Exonérations et compensations sur le gril de l’IGF

Face à la faible mobilisation des recettes publiques du fait de la pandémie de coronavirus, le chef de l’État charge l’Inspection générale des finances d’une mission d’audit de toutes les faveurs sur les régimes douanier et fiscal accordées depuis plus de deux décennies dans le pays.

LE NOUVEAU staff de l’Inspection générale des finances (IGF) a du pain sur la planche. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, vient de lui confier une tâche précise comme une sorte d’entrée en la matière : « Veiller au contrôle de toutes les exonérations et compensations accordées à ce jour, et qui, par ce fait, amenuisent les montants des recettes récoltées pour le compte du Trésor public. » Comme on peut le constater, c’est une mesure qui risque de ne pas plaire aux milieux des affaires dans le pays, en cette période de crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 qui a mis à genoux la plupart des affaires, alors que les entreprises sollicitent du gouvernement des allègements notamment fiscaux pour faire face à la crise.

Néanmoins, nombre d’observateurs pensent que les exonérations accordées par-ci et par-là constituent un manque à gagner en termes de recettes budgétaires pour l’État. Selon l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), leur impact doit être cependant évalué. Par ailleurs, il faut prévoir les recettes de remplacement, notamment par la mobilisation des appuis budgétaires, en négociant avec les partenaires techniques et financiers internationaux, et à travers la balance des paiements, surtout en cette période de crise sanitaire. 

C’est clair, a fait remarquer Félix Antoine Tshisekedi lors du Conseil des ministres du vendredi 17 juillet, la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 astreint l’État à « des multiples dépenses pour assurer la stabilité socio-économique du pays », mais aussi à « garantir la résilience de notre économie » par un soutien public aux investissements. 

Porte déjà ouverte

Le président Tshisekedi estime que l’État n’a pas d’autre choix que « la mobilisation accrue des recettes publiques par les régies financières et les services d’assiette ». Si les exonérations sont plus ou moins autorisées pour encourager les investissements et le développement du pays, ce n’est pourtant pas vraiment le cas pour les compensations. Qui sont d’ailleurs interdites dans la loi de finances publiques (LOFIP) pour l’exercice 2020.

Au mois de février, le gouvernement que dirige Sylvestre Ilunga Ilunkamba, avait déjà fait part de son intention de réduire les exonérations à tous les niveaux. Promettant que des mesures gouvernementales allaient être annoncées sur les dérogations douanières et fiscales liées aux produits d’importation. 

En tout cas, c’est ce que le comité de conjoncture économique, présidé tous les mardis par le 1ER Ministre, avait fait savoir. En effet, ce comité a noté qu’il y a eu d’énormes pertes des recettes de l’État dues aux exonérations à tous les niveaux. Voilà une décision qui pourrait également peser dans la balance dans le cadre des négociations en cours entre le gouvernement et le Fonds monétaire internationale (FMI) en vue de la conclusion d’un accord formel de coopération. 

Sans cet accord, la République démocratique du Congo qui a besoin d’aide, ne pourra pas compter sur la communauté internationale des bailleurs de fonds pour renforcer ses capacités. Il ne fait aucun mystère que pour les administrateurs du FMI, il est impératif pour la RDC d’accroître les recettes intérieures afin de financer les besoins de développement et sociaux urgents. Pour cela, ils ont recommandé, entre autres mesures gouvernementales, de réduire les exonérations, d’élargir l’assiette de l’impôt, de simplifier le système fiscal et d’améliorer l’administration de l’impôt ainsi que le contrôle aux frontières.

En 2019, le volume d’exonérations s’est accru vertigineusement. Environ 7 milliards de dollars, selon les estimations du professeur Stefaan Marysse. Alors qu’en accordant les exonérations, par-ci et par-là, l’État espérait favoriser le développement durable. Selon des experts de la douane, les effets escomptés ne sont guère perceptibles malgré la plupart des lois (code minier, code des investissements…) qui consacrent des régimes douaniers et fiscaux de faveur depuis plus de 20 ans. 

En effet, le gouvernement a instauré un dispositif d’incitations fiscales visant à attirer les investissements directs étrangers (IDE), censés soutenir l’industrialisation, comme cela se fait dans beaucoup de pays en voie de développement. Tout un arsenal juridique d’exonérations a été donc mis en place. Mais la diversité de ces mesures rend difficile la compréhension des objectifs précis qui ont sous-tendu leur instauration, expliquent ces experts. 

En 2015, Stefaan Marysse a démontré que depuis 2013, les profits rapatriés vers les sièges des multinationales opérant en RDC ont dépassé les entrées de capitaux. En se fondant sur les données du FMI, il a estimé qu’en 2019 les profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois plus importants que les entrées d’IDE, avec deux milliards de dollars d’entrées et sept milliards de profits rapatriés. Soit plus que le budget voté en 2017 et 2018, autour de cinq milliards de dollars. 

La Direction générale des douanes et accises (DGDA) a toujours défendu que les montants des exonérations représentent un « énorme manque à gagner » pour le pays en matière de recettes pouvant être réinvesties pour soutenir l’industrialisation. 

La douane a toujours fustigé que les exonérations qui sont ailleurs l’exception qui confirme la règle dans les régimes fiscaux et douaniers dans le monde, soient devenues, malheureusement, la norme en RDC. La douane a toujours exhorté le gouvernement à mettre l’ordre dans ce secteur.