Et si la crise actuelle pouvait être une chance pour l’Afrique !

Les pays africains cherchent à se faire entendre dans la gestion financière internationale depuis une dizaine d’années. Leurs représentants à chaque sommet du G-20 s’efforcent de présenter aux responsables des principales puissances économiques mondiales les réformes qu’ils jugent nécessaires pour le continent.

En chinois, le mot « crise » (wei ji) se compose de deux caractères, relève l’économiste sénégalais, Moustapha Kassé. Le premier veut dire « danger », le deuxième « opportunité ». Dans leur réaction à la crise économique mondiale actuelle, les gouvernements africains ont accordé trop d’importance, selon lui, au premier sens du terme. « Pourtant, c’est le second sens qui est capital, car toute crise est porteuse d’une opportunité, d’une chance de changer, de s’adapter », dit-il. Moustapha Kassé, professeur à l’Université de Dakar, affirme que les responsables politiques, les experts et les chercheurs du continent n’ont pas participé assez énergiquement aux débats internationaux consacrés aux solutions à apporter à la crise.

Une série de sommets internationaux ont rassemblé les dirigeants politiques du monde entier à New York, Washington et Doha pour trouver de nouvelles idées. Au vu de la gravité de la crise actuelle et de l’incapacité des institutions financières les plus puissantes à en prévoir même le déclenchement, on s’accorde généralement aujourd’hui à reconnaître qu’il faut procéder à des réformes en profondeur pour éviter que de telles catastrophes se reproduisent. Un seul pays africain (l’Afrique du Sud) a été invité à participer au sommet d’urgence du Groupe des 20 (G-20), organe consultatif de haut niveau, qui s’est tenu le 15 novembre à Washington. Un certain nombre de présidents et de premiers ministres africains ont toutefois participé deux semaines plus tard à une conférence internationale sur « le financement pour le développement » à Doha (Qatar). D’après Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, l’instance politique du continent, leur présence à cette réunion a attesté de l’intérêt qu’accorde l’Afrique aux réformes économiques mondiales.

Des sièges supplémentaires

En dépit de la décision du sommet du G-20 de Washington de ne pas prendre de mesures concrètes avant la réunion de suivi qui aura lieu en avril prochain à Londres, le fait même qu’il ait eu lieu sous sa forme actuelle constitue une nouveauté. Auparavant, la plupart des négociations importantes sur l’économie mondiale ne réunissaient en effet que les membres du Groupe des sept pays industrialisés riches (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), auquel se joignait parfois la Russie (pour constituer le G-8). Mais la détérioration rapide de la situation économique dans ces pays indique clairement qu’ils auraient du mal à s’en sortir tous seuls. Le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a reconnu que le G-7 « ne fonctionnait pas très bien. Il faut constituer un meilleur groupe pour une nouvelle époque », a-t-il dit.

Dans les pays en développement, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer aussi les défaillances des principales institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Il leur est notamment reproché de faire la part trop belle aux pays les plus riches dans leur processus de décision. Au conseil d’administration du FMI, par exemple, les États-Unis détiennent 17,1 % des voix et l’Union européenne 32,4 %. Dans ces conditions, déplorent les critiques, les intérêts des pays en développement ne sont pas suffisamment pris en compte. C’est dans ce contexte que le sommet de Washington a été ouvert à la participation d’un groupe relativement plus divers de pays. À l’origine, le G-20, constitué en 1999 au lendemain de la crise financière asiatique, était composé des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales des pays industrialisés et des pays en développement les plus puissants sur le plan économique, appelés généralement « les marchés émergents ». Les pays industrialisés y sont représentés par les membres du G-8, ainsi que l’Australie et l’Union européenne. Du côté des pays en développement, on trouve l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la République de Corée et la Turquie.

La décision d’inviter désormais les chefs d’État au rendez-vous de Washington, lui conférant ainsi une importance accrue, témoigne non seulement de la gravité sans précédent de la situation actuelle, mais, à plus long terme, d’une évolution fondamentale, à savoir que les économies des membres du G-7 n’occupent plus la place prépondérante de jadis. De 1965 à 2002, les pays du G-7 généraient deux tiers de la production mondiale. Ce pourcentage n’est plus aujourd’hui que de 52 % et, d’après certaines prévisions, il devrait tomber à 37 % d’ici à 2030 et à 24 % d’ici à 2050.

Parallèlement, les économies des principaux pays en développement contribuent de plus en plus aux échanges commerciaux, aux investissements et même à l’octroi de l’aide étrangère. D’après les prévisions du département des affaires économiques et sociales de l’ONU, les économies des pays en développement considérées dans leur ensemble continueront de croître au rythme de 4,6 %, alors même que les pays industrialisés s’enfonceront dans la récession. Alors que les pays industrialisés s’efforcent de trouver les moyens de relancer l’économie mondiale, l’attention se porte sur les ressources financières dont disposent ces « marchés émergents ». Lorsque le 1ER Ministre japonais a annoncé à Washington que son pays offrirait jusqu’à 100 milliards de dollars pour financer les programmes de sauvetage du FMI destinés aux pays en difficulté financière, il a ajouté que « les pays producteurs de pétrole, la Chine et autres pays disposant de vastes réserves devraient également apporter leur contribution ».

Lula da Silva, alors président brésilien, a précisé que les pays en développement ne se contenteraient pas de payer leur dû, mais entendaient avoir leur mot à dire.

« Dans ce contexte de mondialisation, il nous faut des instances solides et représentatives capables de prendre des décisions de portée mondiale. »

Pour un nouveau multilatéralisme

L’Afrique a réagi avec scepticisme à la veille du sommet du G-20. Le président Denis Sassou-Nguesso de la République du Congo a regretté que l’Afrique soit encore tenue à l’écart des débats sur la réforme internationale. Trois jours seulement avant la réunion du G-20, les ministres des Finances et de la planification et les gouverneurs des Banques centrales de l’Afrique se sont toutefois réunis à Tunis pour définir une position commune sur la crise mondiale. Ils ont également prié l’Afrique du Sud de les représenter auprès des membres du G-20.

L’Afrique du Sud a pris son rôle très au sérieux. Ce pays a plaidé pour l’adoption de réformes qui prévoiraient « une bien meilleure représentation qu’à l’heure actuelle des pays africains dans les institutions financières internationales ». Les ministres ont également insisté sur ce point, affirmant que le rôle de l’Afrique du Sud à l’intérieur du G-20 ne pouvait « se substituer à une participation africaine renforcée… Nous appelons de nos vœux un nouveau multilatéralisme qui tienne pleinement compte des réalités actuelles. » Cet appel a été réitéré à la conférence internationale sur « le financement pour le développement » qui s’est tenue à Doha. « Un nouveau multilatéralisme est nécessaire », a lancé à cette occasion l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, précisant que l’un des objectifs prioritaires de la conférence était de « jeter un pont entre le G-20 et le reste du monde. »

De nombreux dirigeants de l’Afrique et d’autres régions ont souligné que l’Organisation des Nations unies, à laquelle appartiennent la grande majorité des pays, pourrait constituer un cadre de négociation propice à la formulation des propositions de réforme à long terme ouvertes à tous. La conférence de Doha s’est achevée sur un appel lancé à l’ONU pour l’organisation d’un sommet sur les mécanismes financiers internationaux.

Réévaluer les politiques …

De nombreuses recommandations précises ont déjà été proposées. Le sommet du G-20 a établi des groupes de travail chargés d’examiner des propositions concernant 47 questions. Si un accord peut être trouvé d’ici là, certaines de ces propositions devraient être examinées à la réunion de Londres. Ces propositions concernaient des sujets variés comme la réforme du FMI et de la Banque mondiale et les mesures à adopter pour une réglementation et un contrôle plus efficaces des opérations financières et des investissements. Au-delà des préoccupations financières, les dirigeants du G-20 se sont prononcés pour la relance des pourparlers commerciaux internationaux et se sont engagés à lutter contre la tendance de certains pays riches à protéger leurs industries nationales de la concurrence économique d’autres pays.

Face au ralentissement économique actuel, les membres du G-20 ont encouragé les gouvernements à redoubler d’efforts pour financer la reprise économique. Ces grands programmes de relance devaient être lancés « partout où c’est possible. » Pour de nombreux observateurs africains, l’importance accordée désormais à l’intervention de l’État pour remédier aux carences des marchés semble marquer un nouveau recul des doctrines chères au FMI, à la Banque mondiale et aux bailleurs de fonds. Au cours des dernières décennies, ces institutions ont contraint de nombreux gouvernements africains à libéraliser leurs marchés et à opérer des coupes sombres dans les dépenses publiques. L’éminent économiste international Joseph Stiglitz juge que les conséquences de ces politiques ont été le plus souvent catastrophiques. Dans les pays en développement, « la libéralisation des capitaux et des marchés financiers n’a que rarement débouché sur la hausse de la croissance escomptée, mais a au contraire aggravé l’instabilité », a-t-il affirmé. Stiglitz a estimé que la crise actuelle devrait constituer une occasion de réévaluer « la doctrine économique en vigueur ». Des opinions semblables ont été exprimées par les membres de l’administration Obama. D’après Lawrence Summers, nommé à la tête du Conseil économique national consultatif, « le vent va tourner, et devrait tourner, en faveur du renforcement du rôle de l’État dans la prévention des dérives et des insuffisances des marchés. »

L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, l’ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, et l’ancien secrétaire d’État américain au Trésor, Robert Rubin, qui sont membres d’Africa Progress Panel, un groupe de défense des intérêts de l’Afrique, affirment qu’il est essentiel de ne pas ignorer les préoccupations particulières des pays africains pauvres. Des idées analogues de réforme de la gestion économique mondiale avaient été présentées dans les années 1990 après les crises financières du Mexique et de l’Asie, ont-ils précisé dans une déclaration commune. « Nous avons manqué l’occasion de mettre en place à ce moment-là un mécanisme de contrôle solide à l’échelle mondiale. Il ne faut pas laisser passer cette occasion cette fois-ci », ont-ils déclaré.

À une crise mondiale, une réponse mondiale

Les ministres des Finances et de la planification et les gouverneurs des Banques centrales de l’Afrique s’étaient réunis à Tunis pour définir une position commune face à la crise économique mondiale. Leurs débats étaient animés par les dirigeants des trois principales institutions du continent : BAD, Commission de l’Union africaine et Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (CEA).

Les ministres s’étaient engagés à poursuivre le développement de leurs programmes de réforme économique en renforçant la réglementation financière, en améliorant la gouvernance, en diversifiant les économies et en mobilisant davantage de ressources nationales. Ils se sont prononcés pour une collaboration plus étroite entre l’UA, la BAD, la CEA et les institutions africaines. Affirmant qu’« une crise mondiale exige une réponse mondiale », les ministres ont en outre exhorté les partenaires extérieurs de l’Afrique à mener un certain nombre d’actions, notamment encourager les bailleurs de fonds à honorer leurs engagements d’accroître leur aide à l’Afrique et à adopter des mesures visant à rendre cette aide plus efficace.

À ce sujet que les économies émergentes et en développement devaient pouvoir se faire davantage entendre et représenter au sein de ces institutions et que les réformes devaient également tenir compte des intérêts des pays les plus pauvres.