Jusqu’où ira la chute des cours du pétrole ?

Pour contrer la baisse actuelle des cours du brut, l’OPEP et certains pays alliés envisagent une baisse de production de 1,4 million de barils par jour en 2019. La semaine dernière, la chute s’est accélérée à la suite des craintes sur la croissance, des tweets de Donald Trump et de l’abondance de l’offre d’or noir, ce qui a plombé de manière spectaculaire les cours.

C’EST la Bérézina (échec cuisant) sur le front du pétrole. Les cours de l’or noir ont terminé en forte baisse mardi 13 novembre sur le marché new-yorkais Nymex, avec des contrats sur le brut américain tombés à des niveaux que l’on n’avait plus vus depuis un an et des contrats sur le Brent qui ont touché des planchers depuis mars dernier. 

Ce qui s’explique, selon des observateurs, parce que les traders craignent un tassement de la demande mondiale, une situation d’offre excédentaire et contemplent enfin, inquiets, les dégagements survenus sur d’autres classes d’actifs, les actions en particulier. Le courant de ventes a été déclenché lundi 12 novembre par la publication d’un tweet du président américain Donald Trump appelant l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à ne pas réduire sa production.

La réunion du 6 décembre

Comme le rapportent trois sources proches du dossier à Reuters, l’OPEP et ses alliés discutent actuellement d’une proposition de baisse de la production afin d’éviter un excédent d’offre qui pèserait sur les cours. Inquiet face à la rechute des cours du brut, le cartel doit se réunir le 6 décembre pour déterminer sa politique pour l’année 2019.

L’OPEP a porté en octobre sa production à un niveau inégalé depuis 2016, selon une enquête Reuters, la hausse des extractions notamment aux Émirats arabes unis (EAU) et en Libye l’ayant emporté sur la baisse des livraisons iraniennes, causées par les sanctions américaines. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole a extrait 33,31 millions de barils par jour (bpj) en octobre. 

Une baisse de la production de 1,4 million de bpj était l’une des options en discussion entre les ministres de l’Énergie d’Arabie saoudite, de Russie et d’autres pays lors d’une réunion à Abou Dhabi. La Russie et l’Iran devraient participer à ce projet, ajoutent les sources proches du dossier. 

Cependant, l’Iran ne veut pas se fixer de plafond de production dans la mesure où le pays est confronté au rétablissement des sanctions américaines. Avec ses alliés, l’OPEP a décidé d’augmenter sa production en juin sous la pression du président américain Donald Trump en faveur d’une baisse de cours, limitant les contractions de la production engagées depuis janvier 2017.

Ces informations font rebondir les cours du pétrole qui ont chuté de 7 % mardi 13 novembre, leur 13è séance consécutive de baisse. Le contrat de décembre 2017 sur le brut léger américain (West Texas Intermediate, WTI) regagne 1,1 % à 56,30 dollars le baril dans la matinée et le Brent s’adjuge 1,6 % à 66,51 dollars. Les deux étalons ont perdu plus de 20 % par rapport à leurs pics de quatre ans inscrits début octobre lorsque le Brent avait culminé à 86,74 dollars.

L’offre devrait rester supérieure

Les prix vont-ils pour autant augmenter significativement ? Rien n’est moins sûr pour l’instant, soulignent des spécialistes. Car il semble que sur l’année 2019, l’offre mondiale de pétrole dépassera la demande, dans un contexte d’augmentation sans relâche de la production qui submerge la consommation, menacée par le ralentissement de l’économie, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans son rapport mensuel, l’agence basée à Paris a laissé ses prévisions de croissance de la demande mondiale pour 2018 et 2019 inchangées par rapport au mois dernier à, respectivement, 1,3 million et 1,4 million de barils par jour (bpj), mais a revu en baisse sa prévision de croissance de la demande hors-OCDE, moteur de la croissance de la consommation mondiale de pétrole. La production a gonflé depuis le milieu de l’année tandis que la montée des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine menace la croissance économique mondiale.

Dans son rapport mensuel publié mardi 13 novembre, l’OPEP dit s’attendre pour 2019 à une hausse de la demande mondiale de 1,29 million de barils par jour (bpj), soit 70 000 de moins que sa prévision du mois dernier. Dans le même temps, l’offre non-OPEP augmenterait de 2,23 millions de bpj, soit 120 000 de plus qu’estimé en octobre. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole avertit ainsi que le marché pétrolier risque d’être surapprovisionné en 2019 du fait du ralentissement de la croissance mondiale et d’une hausse plus forte que prévu de la production de pays en dehors de sa zone d’influence. 

Renversement de situation

Le mois prochain, l’Arabie Saoudite va diminuer ses exportations de 500 000 barils-jour. Même si le consensus entre producteurs de pétrole n’est pas encore acquis, le ministre saoudien de l’Énergie a l’intention de démontrer que c’est lui qui garde la main. Face à ses collègues réunis dimanche dernier à Abu Dhabi, Khalid Al Falih a invoqué les volumes en retraits demandés par les raffineurs, aiguillon autrement plus fiable à ses yeux que la poussée de la production de brut aux États-Unis, désormais 900 000 barils-jour (b/j) au-dessus de celle de l’Arabie Saoudite.

Le ministre saoudien balaie d’un revers de la main ces données de l’administration américaine de l’Énergie : « Ne les prenez pas trop au sérieux », a-t-il lancé à des journalistes. Et s’il faut ajuster un peu, ce serait simplement pour entamer 2019 avec des « stocks au minimum ». Pour Riyad, l’analyse est simplement « technique ».

Son homologue d’Oman, un producteur qui n’est pas membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, a évalué à 1 million de b/j la quantité globale à retirer du marché, pour commencer. Il reste donc à déterminer qui, essentiellement dans la région du Golfe, va accompagner les Saoudiens dans leur mouvement de repli. Les Émirats arabes unis adhèrent au principe, semble-t-il de façon bien plus affirmée que le Koweït, dont le ministre n’a pas jugé utile de se déplacer pour la rencontre.

L’Arabie Saoudite montre, par ailleurs, des égards appuyés pour l’Irak, à présent le 2è en volume au sein de l’OPEP et appelé à y regagner encore plus d’importance avec le redémarrage de certains gros gisements au Nord. La veille de la réunion, Khalid Al Falih s’est rendu à Bagdad, où le porte-parole du ministère du Pétrole a fait état d’un travail à deux afin de stabiliser le marché mondial. Toutefois, l’Irak demande à connaître précisément l’évolution des exportations de l’Iran avant de décider des mesures à prendre. 

En limitant ses propres sanctions contre l’Iran, avec des dérogations pour 6 mois octroyées notamment à la Chine, l’Inde et la Turquie, entre autres grands consommateurs de brut iranien, Washington a pris de revers le marché. À moins, comme le soutient une analyste à Dubaï, que ce soit le marché qui ait contraint les États-Unis à oublier un temps leur volonté que le monde se passe de la ressource iranienne.

Pour ce qui la concerne, la Russie fait savoir qu’elle prend en compte la soudaine modification de ce paramètre. À la rencontre d’Abu Dhabi, le ministre russe de l’Énergie s’est voulu plus explicite encore que son collègue d’Oman : l’excès d’offre pourrait être compris entre 1 million et 1,4 million de b/j. Alexander Novak a rappelé qu’il y a « seulement un mois la discussion portait sur un déficit de pétrole ». C’est « l’assouplissement des sanctions américaines » qui, selon lui, « a modifié la tendance ». 

Alors, il explique qu’une poursuite de « la surveillance » de la situation s’impose avant de décider d’une baisse de la production. Cette précaution formulée, en veillant à afficher en permanence sa pleine entente avec son homologue saoudien, Alexander Novak laisse peu de doutes sur la participation russe à la réduction de l’offre en décembre.