La diaspora investit dans le béton

Bien que partis ailleurs pour diverses raisons, les Congolais de l’étranger gardent toujours une oreille attentive aux  appels  de  leurs familles  restées au pays. Pas un jour ne passe  sans un transfert d’argent vers la RDC. 

Il y aurait  « huit à neuf millions de Congolais vivant à l’étranger », selon les estimations du vice-ministre des Affaires étrangères chargé des Congolais de l’étranger, à l’occasion d’une interview accordée le 18 juin aux médias du Groupe de presse L’Avenir. Répondant à une autre question, Antoine Boyamba évalue l’aide de la diaspora destinée aux parents à « quelque huit à neuf millions de dollars par an ». Une aide qui, d’après lui, « contribue à la paix sociale mais non au développement ».

D’autres sources contredisent cette affirmation. « Afrique Renouveau», un magazine onusien, soutient que « plus de 9,3 milliards de dollars ont été transférés  en 2012 en République démocratique du Congo par sa diaspora ». Le magazine regrette que si cet argent avait été pris en compte dans les statistiques et de la Banque  africaine de développement  et de la Banque mondiale et, surtout, s’il avait été bien canalisé, il aurait  constitué une source sûre de capitaux  frais  pour l’économie du pays.

Bouée de sauvetage

Transporté par des grandes sociétés étrangères  de transfert, telles que Western Union, Money Gram ou par  des  circuits parallèles, ces fonds servent à  payer les frais de scolarité des uns ou les soins médicaux des autres. Une partie intervient comme  fonds  de commerce pour des activités génératrices  de revenus : le transport, l’ouverture d’un salon de coiffure, d’un magasin, etc.

Des analystes déclarent que le volume des transferts de fonds est de loin supérieur à l’aide publique au développement ou à l’investissement  étranger  au pays. Une problématique qui mérite une réflexion car elle concerne des secteurs porteurs pour accueillir les capitaux de la diaspora.

Aussi loin que l’on remonte dans les temps, la première génération des Congolais ayant séjourné longtemps en Europe s’était illustrée par l’achat des objets ostentatoires : habits, chaussures de marque et brocante. C’était la période de la frime. Vint ensuite l’ère ou s’est fait sentir le besoin d’exploiter un secteur économique plus viable.

C’est alors que le transport urbain a intéressé plus d’un Congolais de l’étranger.

Domaine abandonné par l’État, ce secteur a été pris en charge par des jeunes qui s’y sont engouffrés en expédiant à Kinshasa des bus et des minibus de seconde main. Cette bouée de sauvetage a permis d’autonomiser les familles, sans emploi ni sécurité sociale. Elle a surtout facilité les déplacements de millions de gens dans les centres urbains. Le commerce des véhicules d’occasion s’est donc avéré très rentable au niveau des individus et salutaire pour la société.

Avoir un pied-à-terre 

Après le transport, la diaspora a  décidé d’innover, en réorientant son argent vers d’autres secteurs. C’est ainsi que l’immobilier s’est imposé. Aujourd’hui, ces expatriés  investissent dans le béton, contrairement à l’exploitation des véhicules dont la durée de vie est liée à l’état de la mécanique elle-même et à celui, piteux, des routes. Ajoutant à ce tableau l’absence de pièces de rechange, ils ont réalisé combien le secteur était aussi aléatoire !

D’après la Banque mondiale, citée par le site Kongo Times, l’argent expédié par des Congolais dans leur pays contribue à la construction de 60% des infrastructures. Il s’agit, en priorité, de la construction de luxueuses maisons d’habitation, de flats à vocation commerciale, des salles de fêtes.

Quelle est la motivation de ces «nouveaux bâtisseurs» ? Pour la plupart, « il faut avoir absolument un pied-à-terre chez-soi quand bien même le retour définitif au pays est toujours reporté. Et puis, avec un immeuble commercial bien situé dans la capitale, on peut faire des affaires en or sans subir l’usure ou de nombreuses tracasseries du fisc ».

Des projets bancables 

Ces entrepreneurs expriment le désir d’apporter leur aide, si modeste soit-elle, à la reconstruction  de la RDC. Ils ne demandent qu’un coup de pouce du gouvernement : « l’amélioration du climat des affaires, assortie de mécanismes  incitatifs spécifiques pour les nationaux ».

Sur le sujet, Antoine Boyamba a une autre lecture de la plainte. Il relativise l’aspect tracassier qui caractériserait le climat des affaires en RDC. Prenant le contrepied des plaignants, il dévoile le projet du  gouvernement en matière de protection des potentiels investisseurs  congolais vivant à l’étranger. « Nous sommes en train d’étudier, avec le ministre du Budget et celui de l’Économie, comment les agences de transfert devraient verser à l’État un pourcentage de tous les fonds transférés. Des accords s’imposent », note-t-il. À quoi servirait la caisse ainsi constituée ?

Le vice-ministre a une idée : le pourcentage perçu par l’État servirait « à la création d’un fonds de promotion  des investissements et d’aide aux Congolais de l’étranger. Son capital sera géré par un conseil d’administration composé uniquement des Congolais de l’étranger eux-mêmes, sous la tutelle du gouvernement. Le but de ce fonds est de les aider à venir investir au pays, du moins, ceux qui, n’ayant pas de capitaux, possèdent des projets bancables. »

Mais d’autres obstacles à l’investissement existent. Ils ont pour nom l’insécurité dans plusieurs coins du pays et la dénégation par la législation de la détention d’une double nationalité. La RDC gagnerait, comme d’autres pays, grâce à une articulation intelligente avec sa diaspora. Le pays  a  besoin  d’ investisseurs nationaux et  étrangers. Il est  donc urgent d’élaborer un plan  stratégique qui accorde des facilités d’investissement aux potentiels  entrepreneurs venus de la diaspora.