Jean – Jacques OTSHUDIEMA « La RDC doit migrer vers la télévision numérique d’ici le 17 juin 2015 »

Le 17 juin 2015, c’est la date butoir fixée par l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour le passage de la télévision analogique à la télévision numérique à travers le monde. Nous, les opérateurs congolais ne l’entendent pas de cette oreille. Business et Finances a rencontré Jean-Jacques Otshudiema, coordonnateur du Comité national de la migration vers la télévision numérique terrestre.

 

Business et finances : Pourquoi la RDC a-t-elle opté pour la norme européenne ?

J.C. Otshudiema : Certes, il existe plusieurs normes à travers le monde dont les principales sont la norme européenne, la japonaise et l’américaine. Mais en ce qui concerne la RDC, seuls les Japonais et les Européens ont proposé au gouvernement leurs technologies.

Grâce à l’approche comparative et à une évaluative menée par la commission instituée sur la question et placée sous la tutelle du ministère des Postes, Télécommunications, Nouvelles technologies de l’information et de la communication, la norme européenne DVBT-2 a fait l’unanimité au regard de ses caractéristiques techniques et ses performances. La commission a statué en sa faveur.

En dehors de cette étude, il existe aussi d’autres considérations qui ont joué : la commission technique de la SADC avait déjà recommandé à tous les États membres d’adopter la norme européenne. À l’exception de l’Angola qui avait expérimenté dans un premier temps la norme japonaise, avant de basculer, comme c’est le cas actuellement, vers la norme européenne. Il convient de la norme japonaise a rivalisé dans le temps avec la DVBT avant son amélioration en DVBT-2.

Quels sont les avantages de la TNT ?

Les avantages de la télévision numérique terrestre sont nombreux. En premier lieu, la qualité de l’image est exceptionnelle. La réception du signal est excellente puisque les perturbations qui provoquent généralement l’altération de l’image n’existent plus grâce  à la technologie numérique. Les images sont ainsi plus nettes et plus fines  par rapport à la télévision analogique. Elle offre également une meilleure qualité du son, qui est clair et puissant. Grâce à cette technologie, la population va aussi bénéficier d’autres services tels que l’introduction de la vidéo à la demande et l’interactivité qui est plus directe entre les téléspectateurs et les journalistes en pleine production au studio. Avec ce système, il est également possible de compresser plusieurs chaînes de télévision sur une même fréquence. Alors qu’avec l’ancien système, à une chaîne de télévision équivalait une fréquence. Ceci offre à la population l’opportunité de capter plusieurs chaînes, y compris les télévisions étrangères.

Suivant quel schéma la RDC va-t-elle basculer vers la TNT ?

Évidemment cela se fera progressivement à l’intérieur du pays puisque c’est un long processus. C’est ainsi que  le gouvernement avait commencé d’abord par doter la télévision nationale en équipements adéquats. Cela se traduit par l’acquisition de caméras, studios et autres matériels numériques.

Actuellement, le pays compte 53 sites  dont une vingtaine est déjà munie d’émetteurs DVBT. Il sera donc question, dans une première phase, d’ajouter certains modules aux antennes existantes pour les transformer en émetteurs DVBT-2. Ensuite, dans une seconde phase, de procéder à  l’extension du réseau en dotant les  sites restants d’émetteurs DVBT-2.

À ce stade, un moratoire est-il envisageable ?

Absolument pas. La RDC est déjà dans le cercle des États retardataires. Il est hors de question de s’enfoncer davantage dans le trou. À ce sujet, l’Union internationale des télécommunications (UIT) s’est déjà prononcée  contre toute idée visant à prolonger l’échéance. Hormis cette donne, il y a d’autres impératifs qui nous contraignent à migrer au même moment que les autres. Car si à la date du 17 juin, tous les pays voisins migraient sans la RDC, les villes frontalières comme celles de l’Est, Lubumbashi et Kinshasa connaîtraient de sérieux  désagréments. En clair, la puissance des émetteurs  numériques  des pays frontaliers vont brouiller les fréquences dans les villes congolaises au point qu’il y aura une bande noire et les téléviseurs ne vont plus rien capter.

Quelles sont les mesures prises pour amortir le choc au sein de la population ?

Cette question domine les débats sur la place publique. Je vous rassure que le gouvernement est à la fois conscient du pouvoir d’achat encore faible des populations et de son devoir de garantir l’accès gratuit à l’information à toutes les couches de la population.

C’est pour cette raison qu’il y a  plusieurs options sur la table des décideurs politiques en rapport avec l’épineux problème de l’acquisition des décodeurs. L’une préconise la subvention totale du boitier  communément appelé  « décodeur » afin de le distribuer gratuitement à toutes les couches de la population. L’autre, par contre, consiste à subventionner partiellement de façon à réduire le prix des décodeurs sur le marché d’au moins 50% voire 75%. La dernière hypothèse envisage plutôt d’accorder des facilités fiscales et douanières aux importateurs des décodeurs pour minimiser le coût sur le marché.

En ce qui concerne la problématique de l’abonnement, la population peut se tranquilliser puisqu’elle va déjà bénéficier de la gratuité des télévisions publiques. Outre cette possibilité, au niveau des chaînes privées, certains programmes pourront également être gratuits. En revanche, les télévisions spécialisées dans les thématiques liées par exemple à la médecine et à la science en général  pourront monnayer la diffusion de leurs programmes auprès de ceux qui voudront volontairement y souscrire.

Faut-il, dès lors, jeter le téléviseur analogique à la poubelle ?

Pas du tout. Il revient aux propriétaires d’opérer un choix : soit le garder, soit acheté un téléviseur adapté. Dans l’hypothèse où ils voudraient conserver leurs anciens récepteurs faute de moyens, ils devront se munir d’un décodeur qui  sera sans doute commercialisé à un prix raisonnable. Ce dernier servira  à convertir le signal numérique en analogique à la télévision. Et pour ceux  dont les finances ne poseraient pas problème, ils  pourront acheter des téléviseurs numériques avec ‘tuner’ intégré. Grâce à ce dispositif incorporé dans l’écran, le recours à un décodeur sera sans objet.

Il faut aussi savoir que les écrans plats qui sont en vogue à Kinshasa et dans le reste du pays sont certes numériques mais ne disposent pas pour la plupart d’un ‘tuner’ intégré. Pour ce type de téléviseur, le recours à un décodeur s’impose. Dans le souci de favoriser la commercialisation des téléviseurs à l’ère du numérique, le ministère de tutelle  a signé depuis le 25 avril 2015, un arrêté interdisant la production et l’importation de tout appareil récepteur analogique à usage télévisuel.

Pourquoi les patrons des chaînes de télévision accusent-ils l’État de précipiter cette migration ?

Nous n’avons rien précipité.  Cette affaire a été lancée depuis 2006 par l’Union internationale des télécommunications. Dès lors, plusieurs nations à travers le monde ont commencé à migrer. Le grand problème dans la sphère médiatique congolaise, c’est que les responsables de ces chaînes sont en grande partie des profanes en journalisme. Ils se contentent de créer des chaînes tout simplement pour des raisons commerciales. Il est incompréhensible d’évoluer dans un domaine dont on ignore à la fois les nouvelles tendances et les avancées technologiques.  Je pense plutôt que les promoteurs des chaînes de télévision, bien que n’étant pas des professionnels en journalisme, ont pressenti inéluctable le passage de l’analogie au numérique mais ont préféré jouer à l’attentisme. En plus, il y a un fait important qui témoigne qu’ils étaient bel et bien au parfum des évolutions technologiques à travers la planète mais seulement ils n’ont pris aucune disposition pour être au rendez- vous. Depuis 2006,  quelques chaînes revendiquent le label « numérique » telles que Numérica Télévision, Digital Congo « l’écran numérique » et Congo web Télévision « Télévision haute définition ». En réalité, aucune d’elles ne répond aux normes de la Télévision numérique. Il  ne s’agit donc que des concepts creux.  Ces chaînes devraient donc penser en ce moment à des stratégies pouvant mutualiser leurs moyens afin de s’adapter au nouveau paysage qui se dessine au lieu d’agiter inutilement la population.

L’État peut-il venir aide aux médias privés ?

D’emblée, je vous dis qu’il n’est pas normal qu’un promoteur crée son propre business à vocation commerciale et qu’il compte sur la subvention de l’État pour le rentabiliser. Suite à une mauvaise organisation interne, ces promoteurs sont déjà incapables de payer régulièrement leur personnel. De toutes les façons à la base des aides financières, il n’est pas exclu que nous reprenions tous les programmes produits analogiquement par ces chaînes pour les convertir, en signaux numériques afin de permettre à certaines parmi elles de continuer à exister sous le mode de la gratuité.

La télévision payante est-elle une bonne idée ?

La population finira par s’accoutumer avec cette technologie. Hier, nous utilisions des ordinateurs fixes ; Après un temps, nous sommes passés aux ordinateurs portables et, actuellement, ce sont des tablettes qui prennent de plus en plus de l’ampleur sur le marché. De mon point de vue, la télévision payante devrait en principe contenter les responsables des chaînes de télévision dans la mesure où elle leur permettra de renflouer les caisses de leurs entreprises en combattant la concurrence déloyale.

D’un côté, nous avons des chaînes non viables opérant dans deux ou trois studios, disposant de quelques caméras de fortune, moins exigeantes et proposant des tarifs publicitaires imbattables aux annonceurs au détriment des médias qui ont investi lourdement afin de proposer à leurs téléspectateurs  des programmes acceptables. Vis-à-vis du marché publicitaire, les chaînes bien outillées sont qualifiées de « capricieuses », ce qui les éloigne des annonceurs. Or, pour rentabiliser une chaîne de télévision, il y a un préalable : investir énormément sur le plan financier. Et c’est cela le nœud du problème pour les télévisions congolaises.