Gratuité ou pas gratuité, l’école est déjà transformée en produit commercial

École publique-école privée, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Nous avons déjà marchandisé l’éducation, assimilé l’élève au client. Conséquence : l’école n’assure plus son rôle comme elle le devrait. Il est urgent de la refonder.

QU’IL S’AGISSE des écoles publiques ou des écoles privées en République démocratique du Congo, l’enjeu est de satisfaire la demande en formation des ménages. La différence fondamentale entre le privé et le public réside dans le mode de gestion des écoles. Contrairement aux idées reçues, les établissements d’enseignement privés ne sont pas de création récente en RDC. Le secteur privé d’éducation a existé pendant l’époque coloniale avant de disparaître avec la nationalisation de l’enseignement en 1965. Réhabilité en 1990 à la faveur de la crise économique des années 1980, ce secteur connaît à ce jour une nette explosion. 

En effet, les effectifs dans les structures privées, notamment à l’école primaire, sont supérieurs à ceux du secteur public. Cette situation a été encouragée par l’État qui ne parvenait plus à financer entièrement l’éducation. Outre l’option gouvernementale de libéralisation en 1990, la progression du marché privé de l’éducation est la conséquence de la précarisation de la qualité de l’offre publique (classes surchargées, bâtiments délabrés le plus souvent, enseignants impayés ou démotivés). 

Le développement du secteur privé, notamment dans le segment primaire, ne peut laisser indifférent. Longtemps, on a expliqué le succès des institutions d’enseignement qui ne sont pas contrôlées par une autorité publique, par leur viabilité et leur performance. En effet, les institutions privées d’enseignement sont censées être gérées par des ONG ou des associations, des groupes religieux, des groupes d’intérêts particuliers, des fondations ou des entreprises commerciales, poursuivant un but lucratif ou non. Mais on observe de plus en plus que des particuliers se lancent dans ce secteur à des fins purement mercantiles. 

Dans les années 1980, on a progressivement assisté au phénomène de soutien scolaire privé pour tenter de corriger les faiblesses dans l’encadrement pédagogique classique. L’encadrement pédagogique assuré à domicile par des enseignants, ou dans un cadre spécifique en dehors de l’école continue à attirer des clients à la quête du succès scolaire. La libéralisation de l’enseignement en 1990 a fini par formaliser ce soutien. 

Aujourd’hui, avec la marchandisation de l’éducation, l’école privée a cessé d’être l’alternative à l’école publique et entraîne des situations de concurrence sauvage dans le secteur privé. Contrairement aux effets bénéfiques attendus ou supposés, le privé s’est révélé contre-productif au fil du temps et donne libre cours aux critiques de ceux qui évoquent et mettent en relief la recherche des profits et l’inégalité de l’accès par les différences de revenus.

Un produit commercial

Dans le privé comme dans le public, l’éducation est transformée en produit commercial. L’éducation est sujette à la concurrence et à la déréglementation. Pourtant, l’autonomie des écoles privées n’exclut pas un minimum de réglementation et de compatibilité avec les dispositions légales. 

L’exode pédagogique du public vers le privé compromet le principe d’équité dans la perspective d’une éducation de qualité pour tous à tous les niveaux. Comparativement au secteur public, le privé se caractérise aussi par une diminution de la qualification du personnel enseignant. Du point de vue des conditions de travail, le secteur public n’offre plus ou presque de meilleures structures d’accueil (salles de classe). Du point de vue des résultats à l’Examen d’État (baccalauréat), les deux secteurs sont au même niveau… 

En RDC, l’enseignement privé de masse est considéré comme le complément indispensable du secteur public par son apport supposé important à la scolarisation des enfants et des jeunes congolais. Sur le marché de l’éducation, des conflits apparaissent au vu des exigences des uns et des autres à propos de la qualité du service éducatif. Dans un contexte économique instable, l’élève est assimilé au client parce que bénéficiaire des services d’éducation fournis pour son épanouissement intégral. Les parents qui investissent dans les écoles privées à but lucratif s’attendent à ce que leurs enfants obtiennent une bonne formation. Les écoles publiques tentent de leur côté de refaire le retard en faisant la même chose que les écoles privées pour survivre. 

Aujourd’hui, l’école se réinvente en RDC en mode hybride sans véritable remise en question sur ses contenus et ses contre-performances. Le débat actuel se focalise sur les acteurs et sur les moyens.