Du pain sur la planche

Nos confrères qui œuvrent dans les médias dits chauds, à savoir la radiodiffusion et la télévision, ont vraiment des soucis à se faire en matière de divulgation des informations qu’ils diffusent. Toute la méthodologie et la pédagogie ad hoc sont à repenser.

Je réside dans un quartier populaire à Kinshasa. Grand amateur de football, il m’est arrivé plus d’une fois, en raison de ruptures intempestives et fréquentes d’électricité, d’aller suivre les derbies du ballon rond sur les grands écrans que les propriétaires de terrasses et assommoirs installés le long des artères commerciales disponibilisent afin d’appâter la clientèle. Je suis même devenu addictif de ces messes populaires en plein air, de ces stades virtuels,  tellement l’ambiance qui y règne est de plus passionnante. À défaut de suivre dans ce brouhaha infernal le reportage de commentateurs sportifs, je me régale au moins de la masse incroyable d’informations que les jeunes kinois détiennent sur les dirigeants de clubs, les entraîneurs, sur tous les joueurs évoluant dans les championnats européens. C’est stupéfiant ! Ils savent tout ; tout sur les transferts passés et futurs, tout sur les salaires de joueurs, tout sur les stratégies de chaque entraîneur, tout sur les potins concernant la vie privée de leurs idoles, etc. Où donc vont-ils puiser toutes ces informations, les jeunes gens de Bumbu, de Selembao, de Masina, de Kingasani, de Kinsuka, de Camp Luka, de Jamaïque ?

Il en va tout autrement en matière d’actualités politiques et diplomatiques. Quelle inculture, quelle ignorance renversante ? Serait-ce parce que nos médias chauds en parlent peu ou pas du tout, se contentant, du fait de la censure ou de l’autocensure (allez savoir !), de remâcher dans une diction à vous rendre téléphones des dépêches de RFI, de BBC ou de VOA ? Serait-ce parce que la priorité, proximité oblige, serait de privilégier l’actualité nationale ? Laquelle actualité se réduit bien souvent à faire le tour de ministères et autres services étatiques et paraétatiques, ou alors de vider l’escarcelle de quados et attachés de presse jamais en panne d’imagination…

J’ai ainsi suivi, l’autre jour, effaré et blackboulé, les commentaires que s’échangeaient entre eux quelques téléspectateurs de mon quartier à propos des derniers événements politiques survenus sur le continent africain. Ils étaient de tous les âges, et deux ou trois parmi eux fréquentaient les auditoires de nos universités. Ils voulaient comprendre pourquoi il y avait régulièrement tant d’agitations, tant de troubles, tant de morts autour des mandats des dirigeants politiques africains. Ils voulaient comprendre ! Quoi de plus légitime.

Un premier commentateur a commencé par s’interroger sur ces titres et appellations dont les présidents africains adorent s’affubler. Tout est passé au crible : Président-Fondateur, Timonier, Leader, Mwalimu, Guide éclairé, Mzée, Autorité morale… et Nkuru ! Là, j’ai mis quelques minutes avant de comprendre à quel dirigeant il faisait allusion. J’ai cru que c’était une blague, non ! le gars parlait bien d’un certain Nziza, Président du Burundi !

Puis, ils en sont venus au mandat. J’étais loin de m’imaginer que ce vocable pouvait prêter à confusion. Nous les « je-le-connais », les intellectuels, nous croyons très souvent que ce qui paraît aller de soi pour nous l’est tout autant pour les milliers de nos compatriotes qui n’ont jamais frotté leurs fesses sur les bancs de l’école ou pour qui l’école, aujourd’hui, n’est plus ce lieu d’acquisition du savoir, mais un endroit où l’on va parader. Faites un micro-trottoir dans les rues de la capitale autour du concept de la Francophonie, et vous serez édifié sur ce que le commun des Kinois en sait, même après la tenue du 14ème sommet de l’OIF dans nos murs.

J’apprendrai donc, effaré et blackboulé, que si l’on se tue, en Afrique, pour accéder ou se maintenir sur les fauteuils présidentiels, c’est parce que les Blancs, afin de récompenser leurs poulains, ceux qui leur ont succédé, c’est-à-dire nos dirigeants africains, leur distribuent, leur envoient chaque année de plantureux mandats, des malles et des malles remplies de devises, et qu’ils veulent maintenant restreindre le nombre d’années à rester au pouvoir. D’où toutes ces agitations, ces troubles, ces morts !!!

Je suis resté abasourdi devant cette prestation mais me suis refusé de réagir. Cela aurait servi à quoi ? Et, d’abord, m’auraient-ils cru, compris avec mon français ya molayi ?

(*) Journaliste et écrivain