Judith Bazou, ambassadrice de l’humanitaire individuelle

En RDC, nous n’avons pas ce genre d’humanitaire. C’est bien de le dire : JB est pionnière dans ce créneau tout à fait particulier… Rencontre avec celle qui plante le bonheur dans les cœurs des jeunes, filles et garçons, ayant le sentiment d’avoir tout perdu dans la vie.

 

Elle aurait pu être une commerciale (licence pro en management des unités commerciales) dans une grande entreprise en France où elle vit ou en République démocratique du Congo, son pays d’origine. Mais, touchée par le sort des jeunes, filles et garçons, tombés dans le « trou », sans espoir de s’en sortir, Judith Bazou a décidé de leur venir en aide.

Aujourd’hui, cet électron libre du planning familial travaille déjà dans plusieurs pays. Résidente à Lille (en France), depuis 17 ans, elle s’occupe de l’éducation à la vie et de l’éducation conjugale depuis 2012. Adepte de 3S (S comme sensibilité, S comme santé et S comme sexe), elle a décidé, en 2016, de se lancer dans l’humanitaire individuelle en Afrique. Comme elle le dit elle-même, elle arpente les lycées, les collèges, les universités et les centres sociaux pour enfants abandonnés, non pas pour distribuer des dons et de l’argent, comme c’est coutume avec les ONG traditionnelles, mais pour discuter et échanger avec les jeunes à propos de leur sensibilité et de leur santé sexuelle.

« Je leur apporte mon expérience, mes conseils… rarement de l’aide financière, seulement quand je suis vraiment touchée par une situation de détresse. En effet, ça n’est pas facile de faire de l’humanitaire individuelle ; il faut épargner pour mener à bien l’action parce qu’on n’est pas subventionné. », nous dit Judith Bazou. Cette dame, à l’allure élégante, à la silhouette de Miss Africa ou d’une belle hôtesse de l’air, agit seule, sans appartenir à une structure. Elle est actuellement en RDC pour un court séjour de quelque trois mois. Elle est venue en repérage : « Je suis en train de faire de la sensibilisation sur la prévention en matière de sexualité et sur la valorisation de la dignité humaine dans les écoles, les universités et les centres sociaux ».

Mais pourquoi se préoccupe-t-elle tant de l’éducation sexuelle au point d’y consacrer toute sa vie ? C’est à l’internat qu’elle sent vraiment en elle la nécessité de faire le planning familial. Pourquoi ? « En 2007, j’ai décidé de suivre la formation y afférente suite à ce que je voyais dans le foyer pour jeunes majeurs à Lille où j’étais logée puisque ma famille habitait à l’époque en région parisienne. Et comme la formation coûtait cher, j’ai demandé à être subventionnée, ce qui a été accepté », répond-t-elle. Et de poursuivre : « Je voyais comment les jeunes filles se comportaient au foyer… Comment elles se faisaient violer régulièrement ; c’était normal d’avorter chaque mois sans que cela ne les émeuve. Les filles ne se préoccupaient guère du tout de leur santé sexuelle. J’en étais tellement touchée que j’ai commencé à fréquenter le planning familial pour comprendre ce qui se passait au foyer et pourquoi toutes ces filles y étaient internées. »

« Au départ, déclare Judith Bazou, je n’approuvais pas certaines interventions du planning familial, mais par la suite, j’ai fini par comprendre que le planning familial est indispensable aux jeunes, pour leur avenir. » En 2010, Judith Bazou est venue en RDC (trois semaines), notamment à Kinshasa et Bukavu (province du Sud-Kivu), dans le cadre de son travail de fin d’études. Ce travail était en fait une « étude comparative de la connaissance du planning familial » en contextes français et congolais. Le constat est qu’« à Bukavu, les jeunes (les filles surtout) sont plus informés sur le planning familial qu’à Kinshasa ». D’après Judith Bazou, cela semble « justifiable par tout ce qui s’est passé dans l’Est en 1997 et de 2004 à 2006 ». En France, l’étude a porté sur Lille et Paris.

Hypocrisie ambiante

En Afrique, cette amazone de l’humanitaire individuelle est connue au Gabon et au Bénin. Au Gabon, Judith Bazou a passé trois mois. En comparant ce qu’elle a observé dans ces deux pays avec la situation à Kinshasa, elle est tentée de dire que le thème de la sexualité est encore « trop » tabou en RDC. « Il y a comme une sorte d’hypocrisie ambiante. J’ai du mal à comprendre que des ados de 22-26 ans, qui sont en master 2 (licence 2), ne soient pas capables de parler librement de leur sexualité… Au Gabon, les jeunes sont bien renseignés sur la sexualité et les IST (infections sexuellement transmissibles). Ils parlent librement de leurs problèmes sexuels, posent des questions sans le moindre gêne », fait-elle remarquer. Et d’ajouter : « Au Congo, par contre, les filles ont honte de dire qu’elles ont attrapé telle infection ou telle autre… Elles évoquent le plus souvent les symptômes sans réellement connaître la maladie. Bref, il y  a un réel problème de connaissance. »

Il n’y a pas de place pour l’humanitaire individuelle de luxe dans le travail de Judith Bazou. Les « bas quartiers » – les « Mapane » comme on aime bien les appeler au Gabon – sont son champ d’action de prédilection. « J’enfile souvent mon jean’s, je mets les baskets, et hop ! Le milieu rural, c’est tout ce qui m’intéresse. La jeune fille branchée ou moderne sait au moins s’en sortir, mais ce n’est pas pareil pour la fille rurale qui est ignorante de la sexualité, qui ne va pas à l’école, qui n’a pas 10 dollars pour s’acheter la pilule… », raconte-t-elle. En tout cas, c’est ce qui la motive de foncer : « À Bukavu, je suis allée dans le quartier qu’on appelle ‘Cité minière’, où la passe est à 1 000 francs, où les enfants de 11-13 ans s’y livrent… À Kinshasa, j’ai visité deux centres pour filles de rue à Bumbu et à Kasa-Vubu ; je vais aussi aller à Pakadjuma. »

Partout où elle passe, Judith Bazou a ce message : « Je ne viens pas juger ce que vous faites, mais discuter avec vous pour votre santé sexuelle et surtout de ce dont vous rêver pour votre avenir. Donc, j’apporte mes conseils aux jeunes qui ont le sentiment d’être sacrifiés ; voilà pourquoi il faut leur redonner l’espoir qu’ils peuvent devenir des personnes dignes dans la société en sortant de leur situation actuelle. Sincèrement, c’est mon combat. » Un combat mené jusque-là en dehors de toute structure. Au Gabon, par exemple, Judith Bazou encadre un ado de 17 ans : « Ce garçon n’aime pas l’école ni l’encadrement familial. Cependant, il suit quand même une formation au centre social qui l’héberge. Il rêve de faire l’armée dès qu’il aura son brevet de 3è (NRDL : l’équivalent du secondaire chez nous). » Mais elle n’exclue pas de se mettre au travail avec une ONG qui partage sa vision, c’est-à-dire pas de discrimination de profil. « Le plus important, c’est le suivi. Ça ne sert à rien de commencer un travail et de ne pas l’achever. Pour l’instant, j’observe et le moment venu, je choisirai la structure à laquelle je peux être utile, en apportant mon soutien », confie-t-elle. Déçue, Judith Bazou l’est, par les méthodes de travail de la plupart des ONG dans le pays, mais aussi par les autorités : « J’avais initié un petit projet qui n’a jamais vu le jour. Le pays m’a découragée. Et dire que j’ai fait 5 ans aux études pour être déçue à mon retour au pays ! Il y a un réel problème de mentalité. » Tout cela est désormais derrière elle : « Je pense que les ministères de l’Éducation et de la Santé doivent promouvoir la santé sexuelle à l’école, en revoyant leurs programmes… ».