font que les gens tombent malades, il y a l’environnement, la famine…Concernant notre milieu, beaucoup de cas que nous soignons sont liés à la malnutrition. Or, cette dernière entraîne souvent des conséquences néfastes, qui peuvent aller du diabète, à la cirrhose de foie…, bref plusieurs pathologies. Raison pour laquelle moi, j’estime qu’il faut prendre la malnutrition en charge en amont et non en aval. Il ne faut pas attendre que la personne devienne malnutrie pour la soigner, mais il faut chercher les causes de la malnutrition et les attaquer. Et parmi les causes de la malnutrition, moi j’ai décelé l’insécurité alimentaire. D’où, il faut savoir quel type d’aliment promouvoir. Je me suis dit plus tard il faut que je serve de modèle, c’est-à-dire montrer à la population quoi planter et quoi consommer pour résoudre l’épineuse question de la malnutrition à Yasa Bonga. Voilà ce qui m’a poussé à la culture des champs ; cela explique que vous me trouviez au milieu des sacs de niébé ou « mbwengi », le petit pois, le soya… Je cultive mes propres champs pour essayer un peu d’éduquer les populations afin de les amener à produire ce qu’elles doivent manger. Voilà ce qui m’a poussé à résoudre le problème de la malnutrition.

BEF – Avant de nous attarder sur l’aspect agricole qui nous intéresse plus au cours de cet échange, peut-on savoir votre modèle en tant que médecin et ce que vous avez déjà fait ici à l’hôpital de Yasa Bonga ?

Je suis arrivé ici à l’hôpital de Yasa Bonga depuis 2008 en provenance de Kinshasa. Une fois mes études et mon stage terminés, j’ai pensé regagner la province à la suite d’une motivation personnelle : transformer la société. Voilà pourquoi j’ai tenu à venir servir mes frères. Par là j’ai pris comme modèle beaucoup plus le Dr Anne Marie VERWILGHEN dont l’hôpital porte le nom et qui est arriveé à Yasa Bonga depuis 1952. Cette dame est une Belge issue d’une famille riche, mais qui a tout laissé, tout abandonné pour venir vivre dans un village et qui a cherché à développer le milieu, à scolariser les Congolais, à les soigner. C’est cette dame là qui m’a servi de modèle parce que je l’ai vue comme médecin quand nous étions enfants. C’est à partir d’elle quand je l’ai vue à l’œuvre que j’ai eu envie de faire la médecine. Sans oublier sa façon de s’occuper de nous, Congolais, de nos familles… Et son modèle de développement, c’est ça qui m’a poussé à revenir dans la province pour à la fois soigner et cultiver les champs.

BEF – Quels sont les cas que vous traitez le plus ici à l’hôpital de Yasa Bonga ?

Côté épidémiologique, l’hôpital enregistre plus des cas de paludisme, surtout chez les enfants, les femmes enceintes…donc toute la population. Suivent ensuite des cas de la tuberculose, de la trypanosomiase humaine africaine ou la maladie du sommeil parce que notre zone de santé est hyper endémique et la trypanosomiase y occupe la première place sur le plan mondial. Il y a aussi surtout les cas de la malnutrition chez les femmes. La malnutrition à laquelle j’ai fait allusion au début de notre entretien avec comme conséquence de nombreuses femmes de petite taille et de petit bassin qui entraînent beaucoup de cas des césariennes lors des naissances. Rappelons qu’à l’époque de Madame Anne Marie VERWILGHEN, l’on procédait plus à la  physiothonie pour élargir et gagner quelques espaces pour que la femme accouche normalement. Et comme cette intervention est de plus en plus abandonnée, nous sommes plus appelé, vu la taille moyenne des femmes à Yasa Bonga, à procéder à des césariennes. Il nous arrive de traiter aussi, si vous visitez notre maternité, beaucoup de cas de fistules chez les femmes.
BEF – Mais à quoi sont dus les cas de fistules ici parce qu’on sait qu’à l’Est du pays elles sont imputées  plus aux violences sexuelles ?
 Merci. Je pense que les fistules s’expliquent dans cette contrée par la petitesse de la taille des femmes. Comment ? Pendant les naissances ou en donnant la vie, lorsqu’elles sont en travail, car souvent elles n’ont pas l’habitude de venir à l’hôpital à temps, ce travail d’accouchement se prolonge et, parfois, l’enfant ne sait pas traverser la filière génitale, sa tête s’étant calée au niveau de la vessie et quand cela dure longtemps, ça peut léser le tissu de la vessie. Quand intervient la césarienne tard pour sauver la vie de l’enfant et de la mère, cette dernière peut s’en sortir avec des fistules. Dans les centres de santé ou ailleurs où on fait une fausse appréciation de la taille de la femme, au lieu de la référer à temps pour une intervention chirurgicale, des fois certains infirmiers ou des charlatans pensent à faire tousser la femme alors que l’enfant est gros et qu’il ne peut passer par la filière génitale. Cet effort entraîne des lésions d’une partie molle du corps, de l’urètre. Cela peut même entrainer la déchirure du périnée. Et ça, c’est lorsqu’on force certaines pratiques, la pauvre dame peut se retrouver avec une fistule, après quelque temps elle perd les urines. Voilà ce sont des cas que nous connaissons ici, car il n’y a pas de violences sexuelles comme à l’Est de notre pays.

BEF – Passons maintenant à ce qui intéresse directement Business et Finances. Comment vous conciliez votre rôle de médecin, d’agriculteur en même temps et celui de chef de quelques projets de développement ?

Comme je l’ai dit avant, un médecin est un agent de développement. Notre métier fait que nous sommes en contact permanent avec la population, parce que la population vient  un peu se confesser à nous. La population vient en consultation avec tous les problèmes. Et en tant qu’intellectuel, universitaire et médecin… appelé à nous occuper de l’homme dans tous les secteurs, il nous est impossible de rester sans intervenir à tous les problèmes que les malades posent. Lorsqu’ils viennent, vous constatez  à première vue que tout part du manque de moyens. Lorsqu’une personne arrive ici en retard, vous réalisez  qu’elle n’avait pas les moyens d’arriver à temps. Et pourquoi il n’a pas de moyens ? A un certain moment, j’ai commencé à me poser des questions.

BEF – L’espace que vous cultivez couvre à peu près combien d’hectares ?

Nous avons deux sites. Le premier couvre 380 hectares et le deuxième plus de 350 hectares. Donc, nous devons avoir au-delà de 700 hectares. Nous comptons faire davantage, avoir beaucoup plus d’espace encore.

BEF – Et qu’est-ce que vous plantez précisément dans vos champs?

Souffrez que je vous dise que là, je suis entrain de résoudre plusieurs problèmes à la fois. Nous avons ici le problème de la déforestation, lui-même lié à la sécheresse et autres. Moi, dans ma politique j’ai beaucoup plus préféré faire la promotion et préserver les forêts. Raison pour laquelle je n’ai pas voulu faire des champs, des cultures dans la forêt pour la simple raison que j’aime cultiver la brousse parce  cette dernière couvre beaucoup d’espace dans cette contrée. On peut trouver plusieurs hectares, le temps pour moi qu’on laisse la forêt en jachère. Mais, vous remarquerez que chez les villageois ici, ne pensent pas que tout est cultivable en brousse parce qu’ici on a l’habitude de planter le maïs, l’arachide, le manioc, le niébé, le soya, la courge ; mais ils le font souvent dans la forêt. Alors moi j’ai plus préféré faire la promotion de toutes ces cultures mais au niveau de la brousse. Raison pour laquelle j’ai tenté de commencer avec 20 hectares et labourer. Là, j’ai planté 6 hectares de maïs, mais comme c’était le sol d’ouverture, j’étais entrain d’expérimenter pour voir si le maïs peut pousser dans la brousse. Et là vous savez avec le problème des engrais et autres, le temps aussi pour nous d’expérimenter la qualité du sol et ensuite, j’ai planté aussi du manioc ; le maïs a très bien poussé, le manioc aussi. Concernant le maïs, nous avons eu un problème comme c’était du sol ouvert ; Côté rendement, ce n’était pas fameux. Mais pour la deuxième fois, je pense que le rendement sera bon que lors de la première récolte.

BEF – Présentement vous avez quelle quantité de récoltes selon les différentes espèces ?

Pour le maïs, comme le rendement n’était pas très bon, nous avons récolté 2 tonnes sur les 6 hectares parce qu’on n’avait pas utilisé les engrais. Nous avions planté aussi le manioc, mais nous n’avons pas encore récolté les 10 hectares cultivés. Nous avions mis le mbwengi, le niebé sur 9 hectares, nous avons récolté 6 tonnes.

BEF – Médecin, agriculteur, il semble que vous êtes aussi pisciculteur. Parlez-nous un peu de cet autre projet ?

Oui, nous avons aussi des étangs. Nous avons jusque-là une dizaine d’étangs répartis sur deux différents sites comme je disais. Sur l’autre site, il y a quand même la forêt. Ce sont des étangs un peu modernes où  nous essayons de faire aussi certaines recherches. Ce sont des étangs multiplicateurs des alevins. On a les différents types d’étangs. Il y a des étangs dans lesquels nous avons laissé les arbres ; il y a d’autres qui sont un peu nettoyés et laissés à la lumière du soleil. Et c’est là que nous multiplions les alevins parce que lorsque l’eau est chauffée, les poissons pondent beaucoup d’œufs. Par ailleurs, nous essayons de mener de petites études pour, lorsqu’on vide les étangs, peser et mesurer les poissons, voir dans quel type il y a l’élément naturel; quels types de poissons ont pesé combien de kilos… Ce sont aussi ces petites données que nous détenons. Nous le faisons aussi pour les récoltes de niébé, de soya… nous pesons toujours pour voir le poids et la taille de nos graines.

BEF – Comment écoulez-vous vos produits, c’est-à-dire les poissons des étangs, le maïs, le niébé, le soja des champs ?

C’est là le grand problème que nous rencontrons ici. Grand problème à cause du mauvais état de routes comme vous venez d’ailleurs de le constater. C’est un sérieux problème pour écouler les récoltes, mais aussi les poissons. Et quand nous vidons les étangs, faute de mieux, nous sommes obligé de faire les poissons salés parce que nous ne savons pas conserver à la fois beaucoup de poissons. Dans mon magasin, j’ai 5 tonnes de niébé ou ‘’mbuengi’’ que vous venez de voir que je ne sais pas écouler parce que le marché n’est pas organisé. D’abord, le moyen de déplacement, le moyen d’évacuation, les routes sont en très mauvais état. Le moyen de transport fait défaut. Et même s’il faut amener ça à Kinshasa, les transporteurs nous taxent vraiment au-delà. Une partie de nos produits sert encore à la redistribution comme semences parce que c’était un autre problème que nous avions rencontré ici ; on n’avait pas assez de semences. Mais cette fois-ci c’est redistribué à la population, et ça sert aussi notre école, une partie de mes récoltes est distribuée aussi aux malades.

BEF – En termes d’argent, combien gagnez-vous une fois vos récoltes vendues, vos étangs vidés… ?

Avant de répondre à votre question, je tiens d’abord à préciser qu’une bonne partie de mes récoltes et des poissons des étangs, comme je l’ai dit avant, est distribuée aux malades, à mes collègues médecins et aux frères et amis. Mais, n’empêche, quand je vide un étang, en plus de dons, je ne gagne pas moins de 400.000 Francs Congolais. Ce qui fait qu’annuellement avec la dizaine d’étangs, je gagne environ 4 millions de Francs Congolais. Quant aux récoltés, les organismes internationaux m’achètent le kilo de niébé à 2 $US. Quand je suis obligé de les écouler sur le marché local, je les vends à 400 Francs Congolais le gobelet, le même qui coûte 600 Francs Congolais sur le marché de Kinshasa.

BEF – Concrètement quels sont les projets de développement à votre actif ?

Pour le moment, vu les difficultés que je vous ai énumérées, nous sommes en train de mettre sur pied un comité local de suivi des routes, pour leur réhabilitation par le cantonnage manuel. On est en train de voir comment nous cotiser au niveau de la population pour ne fût-ce qu’acheter quelques bèches pour le cantonnage manuel et pour la paie de la motivation des cantonniers. En plus, nous comptons, toujours sur le plan agricole, mettre sur pied un réseau d’agriculteurs pour le partage des expériences, des semences… et constituer ou créer une caisse de soutien, de solidarité aux paysans et aux agriculteurs qui n’ont pas assez de moyens. Nous sommes aussi en train d’organiser des plantations. Côté pisciculture, nous sommes  en train de regrouper les pisciculteurs pour voir comment on peut toujours redistribuer de bons alevins et créer un marché local pour écouler nos produits. Et si possible créer un comité capable de se charger de négocier les marchés. Je suis promoteur d’une école qui est encore en paille mais que je compte construire en briques cuites parce que je dirige également un projet de fabrication des briques cuites. Je cherche un financement pour la réhabilitation totale de cette école qui, les tout prochains jours, doit faire la fierté de Yasa Bonga.