Embouteillages

-Vincent, tu m’entends là ? Oui ? Tu n’as pas oublié pour la réunion, j’espère. Où es-tu ?

– Qui est-ce ? Ah, c’est toi, Paul ? Commencez la réunion sans moi ! Je suis bloqué dans un embouteillage sauvage, non loin de Saint-Luc.

De Yolo-Nord, à Kalamu, où Vincent est réellement « bloqué », à l’église Saint Luc, dans le quartier huppé de MaCampagne, à l’autre bout de la capitale, il faut compter au moins une trentaine de kilomètres, soit en gros dix à vingt minutes de circulation en voiture, lorsque le trafic est normal. Pour bon nombre de Kinois, avec la pluie, toujours imprévisible et difficile à circonscrire sur l’immense étendue de la ville de Kinshasa, les embouteillages sont devenus l’autre alibi d’or, le prétexte tout trouvé par les Kinois pour justifier soit leurs retards à l’école ou au bureau, soit leurs manquements à des rendez-vous professionnels. Pour autant, les embouteillages sont loin d’être une fiction sur les artères de la capitale congolaise. Matin, midi et soir, le spectacle est sidérant, pénible : de longues et interminables files de véhicules en folie, quasiment les uns   dans les autres. À certains endroits et à des heures que l’on connaît, il vaut mieux ne jamais tenter de s’aventurer au risque d’y passer une éternité. C’est, par exemple, les itinéraires suivants : la jonction Cité Verte-UPN ; le tronçon Magasin-Kintambo jusqu’au Palais de marbre ; du Pont Makelele à la station ML, entrée Ma-Campagne ; tout le long du boulevard du 30-Juin, notamment le tronçon entre l’INSS et la gare centrale. Mais aussi le boulevard Lumumba, et ce malgré son élargissement, généralement après dix-sept heures ; le tronçon rond-point Victoire jusqu’à la place Kimpwanza ; celui entre la gare centrale et le quartier Bon marché via la Bralima ; l’ex-avenue des Huileries. La liste est longue.

Les embouteillages sont devenus l’autre alibi d’or, le prétexte tout trouvé par les Kinois pour justifier soit leurs retards à l’école ou au bureau, soit leurs manquements à des rendez-vous professionnels

Les causes de ces embouteillages sont bien connues de tous et, avant tout, de ceux-là mêmes qui ont en charge la responsabilité d’y mettre fin. Puisqu’il faudra bien les éradiquer d’une manière ou d’une autre ! En effet, quand il ne s’agit pas de l’étroitesse de la chaussée, en état avancé de délabrement général, c’est l’incivisme et le déni de courtoisie dans le chef des conducteurs. Ces chauffeurs donnent la nette impression de se conformer, chacun, à son propre code de la route. On ne peut manquer d’épingler sur ce mauvais tableau, puisque c’est devenu récurrent, la concussion des agents de l’ordre commis à la régulation du trafic : ils préfèrent s’occuper avant tout de leurs « clients » venant des petites voies secondaires. Quitte à perturber durablement la circulation sur la voie principale. Près de l’église Saint Luc, par exemple, c’est toujours ce jeu malsain qui est à l’origine de tous les embouteillages signalés régulièrement à partir de cet endroit.

La chaussée  peut, par ailleurs, ne pas être étroite. Cependant, comme la conduite est laissée à la merci des préoccupations de chacun, il n’est pas rare de voir des véhicules, avec parfois au volant des hautes personnalités du pays, rouler à tombeau ouvert sur la bande opposée à celle qu’ils auraient dû normalement, et conformément au code de la route, emprunter. On fustigera aussi le nombre insuffisant des voies de déviation sur le réseau routier kinois, ce qui n’est pas de nature à désengorger le trafic. Par contre, il nous semble peu crédible de retenir l’argument avancé par ceux qui croient que le parc automobile kinois est saturé,  à cause, notamment de l’invasion récente de ces petites voitures japonaises de marque Toyota que les Kinois ont vite fait de surnommer « Ketches ». Il est vrai que leur capacité à se glisser n’importe où sur nos routes défoncées et garnies de béances confère à leurs conducteurs, déjà des sans-manières, un surplus de désinvolture et d’indiscipline.

Les embouteillages, faut-il le préciser, ne sont pas une spécialité congolaise ou kinoise. En Afrique, on connaît les fameux « jams » du Caire, de Nairobi ou de la conurbation Pretoria-Johannesburg. La différence avec ce que nous voyons à Kinshasa, que l’on veuille bien considérer ou non comme une maladie de croissance, c’est que les administrations municipales dans ces pays africains ne restent ni les bras croisés ni les yeux dans le sable attendant une solution en provenance du ciel. Dans la capitale kenyane, par exemple, d’importants travaux de déviation sont en train d’être finalisés avec l’érection de rings qui permettent non seulement de contourner les anciens tracés, mais surtout de réduire le temps à parcourir certains trajets, tel le centre de Nairobi direction l’aéroport international Jomo Kenyatta.

Comme on aimerait juste voir restaurer les feux rouges à certains carrefours pour réguler le trafic ! Nous avons la possibilité d’utiliser des panneaux solaires à volonté pour alimenter nuit et jour les poteaux indicateurs, vu que nos fameux robots made in DRC ont suffisamment montré leurs limites. Évidemment, si des  feux rouges étaient installés à travers la capitale, cela réduirait considérablement la marge de manœuvre du commerce honteux de racolage auquel se livre, au vu et au su de tout le monde, la meute de policiers de la circulation.