Inquiétude grandissante pour le pétrole

ça bouge, ça bouge tellement sur le marché international des produits de base que l’on se perd en conjectures. Chez les spécialistes, l’optimisme des uns se mêle au pessimisme des autres, au point que les pays exportateurs sont conviés à la prudence.

LES COURS du pétrole ont terminé en hausse pour la troisième séance de suite jeudi 14 février, profitant de l’optimisme des marchés quant à des avancées dans les négociations sino-américaines. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en avril s’est apprécié de 96 cents pour terminer à 64,57 dollars sur l’Intercontinental Exchange (ICE) de Londres, son plus haut niveau depuis mi-novembre 2018. Sur le New York Mercantile Exchange (Nymex), le baril de « light sweet crude » (WTI) pour le contrat de mars a gagné 51 cents pour finir à 54,41 dollars.

Le pétrole a temporairement souffert des mauvaises données sur les ventes au détail aux États-Unis, le WTI reculant nettement après leur diffusion. « Comme c’est un indicateur important sur la vigueur de l’économie, la Bourse a flanché, entraînant avec elle les cours du pétrole », a relevé Robert Yawger de Mizuho. Mais le prix du baril américain s’est par la suite redressé.

Alors que les négociations entre la Chine et les États-Unis ont repris la semaine dernière à Pékin, « il semblerait que les espoirs d’avancées sur le conflit commercial profitent au pétrole », ont commenté les analystes de Commerzbank. Les prix étaient déjà en hausse après la publication des rapports mensuels de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) et de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui faisaient état d’une baisse de la production du cartel.

Le marché s’était ensuite tourné vers les données hebdomadaires sur les réserves américaines, publiées par l’Agence américaine d’information sur l’Énergie (EIA).

Données à court terme

Si l’EIA a fait état d’une hausse des stocks de brut, ce qui a dans un premier temps peser sur les prix, « les investisseurs ont choisi de se focaliser sur une baisse marquée des importations venues du Venezuela », a commenté Sukrit Vijayakar, analyste de Trifecta Consultants. Les données à court terme commencent ainsi à refléter la baisse de l’offre mondiale, notamment en raison des efforts de l’OPEP, qui a fixé à ses membres et à ses partenaires, dont la Russie, des seuils de production plus bas.

Alexandre Novak, le ministre russe de l’Énergie a d’ailleurs indiqué que Moscou allait en février tenter d’accélérer la réduction de la production par rapport à ce qui était prévu dans le cadre de l’accord avec l’OPEP. 

La Russie devrait en moyenne extraire 150 000 barils par jour de moins qu’en décembre, contre 140 000 barils environ actuellement. Cité par les agences russes, il a souligné que sans cet accord, « la surproduction aurait été assez importante (…), les stocks dépasseraient aujourd’hui largement la moyenne sur cinq ans ».

Prudence, prudence

Jasper Lawler, analyste de London Capital Group, résume ma situation en ces termes : « L’OPEP a bien abaissé sa production en janvier, et l’Arabie saoudite a fait du zèle par rapport à ses promesses, donc ceux qui parient sur une offre peu abondante sont contents… Ajoutez les sanctions américaines contre le Venezuela et tout à coup, l’offre mondiale a moins de marge. »

Au lendemain de la publication du rapport mensuel de l’OPEP, l’AIE a publié ses propres données pour le mois de janvier : l’offre mondiale a chuté de 1,4 million de barils par jour (mbj) à 99,7 mbj.

Cette baisse est notamment due à la mise en œuvre de l’accord de Vienne entre les pays de l’OPEP et leurs partenaires, dont la Russie, qui ont décidé début décembre 2018 de se fixer des objectifs de production plus bas qu’auparavant. L’AIE souligne que si l’Arabie saoudite fait du zèle, la Russie ne respecte pas pour l’instant son objectif. Les analystes de Goldman Sachs, tout en partageant cet optimisme, préviennent cependant que l’abondante production américaine pourrait faire rebasculer le marché au deuxième semestre. Certains producteurs de schiste, dont la production peine actuellement à se vendre en raison d’un manque d’infrastructures de transport, vont profiter de l’ouverture de nouveaux oléoducs, ont-ils estimé.

L’AIE prévoit d’ailleurs que la hausse de la production aux États-Unis compensera à elle seule la baisse des exportations du Venezuela. « L’AIE n’a surestimé la croissance du pétrole de schiste américain qu’une seule fois », ont souligné les analystes de DNB Markets. À plus court terme, les marchés observeront en cours de séance les données hebdomadaires sur les stocks américains de l’EIA. 

Les analystes tablent sur une hausse de 2,4 millions de barils des stocks de brut, de 1,4 million de barils des stocks d’essence et sur une baisse de 1,5 million de barils des stocks d’autres produits distillés (fioul de chauffage et gazole), selon la médiane d’un consensus compilé par Bloomberg. L’EIA a réduit de 50 000 barils par jour (bpj) sa prévision de croissance de la demande mondiale de pétrole en 2019, à 1,49 million de bpj. Dans son rapport mensuel, l’agence réduit aussi sa prévision de croissance de la demande pour 2020, de 50 000 pbj, à 1,48 million de bpj.

Elle prévoit parallèlement que la production de pétrole brut des Etats-Unis augmentera de 1,45 million de bpj cette année et de 790.000 bpj l’an prochain pour atteindre 12,41 millions de bpj en 2019 et 13,2 millions de bpj, un nouveau record, en 2020.