Ilunga peut-il réussir ?

72 ans, un parcours politique plutôt discret, ce professeur d’économie à la retraite est le choix du consensus, entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi pour le poste de 1ER Ministre. Si la taille de son cabinet - 65 membres – est à coup sûr un handicap, sa réussite dépend largement de l’état d’esprit qu’il doit imprimer dans la relation des Congolais au pouvoir d’État.

EN RÉALITÉ, dans l’homme, c’est l’esprit. Ce n’est pas l’âge (la vieillesse) qui procure la sagesse. Voilà pourquoi Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le tout premier 1ER Ministre de l’ère Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, devra avoir une grande capacité d’écoute pour bien appréhender ce que demande et veut réellement le peuple. Il doit avoir aussi de la poigne pour enfin avoir la main mise sur les membres de son cabinet, qu’il n’a pas choisis, du reste. 

En l’absence de culture de sondage d’opinion en République démocratique du Congo, il faut aller dans les réseaux sociaux pour savoir ce que disent les Congolais et palper finalement leur état d’esprit. Celui d’un ras-le-bol général qui se traduit par la soif du « changement ». Depuis le 24 avril 1990, lorsque Mobutu Sese Seko, alors président de la République, décide de la démocratisation du pays sous la pression du vent de la Perestroïka qui souffle très fort sur le continent africain, le peuple est toujours le grand absent du Grand débat politique en RDC. 

Depuis le 24 avril 1990, donc, les politiciens n’ont pas, en réalité, de souci à se faire vis-à-vis du peuple, sinon leurs déclarations démagogiques. En prenant en compte ce qui se dit et/ou s’écrit dans les réseaux sociaux, il y a vraiment de quoi les faire réfléchir : sans vraiment exagérer, 90 % des Congolais ont une image négative des politiciens de leur pays. Le chiffre gonfle, quand on série les adjectifs qui les qualifient le mieux. C’est un véritable tsunami qui submerge l’image du politicien congolais. 

Morale et éthique

Les valeurs de « nationalisme », de « patriotisme », de « l’intérêt supérieur de la nation avant tout » qui faisaient le plus souvent la fierté des « pères de l’indépendance » ne les caractérisent plus. À l’inverse, aujourd’hui, le qualificatif le plus souvent cité est « égoïste », et le terme « immoral » arrive en 2è position. Comme le démontre une étude du centre de recherche multidisciplinaire Alter de Kinshasa sur le leadership, les politiciens congolais sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux pour leur communication. Chacun de ces politiciens essaie d’établir une stratégie de communication digitale propre à sa personnalité pour s’attirer les faveurs des Congolais. 

Aujourd’hui, les réseaux sociaux nous révèlent que les Congolais ne sont pas dupes. Ils sont demandeurs de justice sociale. C’est le message que les Congolais envoient le plus souvent. Sylvestre Ilunga Ilunkamba est averti : « La clé de la réussite? La phobie de l’échec, tout simplement! » Et : « Pas de futur sans justice sociale. » À travers les prises de parole sur les grands enjeux d’aujourd’hui et de demain pour la RDC, il y a « une espèce d’agenda du peuple ». 

Le 20 mai dernier, Sylvestre Ilunga s’est vu confier la responsabilité de conduire le futur gouvernement, à l’issue des élections présidentielle et législatives du 30 décembre 2018. Au vu des résultats de ces deux scrutins, bien des observateurs se demandent encore s’il y a lieu de parler d’alternance au pouvoir. Directeur général de la Société nationale des chemins de fer (SNCC) – avant sa désignation au poste de 1ER Ministre -, après son passage au Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (COPIREP) entre 2003 et 2014, Ilunga Ilunkamba est « le prix du compromis ». Mieux, il est « le symbole » de la coalition gouvernementale inédite CASH-FCC. 

Dans ce scénario, Sylvestre Ilunga devra être équilibriste, c’est-à-dire contraint de donner satisfaction à la fois à Joseph Kabila (autorité morale du FCC) et à Félix Antoine Tshisekedi (président de la République). La tâche s’annonce ainsi hardie et des couacs sont en tout cas inévitables. Aux difficultés déjà connues du pays pour Sylvestre Ilunga, il convient d’ajouter les hommes et les femmes qui forment son gouvernement. La compétence, supposée ou réelle, ne suffit pas, à la rigueur, il faut surtout des hommes et des femmes qui ont du répondant pour traduire dans les actes ce que demande le peuple. 

Les interrogations

Ils sont nombreux les Congolais qui s’interrogent sur la capacité du nouveau 1ER Ministre à insuffler un nouvel état d’esprit dans la relation des Congolais au pouvoir d’État, c’est-à-dire dans la gestion des affaires publiques. Ce n’est un secret pour personne, ses détracteurs lui reprochent surtout de n’avoir pas pu transformer la SNCC en une entreprise performante et viable tout au long de son mandat à la tête de cette entreprise publique en difficulté, malgré le financement de la Banque mondiale. Alors, sera-t-il vraiment à la hauteur de la tâche et du travail qu’on attend de lui, face aux défis de l’État pour sortir la population de la précarité ? 

Si l’investiture de la nouvelle équipe gouvernementale fait déjà partie de l’ordre du jour de la session extraordinaire en cours à l’Assemblée nationale, la grande inconnue reste le programme du gouvernement pour le quinquennat. Ilunga Ilunkamba va-t-il s’aligner sur la vision de Félix Antoine Tshisekedi (350 mesures prioritaires dans le cadre de son programme de campagne) ou va-t-il chercher à imprimer sa marque, mieux, celle du FCC ? Et voilà la RDC plongée, à nouveau, dans l’une de ses tourmentes politiques spasmodiques qui jalonnent son existence. Et voilà tous les responsables politiques nationaux à la recherche de la formule magique qui permettrait de sauver l’alternance (?) sans humilier le peuple frondeur. 

Coalition ou cohabitation ? Force est de constater que le débat n’est pas encore tranché, malgré les apparences. Deux précédents de cohabitation sont, évidemment, dans tous les esprits : celles du président Mobutu Sese Seko avec Etienne Tshisekedi wa Mulumba, le père de l’autre, qui avait rejeté, déjà, une première fois le poste de 1ER Ministre avant de l’accepter, après avoir été élu à la Conférence nationale souveraine (CNS) en 1992, et à la suite de la guerre de l’AFDL en 1997. Est-il possible d’appliquer une fois encore ce genre de recette ? L’avenir le dira.