Glencore suspend (provisoirement) sa production de cuivre

La décision a été annoncée au début de la semaine dernière. Le géant suisse se donne un an et demi pour voir venir les événements avant de          reprendre ses activités en République démocratique du Congo et chez le voisin zambien. 

Plus de peur que de mal. Finalement, Kamoto Copper Company (KCC)  et MutandaMining (MUMI), deux filiales cuprifères du géant suisse du négoce des matières premières Glencore, en partenariat avec le groupe Fleurette de Dan Gertler, ne mettront pas la clé sous le paillasson à cause de la baisse continue des cours des métaux de base. Le 7 septembre,  un communiqué de la multinationale annonçait le retrait du marché international, pour une durée de 18 mois, de 400 000 tonnes de cuivre par la suspension de la production à Mopani (Zambie) et Kamoto (RDC).

La nouvelle a causé quelques soucis aux autorités congolaises, d’autant que l’économie du pays, premier producteur de cuivre en Afrique avec 1 200 000 tonnes par an, est fortement dépendante du métal rouge. Or le cuivre qui tutoyait les 10 000 dollars la tonne en 2011, se négocie aujourd’hui autour de 5 000 dollars la tonne. Son prix a donc été divisé par deux. Une véritable bérézina pour les finances publiques.

Aux ministères des Mines et du Portefeuille, et même de la primature. Ces lieux de pouvoir ont multiplié les réunions avec une délégation de haut niveau de Glencore conduite par son numéro deux.

Glencore rassure et dédramatise la fermeture temporaire de KCC

L’onde de choc économique et sociale dévastatrice de la nouvelle de l’arrêt de la production de Glencore en RDC a provoqué une certaine inquiétude, particulièrement au Katanga, notamment dans la ville minière de Kolwezi. L’inquiétude des travailleurs de KCC et de MUMI est palpable car leurs emplois sont en jeu. Chez les dirigeants politiques, c’est une préoccupation, celle de voir échapper au Trésor public d’importants revenus que les deux sociétés paient en termes d’impôts, redevances et autres taxes. Et de faire face à une tension sociale, avec un nouveau flot de chômeurs déversés sur le marché de l’emploi. Pour mesurer la portée de cette mesure inédite dans le secteur minier industriel, une forte délégation de dirigeants de Glencore séjourne depuis le 9 septembre en RDC afin de donner des explications aux autorités publiques, mais aussi à leurs employés.

L’inquiétude des officiels congolais est compréhensible : les experts financiers soutiennent que cette tendance baissière des cours des matières premières va s’installer dans la durée. Et qu’elle a déjà  fait perdre à l’industrie minière mondiale la somme astronomique de 540 milliards de dollars en valeur boursière. Glencore n’y ayant pas échappé, devait donc tout naturellement réagir car perdant continuellement beaucoup d’argent.

Si, en Zambie, il n’y avait aucune ambiguïté sur la mine touchée par la mesure de suspension de la production, Mopani, il n’en était pas de même de la RDC où l’information véhiculée par les médias n’apportait aucune précision sur laquelle des deux mines de Glencore était concernée. Ou encore s’il s’agissait des deux à la fois.

À Kinshasa, on s’inquiétait à l’idée de voir les deux mines arrêter leur production : 350 000 tonnes de cuivre par an. Ce n’est pas rien ! Par ailleurs, elles représentent près de 9 000 emplois menacés et des centaines de millions de dollars de revenus fiscaux et parafiscaux de manque à gagner pour l’État. Des sueurs froides ont dégouliné de leur front car, à eux deux, KCC et MUMI, sont parmi les plus grands employeurs privés du pays et les premiers contributeurs au budget de l’État.

Débarqués à Kinshasa, allant de ministère en autre, les dirigeants de Glencore se veulent plus que rassurants. En RDC, seule la mine de KCC- qui produit 150 000 tonnes de cuivre par an- est concernée par cette mesure drastique mais judicieuse, soutiennent-ils. Mutanda Mining, qui produit 200 000 tonnes de cuivre n’est donc pas concernée, a déclaré un haut responsable de Glencore.

KCC touché à cause de son traitement obsolète du minerai d’oxyde de cuivre 

Pourquoi alors KCC et non MUMI ? La raison est simple.  Glencore met en avant le fait que le coût de production du cuivre à KCC est très élevé par rapport aux cours actuels du cuivre. Avec un coût de production autour de 6 500 dollars la tonne métrique de cuivre appliqué au prix  moyen du cuivre, qui varie autour de 5 000 dollars sur le marché, KCC perd entre 1 000 et 1 500 dollars par tonne de cuivre produit. Cela représente jusqu’à 20 millions de dollars en moyenne de perte chaque mois. Sur une année, si cette tendance continuait ce serait 240 millions de  dollars. Intenable  même pour une société de la trempe de KCC. La restructuration était donc inévitable. Ce surcoût de production est dû essentiellement au recours à un vieux processus de raffinage du cuivre effectué dans les anciennes usines métallurgiques de la Gécamines dont KCC a hérité. En raison de la technique obsolète de traitement du minerai d’oxyde de ses mines à ciel ouvert,  le taux de récupération du cuivre dans ses usines tourne autour de 50% d’oxyde de cuivre. Ce qui signifie que KCC envoie près de la moitié de son cuivre à la poubelle sous forme de rejets.

Cela représente à peu près 100 000 tonnes de cuivre métal jetés. Aucune société minière ne peut plus se permettre un tel luxe avec des cours du métal rouge aussi bas. Un calcul rapide démontre à suffisance que, au cours des trois derniers mois, KCC aurait perdu ainsi 60 millions de dollars. « Une pause, et non une fermeture, s’imposait donc pour corriger cette anomalie », soutient une source proche de KCC. Mais ce temps d’arrêt provisoire de dix-huit mois au maximum sera mis à profit pour moderniser les installations métallurgiques devenues absolètes.

Glencore veut injecter 870 millions de dollars dans KCC pour sa modernisation

Dans un mémo que KCC a adressé à la primature,  on peut lire que, au cours de cette courte période de suspension de la production pendant un an et demi, les actionnaires de KCC vont injecter, à titre d’investissement, une somme de plus de 800 millions de dollars dont la majeure partie servira à moderniser ses usines afin de faire baisser le coût de raffinage du cuivre. Les améliorations apportées à l’ensemble du processus comprendront aussi bien l’aménagement d’un nouvel emplacement pour les usines et autres unités de production, actuellement éparpillées sur 12 km carrés, ainsi que l’augmentation des recouvrements d’oxydes de cuivre jusqu’à  85% ! KCC se mettra au diapason de la technologie la plus moderne qui est la lixiviation en tas, la meilleure méthode pour la récupération du cuivre déjà utilisé avec succès dans la nouvelle usine de Mutanda Mining ainsi que d’autres mines d’importance similaire de par le monde. L’autre partie de l’investissement sera utilisée pour préparer les mines à ciel ouvert, découverture, minage et stockage des minerais pour préparer le lancement, fin 2016-début 2017, de la  lixiviation en tas qui va amener la société à produire jusqu’à la capacité installée de 300 000 tonnes de cuivre par an, mais avec un taux de recouvrement optimal qui permettra un rendement financier compétitif et satisfaisant aussi bien pour l’entreprise que pour l’État.

Un besoin de toute l’énergie souscrite pour maintenir les opérations et mener l’investissement à terme

Entretemps, KCC continue vigoureusement avec le projet FRIPT qui vise à sécuriser l’approvisionnement en énergie électrique des deux filiales de Glencore et Fleurette, en appuyant la SNEL dans la réhabilitation de deux turbines (G27 et G28) du barrage hydroélectrique d’Inga II. La fiabilisation des lignes de transport haute tension de courant continu est aussi prise en compte dans ce projet. Coût total: 380 millions de dollars.

Le manque d’énergie en quantité et en qualité est justement l’une des raisons justifiant un coût de production de cuivre si élevé qui menace la compétitivité de KCC par rapport à d’autres entreprises du secteur. En effet, des volumes très importants de gasoil avoisinant 1,5 million de litres sont brulés chaque mois pour combler le déficit que la SNEL n’arrive pas à résorber. Pour ce faire, KCC importe à un prix trois fois supérieur à celui appliqué par la SNEL de l’énergie provenant de la Société zambienne d’électricité (ZESCO).

Durant cette courte période de pause de restructuration, KCC pourrait arrêter ses générateurs et l’importation de l’électricité de ZESCO, mais elle aura besoin de toute l’énergie souscrite pour maintenir les opérations (mines souterraines, programme d’investissement de 800 millions de dollars). Cela va surtout permettre à la SNEL de poursuivre le remboursement de la dette et permettre à KCC d’aller au terme du financement de 380 millions de dollars pour la réhabilitation d’Inga II.

 Un millier d’emplois à supprimer

KCC a encore de beaux jours devant elle car la durée de vie de la mine est de trente-cinq ans pour une capacité de production maximale de 300 000 tonnes par an.  Actuellement, KCC emploie 5 441 personnes, ce qui en fait l’un des plus gros employeurs privés de la RDC. Bien entendu, la suspension temporaire de la production aura des conséquences sur ces emplois, dont une petite partie sera supprimée  avec incitation aux départs négociés et volontaires. Au total, cela concerne quelque 1 204 salariés qui devront être mis en congé selon des sources proches de la société, soit à peu près 22% des effectifs de KCC. D’autres sources, proches du gouvernement, indiquent qu’il  aurait été suggéré à KCC licenciements massifs pour privilégier les départs volontaires en payant tous leurs droits aux travailleurs. Selon certains experts, les futurs ex-travailleurs de KCC n’auront pas beaucoup de mal à retrouver un emploi grâce à leur expertise, très recherchée, et à la floraison des projets miniers au Katanga (la RDC et la Chine, avec Sicomines, ou encore le projet Kamoa du canadien Ivanplats). Les travailleurs qui resteront dans l’entreprise vont s’atteler à moderniser le complexe métallurgique de KCC pour le rendre plus fonctionnel, efficient et compétitif dans un environnement international extrêmement difficile.

D’autres seront par contre transférés à la mine de MUMI pour bénéficier de programmes de formation et remise à niveau par rapport aux nouvelles technologies en vigueur dans l’industrie minière. Pendant ce temps, MUMI, de son côté, poursuit son bonhomme de chemin malgré les soubresauts actuels des marchés. Son coût de production assez bas lui permet de demeurer compétitif même avec des cours du cuivre aussi bas qu’en ce moment. Son niveau de production reste le même (200 000 tonnes de cuivre par an) et il n’y aura aucun licenciement pour raison économique à craindre pour ses 3 500 employés.  Même la production cuprifère du pays n’en sera pas beaucoup affectée. La baisse ne représente que 10% de la production totale de la RDC évaluée à 1,2 million de tonnes de cuivre par an. Malgré une conjoncture internationale difficile, Glencore va préserver 80% des emplois dans sa mine de Kamoto.

Le code minier n’a pas été touché

L’autre géant minier, Tenke Fugurume Mining, filiale de l’américain Free Port-Mc Moran, a maintenu sa production actuelle autour de 200 000 tonnes de cuivre par an. La suspension de la production de l’une des deux usines de Glencore en RDC n’est donc pas si dramatique que cela. Comparée à l’Angola, qui a vu ses revenus fiscaux divisés presque de moitié à cause de la baisse des cours du pétrole de presque autant, la RDC s’en sort plutôt bien.

L’autre géant du cuivre en Afrique, la Zambie a, pour sa part, vu le kwacha, la monnaie nationale, fondre à vue d’œil et se dévaluer brutalement par rapport au dollar à cause de la chute des cours du cuivre. La Zambie a perdu dans cette crise 2% de son taux de croissance économique. Initialement prévu à 7%, il a été ramené à 5%. La situation relativement enviable de la RDC dans cette tourmente internationale, ménagée par les multinationales, est due aussi au fait qu’elle n’avait pas révisé le code minier, cadre par excellence pour attier des investisseurs de taille dans ce secteur de pointe et combien compétitif. Si d’aventure elle l’avait fait, les multinationales auraient mis sans doute une croix  sur les investissements massifs consentis jusque-là, qui pour moderniser les usines, qui pour  obtenir de l’énergie fiable et bon marché. Grâce à un code minier attractif promulgué en 2002, KCC a depuis investi 2,8 milliards de dollars en RDC. Ce, sans compter les 800 millions de dollars additionnels pendant la pause de restructuration.

 Les opérateurs miniers attente un allègement du fardeau fiscal 

Contexte international oblige, les opérateurs miniers attendent de l’État un geste concret et fort sous forme d’allègements fiscaux, notamment pour qu’ils maintiennent leur niveau de production afin de préserver les emplois. Les Congolais se souviennent encore de la crise financière mondiale de 2008 qui entraîna la baisse des cours des matières premières et qui occasionna la perte de milliers  d’emplois, notamment au Katanga. Le gouvernement avait baissé la redevance pour soulager les entreprises minières en difficulté. Cette expérience douloureuse de la crise de subprimes, l’État doit s’en servir comme exemple pour mieux juguler celle d’aujourd’hui qui peut durer trois ans, selon certains experts.  D’après une source proche du gouvernement, une rencontre de haut niveau est prévue entre les opérateurs miniers et le ministre des Mines pour dégager un consensus sur les mesures à prendre afin d’atténuer au maximum les effets de la crise actuelle, due en partie au ralentissement de l’économie chinoise dont la croissance habituelle à deux chiffres n’est plus que de 4 à 7% comme le montrent les derniers chiffres publiés par Pékin qui consomme près de 40% de toute la production mondiale des métaux.