Entre les appuis budgétaires et la planche à billets

La RDC est souvent accusée de pratiquer le terrorisme fiscal. Dans ces conditions, aucun investisseur sérieux n’est tenté à y placer son argent. Entre-temps, l’État est mis au défi de mobiliser davantage de ressources internes au-delà du potentiel. L’économie souterraine est visée.

Les caisses de l’État sont vides ou presque. Le président de la République, Joseph Kabila Kabange, a mis les régies financières devant leurs responsabilités. Elles doivent mobiliser davantage de recettes, notamment à travers la lutte « sans concession » contre la fraude fiscale et douanière. Pour cela, le pays a besoin d’une nouvelle loi fiscale et douanière. La direction générale du fisc est déjà en réforme. Selon des sources, la Direction générale des impôts (DGI) cherche 10 millions de dollars pour mener à bien les réformes envisagées en vue de rendre son travail plus efficient.

En matière de mobilisation des ressources budgétaires internes, la République démocratique du Congo est dans le peloton de queue en Afrique. Elle était à 12 % du produit intérieur brut (PIB), au cours de dernières années, la voilà redescendue à 8 %, du fait de la conjoncture économique internationale défavorable à la suite de la chute des cours des produits de base. Selon les experts, actuellement, la moyenne africaine en termes de mobilisation des recettes internes est de 30 % du PIB. Comment atteindre ce seuil pour arriver à l’équilibre budgétaire ? Le gouvernement semble perdre son latin. Il avait été prévenu des effets pervers de la crise financière à tout moment malgré les bons résultats dans la stabilisation du cadre macro-économique entre 2005 et 2014 grâce à la flambée des cours des matières premières.

Gouverner, c’est prévoir, dit-on, mais l’État ne s’est pas montré prudent en en n’engageant pas les réformes en profondeur nécessaires pour mettre le tissu économique national à l’abri des chocs exogènes. En attendant que les institutions financières internationales, dont le Fonds monétaire international (FMI), ne lui ouvrent les robinets à travers le mécanisme d’appuis budgétaires, le gouvernement doit devoir faire avec les ressources domestiques, question de faire face aux défis de développement social et économique. Il est plus que temps que le gouvernement se sorte de ce cercle vicieux dans lequel il s’est enfermé pour entrer dans un autre, celui-là vertueux. Telle est la recommandation que bien des experts lui font en matière de politique budgétaire.

D’après eux, l’État ne se donne pas les moyens financiers qu’il faut, pour mener à bien ses fonctions de souveraineté et sa mission de développement économique et social. En d’autres termes, les recettes mobilisées actuellement sont largement en-dessous du potentiel du pays, notamment les recettes en provenance du secteur des ressources naturelles. Il y a là un réel problème auquel l’État ne veut pas donner solution. Avant la crise financière internationale actuelle, la RDC a exporté, entre 2010 et 2015, davantage de cuivre et d’autres produits de base de l’ordre de 10 à 14 milliards de dollars par mois. Cependant, au vu de sa balance des paiements (export-import), elle ne fait que rémunérer les investissements directs étrangers (IDE), à hauteur de 3 milliards de dollars et importer plus qu’elle ne produit et exporte.

Terrorisme fiscal et impunité

Par ailleurs, les réserves en devises qui ont atteint 1,5 milliard de dollars (soit 5 semaines d’importation), début 2016, sont redescendues à environ 400 millions, voire moins, actuellement, soit moins de deux semaines d’importation. Les recettes internes, étaient arrivées à 13,5 % du PIB (dont la croissance est tombée de 5 % en moyenne à 2 % en 2016), soit 2 points de moins que la moyenne des pays les moins développés (15 %). Mais elles sont tombées à 8 % largement en-dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (autour de 20 %). Le potentiel de mobilisation supplémentaire est alors de 12 à 22 points de pourcentage du PIB, venant essentiellement du secteur des ressources naturelles.

Le gouvernement a donc du pain sur la planche. Les analystes économiques reprochent à la RDC sa propension à vouloir compter plus sur les apports extérieurs que sur les ressources domestiques pour financer le budget. Ce qui est aux antipodes de la Conférence d’Addis-Abeba qui recommande aux pays de compter avant tout sur les recettes nationales. Ils reprochent également à la RDC de ne pas faire des choix clairs sur les ressources principales à mobiliser davantage. Pour y parvenir, il faudra une administration efficace, capable de mobiliser davantage de ressources. C’est un combat herculéen que de mettre fin à la corruption et à l’impunité qui empoisonnent la vie en général en RDC. Avis d’expert : dans le cas de la RDC, la lutte contre ces maux est encore sous-optimale.

Le pari d’un cercle vertueux dans lequel un État plus efficace parvient à mobiliser plus de moyens afin de mettre en place les réformes et les politiques porteuses de progrès est loin d’être gagné. Le gouvernement est même incapable de maintenir les dépenses publiques dans les limites de ses ressources domestiques et externes, option qu’il a lui-même levée. Le gouvernement qui s’est aussi engagé à ne pas recourir au financement monétaire de tout déficit budgétaire éventuel, a baissé la garde. La dépréciation du franc est de 72 % actuellement, le dollar s’échangeant contre 1 630 FC au marché de change parallèle. Dans ce contexte, difficile d’avoir une marge de manœuvre assez large pour dégager un espace budgétaire avec une meilleure gestion des dépenses.

La RDC tire l’essentiel de ses recettes nationales des secteurs des mines, du pétrole, des télécommunications, mais aussi de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Les recettes minières et pétrolières (essentiellement provenant des pétroliers producteurs) ont baissé à la suite de la basse conjoncture des matières premières. En fait, en dépit du fait du choc conjoncturel, les recettes provenant du secteur minier restent bien inférieures à leur potentiel. Par ailleurs, les recettes pétrolières déclinent depuis 2013 (successivement de 1,4 % du PIB en 2013 à 1,1 % en 2014 et ont baissé de 48 % en 2015). Les recettes issues de la TVA qui constituent le quart des recettes intérieures mobilisées, n’ont pas dépassé 3,5 % du PIB au cours des trois dernières années de sa mise en application. Elles ont même régressé de 9 % en 2015 par rapport à 2014.

La TVA a été introduite dans le système fiscal national en 2010 mais elle n’a commencé à être implémentée que deux ans plus tard. La première année de son application, elle a permis de mobiliser 4,1 % du PIB. Mais l’année suivante, elle a malheureusement chuté autour de 2 %.

Élargir la base d’imposition

Hormis les secteurs précités, il y a encore une marge importante pour l’élargissement de la base d’imposition, afin d’augmenter les recettes internes, pour atteindre la moyenne régionale ou continentale du pourcentage du PIB. Ce qui constituerait un changement important, surtout si le supplément des recettes est affecté aux infrastructures et aux secteurs sociaux de base. Ceci est d’autant plus vrai que plus de 70 % de l’économie congolaise est informelle, selon des analystes économiques. D’après eux, les micro-entreprises évoluant dans le secteur informel brasseraient actuellement plus de 4 milliards de dollars. Elles échappent totalement au contrôle du fisc.

La Direction générale des impôts (DGI) s’y emploie déjà, en mettant en place des stratégies pour pouvoir capter les recettes qui échappent au Trésor public. La démarche consiste à améliorer la collaboration avec les régies financières provinciales. Cette collaboration est déjà effective avec la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK). En pratique, avant d’exercer une activité économique en RDC, l’entrepreneur doit obtenir le numéro d’identifiant fiscal unique. Cependant, la RDC est classée parmi les pays où il ne semble pas bon d’investir à cause de la multiplicité de taxes et d’impôts. D’où le qualificatif de « pays pratiquant le terrorisme fiscal » qui lui colle à la peau. En effet, dans chaque province, il y a une régie financière. La loi de la décentralisation a réparti les impôts à collecter aux niveaux national et provincial. Le numéro unique de l’impôt est donc un élément qui permet de capter les impôts. Selon le DG du fisc, José Sele Yalaguli, les micro-entreprises sont celles qui ont un fort taux de mouvement, surtout en provinces. D’où, la difficulté de pouvoir mettre facilement la main sur elles.

La multiplicité de taxes et d’impôts assombrit le climat des affaires.