Faut-il changer les dates limites sur les produits alimentaires?

Ce n’est pas demain que les consommateurs à travers le monde comprendront les dates de durabilité minimales. D’où de nombreux gaspillages alimentaires décriés ici et là. En France, deux associations sont montées en première ligne pour proposent de faire évoluer la législation. Cela peut inspirer les autres à travers le monde

JETTE-T-ON nos aliments trop tôt? C’est ce que pensent deux associations françaises qui viennent de publier un livre blanc sur le gaspillage. Et le problème qu’elles mettent en avant, c’est celui des dates. Il y en a de deux types sur les aliments: d’abord la date limite de consommation, la fameuse DLC. C’est un indicateur sanitaire qui informe sur les risques microbiologiques qu’on encourt à manger un produit au-delà de la date indiquée. 

Mais le problème viendrait surtout des produits qui ont une DDM, pour date de durabilité minimale. Ce sont les produits sur lesquels on peut lire « à consommer de préférence avant telle date ». Or cette étiquette indique que le produit ne présente aucun risque de consommation mais qu’il peut éventuellement être moins bon ou moins beau passé cette date.

Et si cette dernière indication pose problème, c’est qu’elle reste incomprise. 53 % des consommateurs assurent ne pas bien saisir ce que veut dire cette date de durabilité minimale. Et ce manque de compréhension a des conséquences très importantes. Plus d’un produit sur trois est ainsi jeté par les consommateurs avant la date indiquée. Et même les commerçants n’y comprennent rien puisque certains jettent eux aussi des produits qui ont une DDM dépassée alors qu’ils peuvent toujours les vendre ou en faire des dons. Du fait de ces pratiques, le Commission européenne estime que 9 millions de tonnes de produits sont jetés chaque année en Europe.

C’est pour tenter d’y remédier que les associations Too good to go et France nature environnement font plusieurs propositions. D’abord, elles conseillent de faire plus confiance à nos sens. Par exemple, quand on achète du Comté chez le fromager, on n’a pas de date de « durabilité minimale ». On va se fier à son apparence, son goût, son odeur… Alors que pour le même Comté acheté en grande distribution, on aura tendance à ne se fier qu’à la date.

Deuxième piste: rallonger ces dates de consommation. Ajouter un jour supplémentaire permettrait ainsi de réduire de 170 000 kilo par an la quantité de produits jetés. Enfin, dernière solution: influencer les consommateurs en changeant les mots sur les étiquettes. Au lieu de mettre « à consommer de préférence avant », on pourrait ajouter à côté de la date limite de consommation « mais pas mauvais après telle date » ou « et aussi après ». C’est ce qu’a fait la Norvège en 2017 sur ses produits laitiers et elle a grandement réduit le gaspillage.

Le gaspillage de nourriture

Un vrai débat a lieu depuis quelques années dans le monde où un tiers de la nourriture produite chaque année finit à la poubelle. Et le problème devient de plus préoccupant, à en croire les études qui sont consacrées à ce phénomène. Les entreprises prennent de plus en plus des initiatives efficaces pour réduire ce gaspillage. En effet, chaque année, 1,6 milliard de tonnes de nourriture partent à la poubelle dans le monde. Quelques chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO) renseignent suffisamment sur l’ampleur du phénomène. 

Un tiers des récoltes de céréales et près de la moitié des fruits et légumes sont perdus au cours de la chaîne alimentaire. 35 % des poissons et fruits de mer pêchés sont rejetés à la mer ou 20 % du lait produit est finalement jeté… Un gaspillage d’autant plus révoltant que dans le même temps, 870 millions de personnes souffrent de malnutrition et que la production jetée génère 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES).

D’après les projections du Boston Consulting Group (BCG), le volume des déchets alimentaires annuels va continuer à s’accroître de 1,9 % par an d’ici 2030, soit 2,1 milliards de tonnes à cette échéance. Soit 66 tonnes de nourriture jetée chaque seconde. L’Asie sera la région la plus touchée : « Au fur et à mesure que les habitants s’enrichissent, ils augmentent leur consommation et demandent des aliments plus variés, souvent non produits localement », détaille Shalini Unnikrishnan, une des auteurs de l’étude.

La plus grosse source de gaspillage se situe au niveau de la production, avec par exemple des rongeurs ou parasites qui dévorent les récoltes ou des dégâts mécaniques qui abîment les fruits lors de la cueillette. Du côté de la chaîne d’approvisionnement, où 350 millions de tonnes sont perdues chaque année, le problème vient surtout du manque d’infrastructures adaptées (chaîne du froid inexistante dans de nombreux pays) ou de processus industriels qui se préoccupent davantage d’efficacité et de vitesse plutôt que de réduire les pertes. Enfin, au niveau de la commercialisation, les standards différents selon les pays et l’imposition de dates de péremption trop strictes aboutissent à des gaspillages équivalent à 110 milliards de dollars, estime le BCG.

Conception erronée

« Les consommateurs ont souvent une conception erronée des mesures à adopter, regrette Shalini Unnikrishnan. Ils pensent par exemple que les fruits et légumes frais sont plus sains que les surgelés, alors que c’est le contraire. Les denrées fraîches perdent leurs nutriments lors du transport et augmentent le risque de gaspillage. » Autre dérive pointée du doigt : les promotions qui encouragent à acheter en grande quantité et qui conduisent le consommateur à jeter la nourriture qu’il n’a pas eu le temps de manger avant qu’elle ne s’abîme. Au total, résoudre l’ensemble des problèmes de la chaîne alimentaire permettrait d’économiser 700 milliards de dollars par an en nourriture, estime le BCG.

Si les gouvernements et les consommateurs ont un rôle à jouer, les entreprises doivent être le fer de lance de la lutte contre le gaspillage. Elles sont déjà nombreuses à avoir lancé des initiatives. Par exemple, les grands semenciers (BASF, Bayer, Syngenta ou Monsanto) ont formé plus de trois millions de petits agriculteurs aux bonnes pratiques agricoles pour lutter contre les nuisibles et réduire les pertes lors de la récolte.

Avec son initiative des « fruits et légumes moches » lancée en 2014, Intermarché redonne une chance à des produits mal calibrés. En Angleterre, Marks & Spencer vend ses fraises sous un emballage spécial absorbant l’éthylène, permettant d’allonger la durée de conservation de 50 %. À Taïwan, Carrefour a ouvert un restaurant où sont cuisinés les produits invendus de ses fournisseurs ou magasins. Sodexo et Ikea ont noué un partenariat avec la start-up LeanPath pour mesurer et analyser le gaspillage et sensibiliser le personnel dans les espaces de restauration collective. 

Au Kenya, la fondation Rockefeller collabore avec la compagnie TechnoServe pour fournir aux petits paysans des unités de stockage de froid alimentées à l’énergie solaire pour conserver leurs fruits et légumes. Le distributeur britannique Tesco recycle ses aliments périmés en nourriture pour animaux et son huile usagée en biodiesel. 

PepsiCo a revu son approvisionnement en fruits et légumes pour favoriser des fournisseurs de proximité et réduire les pertes dans le transport…