Hausse du prix du pain : l’arbre qui cache la forêt

 Les menaces du ministre d’État et ministre de l’Économie ont-elles eu vraiment raison contre les boulangers, en majorité expatriés ? Certes, le pain standard a retrouvé son prix initial de 200 francs, mais le grammage donne à douter. Et les ménages réclament le même « zèle patriotique » pour les autres produits de conso courante. 

 

Selon des sources judiciaires, le patron libanais de l’usine industrielle de panification Pain Victoire, Assi Saleh, a été entendu vendredi 30 mars par le parquet de la République, sur ordre du ministre d’État et ministre de l’Économie, Joseph Kapika Dikanku, pour avoir refusé d’obtempérer à sa décision. En effet, suite à la hausse du prix du pain (de 200 à 300 francs) par les boulangers sans la moindre concertation avec le ministère de l’Économie, Joseph Kapika leur a enjoint d’y « surseoir » car, d’après lui, cela était « potentiellement dangereux pour la sécurité de l’État ». Lundi 26 mars, le prix de la baguette est donc passé sans publicité de 200 à 300 francs (0,12 à 0,18 dollar) à Kinshasa. Aussitôt après, le ministre de l’Économie a convoqué à son cabinet les opérateurs du secteur pour leur remonter les bretelles.

Le reflexe du « combattant » 

Ordre est donné, dans le pur style dictatorial, de « surseoir » immédiatement à toute augmentation de prix du pain et, par conséquent, de communiquer au ministère la structure des prix. Pain Victoire qui produit six millions de pains par jour pour Kinshasa et le Kongo-Central, rechigne.

D’où la colère de Joseph Kapika, qui s’est souvenu de son passé de « combattant » radical ou intolérant  de l’UDPS pour se faire respecter. Même si Pain Victoire, ce n’est pas rien, au regard de son réseau de distributeurs et vendeuses. En plus, c’est la filiale du mastodonte libanais Congo Futur, grand groupe libanais qui opère en République démocratique du Congo dans plusieurs secteurs depuis plusieurs années. Dans le passé, un ministre a osé s’attaquer à un « puissant » homme d’affaires libanais ayant pignon sur rue… on connaît la suite. Passons. « Je ne veux pas accepter que la sécurité de l’État soit mise à mal parce qu’un opérateur économique qui cherche à faire du bénéfice plantureux s’entête », se justifie Kapika.

En RDC, le prix du pain est libéralisé, reconnaît Kapika, c’est-à-dire il obéit aux lois du marché comme les autres produits de première nécessité. Cependant, la hausse du prix de la denrée alimentaire la plus consommée au monde n’est que l’arbre qui cache la forêt. La rumeur bruissait déjà dans la ville comme pour faire comprendre que la semaine du 2 au 8 avril serait explosive. En effet, la grille tarifaire dans les transports en commun allait connaître des modifications. Déjà, par exemple, les conducteurs de taxi et taxi-bus s’illustraient dans la pratique de « demi-terrain » pour contourner la hausse des prix du carburant à la pompe à quatre reprises. Par ailleurs, depuis quelques semaines, l’ire des ménages ne fait que monter face à la hausse des prix sans cesse dans les marchés. Pourtant, la parité Franc/dollar est quasiment restée constante (1 620 francs pour 1 dollar) depuis le début de l’année. La valse des étiquettes s’y passe de tout commentaire. On ne peut pas dire que c’est la conséquence de la dépréciation de la monnaie nationale. Mais d’où vient alors cet emballement des prix au marché et dans le commerce dans la capitale ? Comme d’habitude, les ménages sont astreints à faire des coupes dans leur budget ou à diminuer de volume le panier quand ça ne va pas vraiment. D’ailleurs, il y a longtemps qu’on ne parle plus de panier mais de « sachet » de la ménagère. Les femmes rencontrées au Marché-Central disent, toutes, leur ras-le-bol. Les prix affichés ne sont que trompe-l’œil pour attirer la clientèle. Il n’y a que les pavillons des produits alimentaires (poissons et poulets surgelés, riz, sucre, huile végétale, épices, vivres frais…) qui attirent encore du monde. « C’est normal, parce que la nourriture est prioritaire dans la plupart des familles », explique une dame, mère de 7 enfants. Dans beaucoup de magasins, les ventes sont en chute libre. La tendance est désormais à la vente à crédit, avec le concours des banques commerciales. D’autres commerçants (Indopakistanais, Libanais, Egyptiens…), plus agressifs, font du porte-à-porte pour des ventes adaptées en imaginant des formules.

Morosité ambiante

D’ordinaire, les prix changent à tout moment, en fonction du taux de change. Dans tous les secteurs, l’offre accroît, la demande stagne mais les prix ne baissent pas. En effet, pour survivre à Kinshasa, tout le monde ou presque s’est converti en commerçant ou en businessman ou businesswoman. Les ménages sont vraiment inquiets de la situation de morosité ambiante. « Les prix des produits alimentaires de base changent au gré de je ne sais pas quoi… Ils ont doublé, voire triplé par rapport à 2017, alors que la monnaie est stable », maugrée une ménagère. Selon les données fournis par l’Institut national de la statistique (INS), les prix des denrées de base avaient déjà atteint des crêtes historiques à fin 2016, avec des hausses allant à plus de 50 % par rapport à 2015. Les ménages se trouvent exactement dans la même situation que les moutons et les bœufs souffrant de la maladie du tournis, pris d’une sorte de vertige, tournant convulsivement sur eux-mêmes.