La dictature des brasseurs

La publicité des boissons alcoolisées dans les médias est autorisée, à condition de tenir compte de certains critères préalablement fixés. Mais, dans la pratique, la réglementation est  foulée aux pieds

Un bar où les consommateurs n’ont d’autre choix que les boissons Bralima.
Un bar où les consommateurs n’ont d’autre choix que les boissons Bralima.

Pour vivre, les médias ont impérativement besoin d’annonces et de publicité dans le strict respect des normes. Or, à Kinshasa, où existent au moins 55 chaînes de télévision et 40 stations de radios, les médias ainsi que les brasseurs semblent faire fi des critères fixés par le ministère de tutelle. Dans la soirée, il n’est plus possible de suivre un programme à la télévision, sans qu’il y ait des interruptions toutes les cinq ou dix minutes pour diffuser des spots sur des boissons alcoolisées, la Primus et la Skol. Les téléspectateurs assistent, impuissants, à ce matraquage publicitaire imposé par deux brasseurs : les Brasseries, limonaderies et Malteries (Bralima) et les Brasseries du Congo (Bracongo).

Non respect de la règlementation          

Toussaint Tshilombe Send,  alors ministre de l’Information, de la  Presse et de la Communication nationale avait, en juillet 2007, signé un arrêté fixant les critères d’appréciation de la publicité sur le tabac et les boissons alcoolisées. Il est prévu, dans cet arrêté, des commissions de contrôle et de visa de la publicité. « Aucune publicité ne peut être diffusée sans l’obtention préalable du visa d’une des commissions de contrôle et de visa de la publicité y relative », précise le troisième article de cet arrêté ministériel. En 2006, les sociétés brassicoles, en concertations avec le bureau de la Haute autorité des médias (HAM) devenue Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), du ministère de l’Information, de la Presse et de la Communication nationale et celui de la Culture et des Arts, ainsi que  la Commission nationale de censure des chansons et des spectacles, avaient ensemble fait des recommandations pour résoudre le problème de la publicité des boissons alcoolisées dans les médias audiovisuels du pays. Selon l’une des recommandations, « la durée d’un spot de produit alcoolisé ne peut excéder 45 secondes et 60 secondes pour les autres produits. » En outre, le même arrêté souligne qu’ « aucune publicité active de produit alcoolisé de plus de 30 secondes ne peut être diffusée deux fois dans une même tranche ». Concernant l’heure de diffusion, l’arrêté est précis : « La publicité active d’un produit légèrement alcoolisé ne peut être diffusée avant 21 heures 30 la semaine et 23 heures le week-end et jours fériés exception faite pour les événements sportifs, culturels et ayant reçu la dérogation du ministère de l’Information, de la Presse et de la Communication nationale. » Ce texte est aussi un grade-fou pour la protection des enfants. car « il est formellement interdit d’utiliser un genre de publicité quelconque de produit alcoolisé dans les programmes destinés aux enfants. »

Diktat des brasseries aux médias          

S’il faut s’en tenir à la logique, la fixation des prix de diffusion d’une publicité dans les médias devraient relever de leur compétence. Mais, sur le terrain, ce sont plutôt les brasseries qui font la loi en imposant leurs propres prix. Par conséquent, la publicité se paie à la tête du client. Les montants payés aux médias par les brasseurs ne sont pas uniformes, car ils varient d’un média à un autre. En réalité, les brasseurs tiennent compte de l’audimat de chaque média et du sérieux des responsables de ces entreprises. En principe, de façon professionnelle, une seconde de publicité à la télévision devrait coûter 1 dollar. Pour contourner ce principe, les brasseurs fixent unilatéralement un montant forfaitaire, à prendre ou à laisser, ne dépassant pas 5 000 dollars qu’ils paient à la fin de chaque mois pour toutes les tranches publicitaires diffusées. Différents coins de la capitale connaissent la floraison de points de vente des produits de la Bralima et de la Bracongo. Chose étrange, la vente de produits concurrentiels reste prohibée dans l’un ou l’autre point de vente selon son appartenance à la Bralima ou à la Bracongo. Tout simplement parce que  les deux brasseries ont fait signer à leurs clients « des contrats de collaboration » qu’ils sont contraints de respecter scrupuleusement. A titre indicatif, la Bralima fait signer un contrat d’une durée de cinq ans renouvelables. D’après les clauses de ce contrat, elle « prête gratuitement au client des matériels qui peuvent être revus en augmentation ou en diminution, le tout constaté au fur et à mesure.»  Le client signe un reçu : « J’ai reçu de la Bralima un don de matériels d’une valeur de 1 680 dollars dont 40 chaises de 300 dollars, 1 congélateur de 580 dollars, 60  Primus gratuites de 540 dollars, et un stabilisateur de 35 dollars ». En contrepartie, il s’engage à « garantir à la Bralima l’exclusivité totale de la vente de tous les produits, bières et boissons gazeuses ainsi que la publicité au sein de ses installations » En plus, « aucune autre eau de table de fabrication locale que celles de la Bralima ne peut être consommée ni détenue au sein de son point de vente », stipule encore le contrat qui accorde aux délégués de cette brasserie les pleins pouvoirs pour accéder librement aux installations du client à n’importe quel moment tant que ses guichets seront ouverts, pour s’assurer de l’application du contrat signé. Pour toute autre publicité, la Bralima seule a le droit de faire à ses frais et en accord avec le client celle qu’elle jugera utile.