La Banque centrale réclame les lois essentielles pour s’adapter à l’évolution

ç’EN EST TROP, avait laissé entendre, Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), s’adressant aux banquiers de la République démocratique du Congo lors de leur traditionnelle rencontre du début de l’année. Les projets de lois de réforme portant sur le cadre légal (les statuts) de la Banque centrale du Congo (BCC), le contrôle des activités de crédit, des dispositions applicables au système national de paiement, etc. n’ont pas pu être adoptés au Parlement en 2018. Pourtant, tous ces textes de loi et d’autres encore sont essentiels et ont pour finalité de donner à l’Institut d’émission plus de pouvoir d’indépendance en matière de supervision et de résolution des crises pour plus de stabilité financière.

Mondialisation oblige !

Au dîner annuel de l’Association congolaise des banques (ACB), le 15 février 2018, le gouverneur de la Banque centrale a eu ces propos : « Nous menons des actions pour rénover le cadre légal et le cadre réglementaire. Les projets de loi ont été déposés depuis au Parlement, mais les deux Chambres évoluent très lentement – ça a toujours été le cas. Les députés et les sénateurs se doivent de nous aider à rénover notre cadre légal ». Deogratias Mutombo a regretté que les parlementaires ne soient pas représentés à cette cérémonie, et il a demandé, avec insistance, à la presse de relayer son message auprès d’eux. Convaincu que toutes les réformes envisagées du système financier national ont besoin de soutien de tous.

La Banque centrale, quant à elle, n’attend pas le vote des lois essentielles. Elle est déjà à pied d’œuvre. « C’est important », a dit le Gouv’ de la BCC. À commencer par le cadre réglementaire, à travers l’Instruction n°14 (nouvelle version). Et il a appelé les banques commerciales à s’y conformer. « C’est important », a-t-il dit encore. Sans oublier les innovations qui portent, par exemple, sur l’introduction du filet de sécurité et le coussin contracyclique pour plus de résilience aux chocs, le relèvement des fonds propres (capital minimum) à 30 millions de dollars au 1er janvier 2019 afin de permettre aux banques commerciales d’accroître leur capacité d’intervention en matière de fourniture des services financiers, notamment les crédits à l’économie, par ailleurs objet principal pour une banque. 

D’après lui, la réforme envisagée permet également de veiller à la bonne application de l’ancienne Instruction n°16 sur les règles prudentielles de provisionnement et de classement des créances ; d’éveiller l’attention des banques dans le suivi de la qualité des actifs et de leur contrepartie, le suivi de la solvabilité des emprunteurs ; de se conformer aux exigences de Bâle II et Bâle III. 

La réforme permet surtout en ce qui concerne l’Instruction relative au renforcement des fonctions de contrôle interne et de conformité ; d’ériger clairement les contrôles de 2è et 3è niveaux ; et de consacrer l’indépendance des fonctions d’audit…

Bref, comme l’explique Deogratias Mutombo, la Banque centrale a déjà émis plusieurs Instructions afin d’améliorer « la qualité des règles prudentielles de gouvernance ». Par exemple, les Instructions relatives aux commissaires aux comptes, aux agents bancaires (Instruction n°29 qui permet aux banques d’étendre leur réseau à travers le pays à moindre coût grâce à l’utilisation des nouvelles techniques de l’information et de la communication). 

Ce n’est pas tout. Les innovations portent aussi sur la protection des consommateurs de services financiers (le taux de change effectif ou taux d’intérêt), la gratuité de certains services (le retrait de francs aux banques par la Banque centrale)…

Les entraves à l’activité

À travers des actions qui sont menées dans le cadre de la réforme globale du système financier national, beaucoup de pratiques entravent encore la bonne marche de l’activité bancaire. C’est le cas notamment des avis à tiers détenteurs (ATD) pénalisant les activités des entreprises, émis par l’administration fiscale. Le gouverneur de la Banque centrale pense que c’est au débiteur, lui-même, de payer sa dette. « Il faut le suivre à son siège pour qu’il paie et non pas demander au banquier de le faire », s’insurge-t-il. 

Dépité, le Gouv de la BCC a dit avoir écrit à qui de droit. « On doit laisser les banques travailler normalement, exige-t-il. Si quelqu’un ne paie pas l’impôt, des pénalités et des mécanismes sont prévus pour le contraindre à payer ». En tout cas, il trouve vraiment « anormal » que l’on fasse pression sur la banque alors que son client mis en cause n’a même pas de solde créditeur qui équivaille au montant à payer.

Que de menaces ! Des menaces récurrentes sur les banques commerciales, a fustigé encore le Gouv’ de la BCC. « Il faut qu’on arrête avec cela », a-t-il tranché dans le vif. Sidéré de constater que les « saisies-attributions injustifiées » pour des contentieux dans lesquels les banques commerciales ne sont impliquées ni de loin ni de près sont devenues monnaie courante dans la justice. Il se demande s’il est vraiment « normal » que la banque soit contrainte de payer à la place de son client qui doit au fisc. 

La pyramide de Ponzi

Deogratias Mutombo interpelle la justice qui doit « aider » à la protection des banques. Il regrette vivement que les « interférences » soient désormais à la mode concernant les dossiers de mise à l’index. Le Gouv’ de la BCC ne comprend plus rien à cet état des choses. Furieux que des « emprunteurs malhonnêtes », pourtant mis à l’index, se donnent le loisir de saisir la justice contre les institutions financières. Et en fin de compte, ils ont gain de cause. « C’est anormal ! », a-t-il encore lancé. Avant de rappeler aux juges que les crédits sont financés par l’épargne du public et agir donc en faveur des « emprunteurs malhonnêtes » met dangereusement en péril cette épargne du public. « À cette allure, on va trucider les banques », car ce sont en effet des dossiers où des millions de dollars sont en jeu qui montent en puissance. Pourtant, les pauvres banques ont financé de bonne foi ! », a-t-il souligné.

Pour se sortir de cette situation, le Gouv’ de la BCC a appelé les banques à plus de vigilance et de prudence tous azimuts, surtout en face de ce genre de demandeurs de crédit. Qui se vêtissent de peau d’agneau quand ils viennent solliciter le crédit et se revêtent de celle de loup quand il est question de le rembourser. « C’est anormal, a-t-il encore dit, que des personnes mises à l’index soient protégées par la justice. Et que la même justice demande aux banques de négocier avec des emprunteurs malhonnêtes. Quand une banque doit négocier avec un emprunteur de mauvaise foi, elle part perdante ». 

Il s’en est aussi pris à certains dirigeants des institutions de microfinance et des banques qui font faillite. Au lieu de laisser à la Banque centrale dans son indépendance le soin de résoudre la crise, ils se réfugient derrière le tribunal de commerce qui enjoint finalement à la Banque centrale de négocier. « Sommes-nous dans quel pays ? Dans ce contexte, comment allons-nous évoluer ? », s’est interrogé Deogratias Mutombo, non sans peine. « Aux États-Unis, les derniers Madoff sont encore en prison. Mais chez nous, on demande à la Banque centrale de négocier avec le dernier Madoff le démantèlement d’une pyramide de Ponzi savamment montée par le dernier Madoff lui-même », a-t-il rappelé. Qui est-il le dernier Madoff congolais ? Suivez plutôt le regard du Gouv’ de la BCC.

Pour rappel, la pyramide de Ponzi est une escroquerie qui consiste à mettre en place un système d’investissement pyramidal, dans lequel la rémunération des premiers participants est assurée par les mises des nouveaux arrivants, jusqu’à ce que le mécanisme s’effondre de lui-même faute de nouveaux investisseurs. 

L’escroquerie massive mise en place par le financier Bernard Madoff pendant 48 ans reposait sur le principe de la pyramide de Ponzi. Madoff a trouvé son maître. Un émule chinois, Ding Ning, a monté la pyramide de Ponzi qui aurait fait le plus de victimes de l’Histoire. Avec son site de finances en ligne Ezubao lancé en 2014, il a escroqué 1 million de petits épargnants pour un montant de 7,6 milliards de dollars.

Les garde-fous

Les banques commerciales ont donc intérêt à mettre des garde-fous, à être prudentes, à user de bon sens et de bonnes pratiques de gestion, recommande enfin le Gouv’ de la BCC. Par exemple, elles doivent exiger de l’emprunteur l’autorisation irrévocable de vendre l’hypothèque sans intervention de la justice.

Autres problèmes : le Gouv’ déplore que l’administration fiscale se refuse jusque-là à appliquer la défiscalisation de provision pour créance douteuse (une double charge) consacrée dans la loi de finances de 2017. 

Par ailleurs, il exhorte les banques à être aussi des « bons conseillers » pour leurs clients, surtout les miniers. Qui sont tenus de rapatrier 40 % des ressources d’exploitation au pays suivant la réglementation en vigueur. En tout cas, il a été constaté des manquements au point que la Banque centrale a promis que les pénalités seront désormais appliquées « sans sommation ».