Importations de l’État : un vrai suicide collectif pour des éleveurs locaux

Les participants à l’atelier  sur le diagnostic de la filière en RDC recommandent que la RDC se dote d’une réelle politique nationale afin de rendre ce secteur plus attractif et socle de la sécurité alimentaire.

Un ouvrier agricole congolais apporte de l'eau à un élevage bovin appartenant au groupe minier Bazzano, dans une ferme agro-industrielle à proximité de Likasi, troisième ville de la province minière du Katanga, située à 120 km à l'ouest de la capitale provinciale Lubumbashi, en République démocratique du Congo, le 26 février 2015. - A Congolese farm worker is bringing water to a cattle owned by the mining group Bazzano in an agribusiness farm near Likasi, third largest city in the mining province of Katanga, located 120 km west of the provincial capital Lubumbashi,in the Democratic Republic of Congo, on February 26, 2015.

 

La pêche et l’élevage forment actuellement un ministère à part entière. Ce dont les experts se réjouissent. De l’avis du Dr Odon Alphonse Mpembele Kisadila, président honoraire de l’association des médecins vétérinaires de la République démocratique du Congo, l’État devra désormais disposer d’un système de financement du secteur de l’élevage. Les importations de vivres frais encouragés par l’État à coup de centaines de milliers de dollars constituent, selon lui, un suicide collectif pour les éleveurs locaux. Pour l’expert du FAO, Papa Ndary Niang, la RDC a toutes les capacités de développer le business de l’élevage. Cela devrait rapporter non seulement des devises au pays mais aussi permettre de réduire les importations de la viande animale des pays étrangers.

Axes stratégiques

Pour ce faire, déclare le consultant, le gouvernement devrait, au bout de cinq ans,  diversifier l’économie nationale, réduire de manière progressive de  la forte dépendance de l’économie par rapport aux ressources minières, promouvoir l’emploi des jeunes et garantir l’autosuffisance alimentaire en réduisant de plus en plus les coûts des denrées alimentaires. Ainsi, les experts tant nationaux qu’étrangers qui ont pris part au dernier atelier sur le secteur de l’élevage, ont défini trois axes stratégiques et des objectifs à atteindre pour rendre productif le secteur de l’élevage. Le premier axe consiste à améliorer le cadre institutionnel par le renforcement des capacités des acteurs et les chaînes de valeurs, ainsi que la réforme du cadre législatif et réglementaire. Cet axe procède par le renforcement des capacités d’intervention des services d’élevage et l’amélioration de la gouvernance des opérateurs économiques. Il s’agit aussi de favoriser l’appui au financement et à l’investissement, de même que la gestion de l’information et le suivi-évaluation.

Le deuxième axe consiste à renforcer les capacités des acteurs sur les plans technique et  managériale. Le troisième axe envisage la redynamisation des chaînes de valeurs locales et l’amélioration de la compétitivité. Les experts prévoient de mener des actions de la présentation et de l’amélioration de la santé animale, de développement des dispensaires, ainsi que les campagnes de vaccination et de l’amélioration de la performance.

La facilitation de l’accès aux aliments, le développement des chaînes de valeurs classiques, la promotion des filières non conventionnelles et l’amélioration de la qualité sanitaire et nutritionnelle des denrées alimentaires d’origine animale, figurent également parmi les actions à mener pour la rentabilité du secteur de l’élevage. Le quatrième axe enfin consiste à développer le partenariat entre les vétérinaires et les médecins pour la promotion des produits locaux et la facilitation de l’accès aux marchés.

Les attentes du COMESA

Coordonnateur régional de la gouvernance vétérinaire pour le COMESA, Yoseph Mamon, soutient que le potentiel de la RDC en production élevage et agricole permettrait de booster les activités agropastorales de tout le continent africain. « Si l’Afrique veut se développer, elle doit se réunir autour de la RDC pour que le travail de développement du secteur de l’élevage commence dans ce continent. La RDC dispose de 40 % des terres du territoire national qui se prêtent bien à l’élevage, soit environ 610 000 ha des pâturages avec une capacité d’élevage de 40 millions de têtes du gros bétail », a-t-il déclaré.

Yoseph Mamon a fait remarquer que l’organisation des assises de Kinshasa est différente de celle des années précédentes, indiquant qu’autant que la population grandit, le développement aussi doit grandir. Pour arriver au développement de la production de l’élevage, a-t-il dit, il faut intégrer les jeunes et les femmes pour une grande productivité. Honoré Lemba Mabela, directeur de la production et santé animale au ministère de la Pêche et de l’Élevage qui représentait le secrétaire général, a souhaité que toutes les recommandations mises à la disposition du gouvernement ne restent pas lettres mortes. À ce jour, les grandes initiatives du secteur de l’élevage sont plutôt privées.

Certes, dans le Kongo-Central, dans les Kivu, des fermes s’alignent par endroits en chapelet, mais avec 35 000 têtes, fin 2015, la société Grelka réunit le plus important cheptel bovin de RDC. En d’autres termes, la RDC est un État lilliputien devant le Rwanda ou le Burundi par exemple, dans le domaine de l’élevage. Les deux grandes fermes de Grands élevages de Katongola (GRELKA) s’étendent l’une sur 350 000 ha près de Kamina, dans le Haut-Lomami, et l’autre couvre 100 000 ha sur le plateau des Biano, dans le district de Kolwezi. Deuxième plus gros éleveur de la province après GRELKA, la Pastorale du Haut-Lomami compte quant à elle plus de 18 000 têtes et dispose d’une concession de 212 000 ha située à environ 20 km de Kamina.

Fondée dans les années 1930, pendant la colonisation, par le baron et banquier bruxellois Henri Lambert, la société GRELKA a été rachetée en 2006 par George Forrest, qui en est l’actionnaire majoritaire (93 % du capital). Le tycoon provincial, président du Groupe Forrest International (GFI, actif depuis 1922 en Afrique centrale dans le BTP, le ciment, les services miniers et les plantations), était alors un nouveau venu dans le domaine de l’élevage. Et il a voulu redonner à GRELKA son lustre d’antan, celui des années 1970-1980, quand les ranchs de la société approvisionnaient en viande rouge la quasi-totalité de la clientèle du Katanga et de la province voisine du Kasaï Oriental. « Depuis qu’il a repris le projet, George Forrest s’est beaucoup impliqué. Il a investi pour enrichir le cheptel par des croisements avec la race sud-africaine bonsmara, parfaitement adaptée au climat local. Il vient au moins quatre fois par an dans le ranch des Biano pour se rendre compte par lui-même de l’évolution de GRELKA », souligne Benoît Nienhaus, le directeur général de la société, un Belge installé au Katanga depuis 1987. Son patron lui a donné pour mission de faire grossir le cheptel jusqu’à 40 000 têtes d’ici à 2018. « C’est le maximum que nous puissions faire, en élevage extensif, avec la superficie dont nous disposons », explique-t-il.

800 salariés, 24 vétérinaires

Benoît Nienhaus n’est pas peu fier de son bétail. Nourri exclusivement en pâturant sur les plateaux et hauts plateaux katangais, le troupeau est suivi et soigné par quelque 800 salariés, dont 24 vétérinaires congolais formés sur place. « C’est l’élevage le plus moderne de la province. Nous travaillons avec les universités de Liège et de Lubumbashi pour améliorer la qualité, année après année », s’en vante-t-il. Chaque bête, imposante, pèse entre 460 et 500 kg une fois arrivée à maturité. « Au départ, la race GRELKA est un mélange de zébus africains et de vaches européennes simmental et sussex, poursuit le directeur. Mais le croisement avec la bonsmara a permis de lui donner une peau plus résistante aux insectes ainsi qu’une ossature adaptée à la marche. »