Karl Lagerfeld évoquait déjà ses propres obsèques

Dès début 2018, le célèbre couturier et directeur artistique de la maison Chanel avait déjà averti sa famille qu’elle l’incinère à sa mort et qu’elle disperse les cendres avec celles de sa mère et celles de Choupette, sa chatte, si elle meurt avant lui. Reste à savoir si les dernières volontés du Kaiser, comme on l’appelait, seront respectées.

LE STYLISTE allemand, star planétaire de la mode, est mort mardi 19 février à l’âge de 85 ans, avait annoncé la maison Chanel dont il était le directeur artistique depuis 36 ans. Karl Lagerfeld a été hospitalisé dans la soirée du lundi 18 février à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine où il est décédé. La mort est un sujet qui n’effrayait pas le couturier, réputé pour son franc parler et ses phrases assassines.

Plus d’une fois, il en parlait et la dernière fois remonte au 10 avril 2018, lors d’une interview fleuve au magazine « Numéro ». On s’en souvient, le monde, la France en particulier, venait de faire ses adieux au chanteur rock Johnny Halliday, décédé d’un cancer du poumon le 2 décembre 2017. Loin de vouloir être glorifié à travers des obsèques grandioses avant d’être mis en terre, Karl Lagerfeld s’était arrangé pour que ses funérailles se déroulent exactement comme il l’avait souhaité ou prévu. Comment ?

Pas d’enterrement qui vaille

Il y a un an, le couturier avait demandé à sa famille qu’on l’incinère et qu’on disperse ses cendres avec celles de sa mère et aussi avec celles de sa chatte Choupette, au cas où celle-ci mourait avant lui. Le Kaiser avait donc tout prévu. Reste à savoir si ses dernières volontés seront respectées. Les causes de son décès ne sont pas encore données. Cependant, son absence du dernier défilé de haute couture de la griffe, le 22 janvier dernier, avait nourri les spéculations sur son état de santé. Quand il avait perdu 42 kg en 2000, il affirmait que c’était pour être « un bon cintre » et entrer dans la garde-robe du styliste Hedi Slimane, alors chez Dior. 

Ecce homo

Cheveux blancs tenus par un catogan, éternelles lunettes noires, hauts cols de chemise amidonnés, doigts couverts de bagues et débit de mitraillette, le couturier allemand à l’allure de marquis rock n’roll était reconnaissable entre tous. À la fois narcissique et champion de l’autodérision, loquace et mystérieux, cet habile communicant ne craignant jamais la controverse aimait jouer avec ce qu’il appelait lui-même son image de « marionnette ». Derrière ce personnage à la dent souvent dure se cachait un homme intuitif, sachant mieux que personne capter l’air du temps. Comme en 2004 quand il avait dessiné une collection pour le géant suédois du prêt-à-porter H&M, une démarche ensuite imitée par de nombreux créateurs.

Né à Hambourg, Karl Lagerfeld aimait entretenir le mystère sur sa date de naissance. Pour plusieurs titres de la presse allemande, s’appuyant sur des documents officiels, il avait vu le jour le 10 septembre 1933. Il affirmait quant à lui être né en 1935, indiquant que sa « mère avait changé la date », dans une interview à Paris-Match en 2013. Il vit une enfance aisée mais ennuyeuse au fin fond de la campagne dans l’Allemagne nazie, entre un père industriel globe trotter, et une mère à forte personnalité, grande lectrice et peu maternelle, qui lui donne le goût de la mode. Il dessine des robes en rêvant de Paris, où il débarque à l’adolescence.

En 1954, il gagne le concours organisé par le Secrétariat de la Laine, ex-aequo avec Yves Saint Laurent, avec qui il se lie d’amitié puis se brouille irrémédiablement. Le couturier Pierre Balmain l’engage: Lagerfeld restera trois ans dans cette maison avant de devenir directeur artistique de Jean Patou. Au début des années 1960, il entame une carrière de styliste indépendant, travaillant pour plusieurs maisons à la fois. « Je suis le premier qui s’est fait un nom avec un nom qui n’était pas le sien. Je dois avoir une mentalité de mercenaire », disait-il.

De 1963 à 1984, il est aux manettes de la griffe parisienne Chloé. Depuis 1965, il était aussi le directeur artistique de la maison romaine Fendi, passée entretemps dans le giron du groupe de luxe LVMH. Pour le grand public, le nom de Lagerfeld reste indissociable de Chanel. Quand il entre en 1983 rue Cambon, la maison de couture est vieillissante. Avec lui, elle redevient jeune et désirable. Pendant plus de 30 ans, il réinvente la griffe à chaque saison, jouant avec ses codes, à commencer par le fameux tailleur.

Homme de son temps, il signe des défilés aux mises en scène surprenantes et spectaculaires, reconstituant un supermarché, une galerie d’art, une rue… qui font un tabac sur les réseaux sociaux. Sa propre griffe, lancée en 1984, connaît des fortunes diverses. Redevenue florissante depuis quelques années, elle commercialise gadgets et accessoires à son effigie: il est devenu un logo. Le couturier s’illustre aussi par ses collaborations avec différentes marques (Wolford, Diesel, Volkswagen, Coca-Cola…).

Amoureux de littérature 

Boulimique de travail (« je n’ai jamais pensé à la retraite », disait-il en février), enchaînant les collections, Karl Lagerfeld avait aussi la passion de la photographie. C’est lui qui signait les campagnes Chanel. Les livres occupaient également une place prépondérante dans sa vie: il possédait entre 250 000 et 350 000 ouvrages, selon des estimations parues dans la presse, répartis dans ses différentes demeures. Lui que sa mère forçait à apprendre chaque jour une page de dictionnaire était un amoureux de la littérature du XVIIIe notamment et du début du XXe.