Faut-il avoir encore peur de la Belgique ?

Ces derniers jours, Kinshasa et Bruxelles ont ravivé la polémique en se pilonnant à l’arme lourde via des mesures de rétorsion. Le ministre belge des Affaires étrangères a enfin décrété unilatéralement la trêve. Kinshasa a saisi la perche lui tendue pour un dialogue. Il était temps…

 

Les relations diplomatiques belgo-congolaises sont au plus mal. Mieux, elles ne sont jamais au beau fixe. Kinshasa rejette la responsabilité a le plus officiellement du monde rejeté la responsabilité de la crise actuelle à Bruxelles (à ne pas confondre avec l’Union européenne, UE). Après des jours agités par des mesures de rétorsion dans les deux capitales, le gouvernement belge semble avoir « capitulé » en invitant les autorités congolaises au dialogue. On ne peut pas dire que Kinshasa en était moins demandeur, même si le ministre de la Communication et des Médias et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, ne boude pas son plaisir de voir les autorités belges abandonner la partie.

D’aucuns estiment que Kinshasa vient de remporter là une bataille, pas de moindre. La stratégie des autorités congolaises a consisté à procéder par un démontage en règle de ce qui reste encore des intérêts belges au Congo (en l’occurrence, la fermeture de la Maison Schengen, du consulat d’Anvers et la réduction du nombre de fréquences de 7 à 4 de la compagnie aérienne belge SN Brussels à destination de Kinshasa…). Et par une dénonciation de ce qu’on pourrait appeler le « contentieux belgo-congolais » codifié par ailleurs par l’État congolais, qui, comme chacun sait, accuse le plus souvent la Belgique d’« ingérence » dans les affaires politiques nationales.

Pour d’autres, trêve de triomphalisme. Certes, Kinshasa vient de gagner une bataille en frappant là où ça fait très mal. Mais pas encore la guerre.

Sans doute, Bruxelles a pris une claque mais il se remettra du coup porté contre lui. Ils estiment que le gouvernement belge a péché par « légèreté » en décidant de suspendre unilatéralement la coopération bilatérale, particulièrement l’aide au développement. Soit une enveloppe de 25 millions de dollars qui ne passera plus par le gouvernement congolais mais directement à la population via les ONG. Dans les deux capitales, ce sont surtout les effets socio-économiques des mesures de rétorsion qui sont encore le plus redoutés. Que cache la réaction « brutale » de la République démocratique du Congo ? A-t-elle les moyens de tenir tête à la Belgique, ancienne métropole, dont l’Occident est solidaire sur la question congolaise ? Que gagne la RDC et que perd-t-elle ? Cherche-t-elle simplement à punir la Belgique ? Est-ce contre-productif in fine au moment où le pays se prépare à aller aux élections générales ?

Bien des aviseurs sur la politique congolaise pensent que la crise actuelle avec la Belgique offre l’occasion de revisiter le cadre des relations bilatérales, de définir les chantiers à venir et de dépoussiérer les dossiers chauds et les velléités cachées. Un diplomate congolais à la retraite, ancien de la Belgique, et qui a requis l’anonymat, nous explique qu’en diplomatie, « les petits détails comptent ». Parfois, il faut savoir jouer au qui perd gagne et poser des actes dans l’intérêt des générations futures quand celui-ci est menacé. « C’est fondamental, dit-il, surtout en matière de coopération bilatérale ».

Enjeu d’image dans la rivalité

Dans le passé, rappelle-t-il, le couple belgo-congolais nous a habitués à des scènes de ménage qui n’ont jamais, heureusement, franchi la porte de la rupture des relations diplomatiques ou de la coopération bilatérale.

Ce diplomate à la retraite dit ne pas aimer quand « Bruxelles cherche noise à un moment où le Congo a rendez-vous avec l’histoire », comme maintenant où le pays négocie la dernière ligne droite vers les élections. Comme il le dit, « les élections, c’est la façon de gérer le jeu politique. Imaginez alors l’embarras du pouvoir à Kinshasa quand Bruxelles semble porter à bras-le-corps l’opposition au régime en place… »

Mais pour ce diplomate, ayant été en poste pendant des décennies en Europe, il n’y a pas d’« excuse possible » pour le régime en place. Cependant, il voit « le verre à moitié plein ». Comme il le dit, « une nouvelle escalade dans la crise n’est ni en faveur des Belges ni des Congolais ». On n’est plus à « l’époque où le Congo était mis sous coupe réglée par la Belgique, où tous les Occidentaux étaient derrière la Belgique sur le Congo ». Kinshasa a réussi à « retourner la situation en sa faveur, à diviser l’opinion publique en Belgique, à diviser les Occidentaux, voire la communauté internationale sur son sort ».

La tension va certainement baisser avec cet appel au dialogue. Heureusement. La crise belgo-congolaise énerve toujours. Kinshasa et Bruxelles sont en rage, éructent quand l’un s’en prend à l’autre. « Aux yeux du pouvoir à Kinshasa, Bruxelles est l’incarnation vivante d’une évolution historique qu’il juge funeste. Selon les autorités de Kinshasa, les Belges n’ont qu’une obsession : le Congo est leur chasse gardée », croit comprendre ce diplomate congolais. C’est ainsi que la crise diplomatique a tendance à « devenir, depuis des années, une vaste entreprise de maternisation (c’est-à-dire le fait de vouloir protéger comme une mère), sur fond d’infantilisation compassionnelle ». On peut tourner la crise (le contentieux) belgo-congolaise dans tous les sens, on aura, hélas, du mal à lui donner vraiment un tout autre contenu que celui-là.

Y a-t-il encore des intérêts belges en RDC pour que Bruxelles s’intéresse tant à ce qui s’y passe ? Pourquoi les Belges ont-ils évité une nouvelle escalade dans la crise après les mesures de rétorsion des Congolais qui les ont drôlement escagassés ? De là, faut-il avoir encore peur de la Belgique ? La Belgique passe pour l’« éminence grise » de l’Occident sur le Congo, c’est-à-dire ce conseiller influent qui reste dans l’ombre.

« En tout cas, son point de vue est prépondérant, tout comme celui de l’église catholique de la RDC, très consultée pour son rôle dans la formation des élites et les œuvres de santé publique », confie le politologue Jean Marie Kidinda. Qui ajoute : « Vu sous cet angle, normale la méfiance envers la Belgique et l’église catholique locale que l’on craint forcément qu’elles ne jouent auprès de l’opinion internationale le rôle plus ou moins occulte d’éminence grise ».