Effondrement du mythe de la croissance macroéconomique

Un immeuble à Kinshasa, symbole de modernisation (Photo BEF)
Un immeuble à Kinshasa, symbole de modernisation (Photo BEF)

Une année seulement après son investiture comme premier ministre de la République, Matata Ponyo avait commencé à habituer les congolais ainsi que les partenaires au développement et les potentiels investisseurs à un récital : « La plupart de nos indicateurs sont au vert ; la croissance économique est soutenue à plus de 7,1 %, le taux de change du franc congolais par rapport au dollar est stable depuis trois ans, nos recettes fiscales sont en hausse, quant à la balance des paiements, elle s’est améliorée significativement». Pour sa part, le ministre délégué aux finances, Patrik Kitebi, venait de noter qu’en accord avec les indications de la banque centrale du Congo (BCC), le taux de croissance avait dépassé les prévisions, affichant 8,5 % au lieu de 8,3 %. Pour lui, « ce relèvement du taux de croissance est consécutif à la production minière et aux nouveaux investissements constatés actuellement dans le secteur du bâtiment». En fait, le gouvernement pense dur comme fer que les efforts, dans ce sens, doivent amener le taux à culminer en 2014 à 9,5 % et, dans les prochaines années, atteindre « les deux chiffres ».

Si cette donne peut être vérifiée à souhait et ce n’est pas ici le lieu de minimiser les éventuelles retombées de cette conjoncture, il n’en demeure pas moins que les indicateurs sociaux, eux, font de la résistance et sont toujours dans le rouge. Cela tend à prouver à sa manière les limites de cet exercice d’améliorer sans cesse ce taux de croissance, même si l’initiative semble inévitable pour le cas de la RD-Congo. En effet, les états de pauvreté sont toujours alarmants, notamment l’indice humain de développement (0,304) qui poursuit sa stagnation et plaçait, déjà en 2011, le pays en dernière position au monde, soit 187è sur 187 pays. Il sied de retenir que trois aspects déterminent généralement la définition de cet indice : éducation, santé et revenu.

Il s’agit d’ici à cette échéance de faire du Congo un pool d’intelligence et du savoir-faire, un vivier de la nouvelle citoyenneté et de la classe moyenne, un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, un pool économique et industriel, une terre de paix et de mieux-être et une puissance régionale au cœur de l’Afrique (Programme 2012 -2016 du Gouvernement Matata)

 

En plus, le camp des opposants à la façon du gouvernement de voir les choses, tout en parlant d’une croissance macro-économique « gonflée », épingle un certain nombre de faits, qui peuvent être aussi pertinents, c’est-à-dire exiger des analyses plus pointues : une agriculture n’ayant pas bénéficié des investissements réels conséquents, la construction des infrastructures nationales laissée dans des mains des étrangers, la dollarisation excessive de l’économie, la faible sécurité. A ce niveau, il est par ailleurs souligné que, d’une part, il n’y a pas encore eu d’évaluation « froide » de l’action gouvernementale pour apprécier les effets de l’exécution du budget dans des domaines déterminants (sanitaire, travail, habitat, agricole, services sociaux…), et, de l’autre, les nombreuses petites et moyennes entreprises nationales, naissant sans cesse et partout dans le pays, ne peuvent pas créer une valeur réelle car vivant essentiellement des importations.

Absence de croissance « partagée »

C’est dans ce contexte fort préoccupant pour la population congolaise que la Banque mondiale, par le biais de son Groupe d’étude des perspectives de développement, vient d’ajouter de l’eau au moulin, en publiant un document d’ordre général mais qui concerne bien le pays. Comme les dirigeants actuels veulent qu’à l’orée 2030, la RD-Congo ait totalement changé de mode de partage de ses richesses, cette réflexion souligne que « la croissance, seule, ne parviendra pas à mettre fin à la pauvreté d’ici 2030 ». L’étude, ayant compris dans l’analyse des diverses approches de développement, qu’une frange importante de la population de plusieurs pays déjà pauvres ne pourra pas sortir de manière évidente de l’extrême pauvreté, donne des orientations à ajouter à la quête de la croissance économique « partagée ». En fait, il est constaté que, si les méthodes de travail en cours ne subissent pas des innovations profondes, 40 % des habitants de ces pays, ou ne parviendront pas à vivre au dessus du seuil de pauvreté (vivre avec moins de 1,25 UD par jour) ou s’ils le pouvaient, ils risqueraient de se placer juste au dessus de ce seuil.

Parmi les dix pays les plus névralgiques et qui comptent quelque 80 % des personnes les plus démunies du monde, se retrouve le Congo-Kinshasa. Pour les experts de la Banque mondiale qui ont réfléchi sur la problématique, c’est dans ces Etats qu’il faut « agir en priorité pour pouvoir mettre fin à l’extrême pauvreté ». Les conditions de vie y sont exécrables. Ces pays, où se retrouvent les populations les plus nécessiteuses et les plus importantes sur les plus de 1 milliard d’habitants de la planète concernés, se rangent comme suit : Inde (33 %), Chine (13 %), Nigeria (7 %), Bangladesh (6 %), RD-Congo (5 %). Ils ne sont pas seuls car sont également concernés par des éventuelles et importantes actions d’intervention à mener l’Indonésie, le Pakistan, la Tanzanie, l’Ethiopie et le Kenya.

La même réflexion sous examen a aussi estimé nécessaire de catégoriser les Etats identifiés comme ayant « la densité de pauvreté la plus forte ». Une fois de plus, le Congo-Kinshasa est parmi les plus visés et même les coiffe tous : RDC (88 % de la population « se situant en deçà du seuil de pauvreté »), Liberia (84 %), Burundi et Madagascar (81 %), Zambie (75 %).

Une interpellation et une opportunité

Pour intervenir dans ces pays, la méthodologie ne pourra pas être globale ; il faudra analyser les réalités de chaque pays qui, selon l’étude, « doit accompagner ses effets de développement par des politiques allouant davantage de ressources aux plus démunis, par le biais du processus sûr de croissance, à travers la promotion d’une croissance faisant moins d’exclus, ou via des programmes publics tels que les transferts monétaires directs et assortis des conditions ».

En outre, en conduisant une relecture du document, il appert que le Banque mondiale est en train de réajuster ses types d’intervention. Ainsi, en plus d’être une interpellation de certaines politiques, comme celles développées par la RD-Congo, cette réflexion apparaît comme une opportunité. Il sied à chaque pays concerné d’intégrer, s’ils ne sont pas encore, un certain nombre d’aspects dans les stratégies de définition ou de réaménagement de la vision de leur pays. Le programme 2012-2016 de l’actuel gouvernement, élaboré en mai 2012, est ambitieux et cela se lit dès les premières lignes de son document, se voulant une contribution au développement de la vision 2030 du pays : « Il s’agit d’ici à cette échéance de faire du Congo un pool d’intelligence et du savoir-faire, un vivier de la nouvelle citoyenneté et de la classe moyenne, un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, un pool économique et industriel, une terre de paix et de mieux-être et une puissance régionale au cœur de l’Afrique ».