Élections de décembre : le piège du vote identitaire

L’enjeu du scrutin à un tour sera les votes d’inspiration ethnique ou tribale. S’ils ont colonisé les élections de 2006 et 2011, on n’en sait rien pour 2018, sinon qu’ils vont peser lourd dans le choix du futur président de la République.

FINI, le moment d’émotion. Place maintenant à l’analyse. On entend encore, ici et là, les gens dire que Joseph Kabila Kabange a fait « un mauvais choix » quant à celui qui va porter les couleurs de son camp à l’élection présidentielle de décembre prochain. Un choix polémique qui fait apparemment moins peur à l’opposition, dans le camp de laquelle, beaucoup crient déjà à la victoire et voient déjà venu le moment de l’alternance politique dans le pays. 

Depuis le 8 août, l’euphorie est à son comble. Pour des initiés, il faut vraiment s’en méfier. Les politiciens congolais sont connus pour leurs « réactions épidermiques ». Mgr Monsengwo, alors président des assises, n’a eu de cesse à le leur reprocher à la Conférence nationale souveraine (CNS) dans les années 1990. ça parle trop pour ne rien dire finalement. 

Dans un entretien au coin du feu, Bernardin Mungul Diaka, un futé routier de la politique congolaise, nous confiait en parlant des politiciens de sa génération : « Il ne faut jamais donner pour mort un adversaire politique ». Allusion à Cléophas Kamitatu Masamba, son compère de Bandundu, qu’il redoutait plus qu’un autre politicien dans le pays. Mais il ne nous dit jamais pourquoi qu’il craignait tant. 

Calcul et tactique

Quoi qu’on dise, le choix de Joseph Kabila Kabange pour sa succession est un « choix politique calculé et tactique ». En politique, nous explique un politologue, le calcul c’est comme au jeu de dames. Quand on avance un pion, c’est pour en prendre plusieurs à son adversaire. « Contrairement à certaines idées reçues, Joseph Kabila n’est pas genre enfant de chœur. Il n’est pas naïf. Il se découvre difficilement, sinon seulement après avoir posé un acte. Le problème avec lui c’est qu’il est nature. Il ne change pas dans ses convictions », analyse et dissèque ce politologue. 

Le reproche que l’on fait souvent à JKK c’est d’être taciturne, de prendre constamment tout son temps et de vouloir tout contrôler avant d’agir ou décider. « Tout au long de son exercice du pouvoir, Kabila n’a pas changé de personnalité », fait remarquer un psychanalyste. Or savoir changer de personnalité publique au gré des circonstances fait partie de l’art du politicien congolais, versatile et sans convictions politiques. On connaît d’ailleurs la thèse de Kabila à propos du comportement de la classe politique : « Celui qui a trahi, trahira. »

Le mot personnalité vient d’ailleurs du latin persona qui veut dire « masque ». Selon ce psychanalyste, Joseph Kabila ne manie pas sa personnalité comme un masque : il se confond avec elle. « Il est envahissant pour les autres parce qu’il est envahi par lui-même, par ses pulsions. Il est tout le temps sur le qui-vive ». En termes techniques : « Chez lui, le moi est différencié du ça. Or la névrose nationale des Congolais fait qu’ils désirent un président qui ne se confond pas avec lui-même, mais avec sa fonction… D’où d’ailleurs le sens à donner à l’autorité morale que ses soutiens de la MP lui reconnaissent. »

Car c’est donc la sanction de la constitution de février 2006 qui contraint Joseph Kabila à renoncer à la fonction du président de la République. Longtemps, JKK se couchera de bonne heure, certain d’avoir eu raison contre tout le monde. Les conseillers de son cabinet, les élus et les bien-pensants de son camp proposaient régulièrement de passer outre la constitution pour rester au pouvoir. L’opposition et la communauté internationale lui prêtaient tous genres d’intention comme pour lui mettre la pression… JKK est resté imperturbable, n’en faisant qu’à sa tête, provocateur, ferrailleur et, pour finir, victorieux car il a tenu sa parole d’officier, celle de respecter la constitution. 

La rupture avec les codes en vigueur est sa marque de fabrique, son talisman du succès. « Il est là où on ne l’attend pas vraiment », résume ce psychanalyste. Aujourd’hui, devenu chef d’État sortant, il s’est demandé dans son discours sur l’état de la nation, le 19 juillet, devant les parlementaires réunis en congrès au Palais du peuple, où il a eu faux pendant ses dix-sept ans d’exercice du pouvoir. Dans ce discours-bilan, JKK a voulu passer un message : ses actes parlent pour lui. Il est obligé de rentrer dans le rang, au moins dans la forme. Sait-on jamais : « le tigre agacé, pourrait se réveiller », foi de Mungul Diaka.

Les partisans du président continuent de lui rendre hommage et vantent encore sa popularité en défendant son bilan. C’est dire qu’en politique, on n’est jamais vraiment mort. C’est sûrement ce que sous-tendent ses soutiens. Et peut-être pour le désormais ancien président lui-même, « l’histoire n’est pas terminée ». 

Difficile donc de dire qu’au fond de lui-même, le président est ou n’est pas convaincu par le virage qu’on lui a fait prendre. Il y a été contraint par la force des choses, la rigueur de la constitution. On le pressent : le président a fait le choix de l’apaisement, la stabilité et la continuité dans son camp dont il reste l’autorité morale. Certains dans son camp et dans l’opposition se regardaient dans le miroir chaque matin en rasant : c’est moi le dauphin, c’est moi le prochain président. 

Les uns et les autres prenaient déjà les airs présidentiels, jusqu’à la claque du 8 août. Il faudra être sourd ou aveugle pour ne pas mesurer la dimension de rejet de tous les noms des prétendants qui étaient proposés au dauphinat. 

ERS, Ecce Homo !

Après l’annonce du nom d’Emmanuel Ramazani Shadary pour succéder à Joseph Kabila lors de l’élection présidentielle de décembre, la rue et l’opposition ont beaucoup jacassé. 

« Ramazani Shadary n’est pas le candidat idéal pour faire face à ceux de l’opposition, notamment Jean-Pierre Bemba ». Beaucoup continuent de railler ce choix, parfois trop méchamment. Mais on oublie que le président s’applique pour mieux faire ou décider. Vu sous cet angle, son dévolu sur ERS procède logiquement d’un calcul et d’une tactique bien politiciens. Typique, le récent remaniement du commandement militaire, avec en épingle la promotion des fidèles. 

Le message est clair : « On ne peut assurer ses arrières et rassurer ses fidèles qu’en leur confiant les rênes du pouvoir. N’oublions pas que l’armée et les finances sont les deux puissants leviers du pouvoir. 

C’est une satisfaction pour les épaules étoilées », explique un autre politologue. Cela a semblé une trop mauvaise idée pour que tout le monde y souscrive, car il y a des militaires qui sont sous le coup de sanctions internationales.

Mais avec la désignation quelques jours plus tard d’Emmanuel Ramazani, lui aussi frappé par des sanctions internationales bien ciblées, c’est plutôt une bonne nouvelle, croit comprendre un autre analyste politique. « Une idée qui semblait diviser, on en fait une qui rassemble les soutiens politiques. C’est un message fort destiné à l’Occident : voici les personnalités avec lesquelles vous devrez coopérer une fois au pouvoir. Sinon, elles vont se tourner vers les autres, c’est-à-dire la Chine et la Russie », décrypte cet analyste.

Certes, on regarde la mue de Shadary un brin dubitatif, car sans ambition présidentielle avant sa désignation par Kabila. Mais son casier politique n’est pas totalement vierge pour le jeter en pâture à la meute de l’opposition. La fonction présidentielle est avant tout une vision, disent les politologues. Une vision pour la nation. 

S’appuyant sur son passé de militant-combattant de l’UDPS et de son passage aux affaires d’État comme gouverneur de province et ministre, ERS peut se construire rapidement une vision pour le Congo.