La FEC n’est plus ce qu’elle devrait être

De l’avis de beaucoup de membres du plus grand patronat de la RDC, au sortir de la cérémonie de rentrée au Pullman Hôtel de Kinshasa, jeudi 11 octobre, le discours du président national aura laissé l’effet d’un électrochoc. Il était temps, car la corporation était devenue l’ombre d’elle-même, depuis des lustres, jusqu’au moment où le G7 minier décide de donner un coup de pied à la termitière.

EN UN comme en deux, le discours de la rentrée d’Albert Yuma Mulimbi, le président national de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) se résume à peu près à un mot : réarmement moral. Apparemment, le PN a tiré les leçons du passé. Apparemment.

Dans un communiqué publié lundi 8 octobre, la FEC a fait part de sa rentrée en deux Actes. L’Acte I s’est déroulé à Kinshasa, jeudi 11 octobre, au Pullman Hôtel. L’Acte II est prévu à Lubumbashi, jeudi 25 octobre, au Pullman Hôtel dans la province du Haut-Katanga. 

Selon la FEC, la cérémonie de rentrée (cocktail) est l’occasion pour Albert Yuma, le président national, de « présenter sa vision et les actions envisagées à l’aube de l’année 2019 ». À la même occasion, la FEC va présenter les membres du bureau de la nouvelle commission nationale de communication et marketing et dévoiler ses missions ainsi que les actions qu’elle va devoir mener. 

Ce n’est pas rien si cette commission regroupe en son sein des « grands noms de la communication au niveau national », car l’ambition est de « faire de la République démocratique du Congo un hub de la communication au niveau régional avant d’investir la scène internationale ». 

Et qu’elle envisage des actions, telles que les Keynotes, qui sont des espaces temps durant lesquels une entreprise présente devant un public ciblé ses produits et services, avec des échanges B to B entre les convives. Les premières entreprises à bénéficier de ces Keynotes sont les hôtels Pullman qui présentent le groupe Accor et leurs innovations. C’est dire que la FEC veut donner d’elle une nouvelle image.

De l’avis de certains membres, le plus grand patronat du pays n’est plus ce qu’il devrait être. Ils reprochent la « caporalisation » et la « mandarinisation » de l’institution. C’est le G7 minier qui est venu crever l’abcès, mécontent de n’avoir pas été défendu dans la négociation avec le gouvernement autour de la révision du code minier de 2002.

Libérer la parole

Aujourd’hui, à en croire ces membres, ce sont « les méthodes et les pratiques » qui sont surtout décriées au sein de la FEC. En effet, le G7 minier a donné la mesure de ce qui se fait au sein de la corporation, poursuivent-ils. « Des cotisations, et rien en retour », a laissé croire le G7 minier. Qui rumine encore sa colère et ne cache pas son désappointement à propos du feuilleton de la révision du code minier, alors que les jeux sont faits côté gouvernement. Les grands miniers du pays estiment que la FEC ne fait rien ou pas assez pour ses membres face aux pouvoirs publics. Par conséquent, ils ont claqué la porte.

Une porte que la FEC laisse ouverte, les appelant à revenir à de meilleurs sentiments (cfr le discours de la rentrée du président national). Apparemment, la FEC a tiré les leçons de ce feuilleton. En effet, jeudi 11 octobre, Albert Yuma Mulimbi a fait dans le grand classique. Un discours policé, alors que, d’habitude, il monte sur ses grands chevaux pour distribuer des cartons rouges ici et là, fonçant sur le gouvernement comme un éléphant dans un magasin des porcelaines.

Le discours du PN a été apprécié par nombre de membres de la FEC, voire par certains de ses détracteurs qui l’ont qualifié de « discours d’ouverture ». En tout cas, beaucoup ne s’attendaient pas à ce que Yuma place la corporation sur une nouvelle orbite. Surtout au moment où le pays négocie un virage (démocratique ?), avec les élections qui pointent à l’horizon.

Sortir du carcan

Des membres disent tout haut ce que la plupart pensent tout bas, que la Fédération des entreprises du Congo doit redevenir à la fois une Chambre de commerce et un syndicat patronal dont les missions sont la promotion et la défense des intérêts de ses membres. 

Être une institution qui défend bec et ongles ses membres face aux dérives politiques, qui influe positivement sur la conduite politique de l’activité économique. Bref, la FEC doit être l’instance que le gouvernement se doit de consulter en permanence, lorsqu’il s’agit de prendre des grandes décisions économiques engageant l’avenir du pays. Il est donc révolu le temps où le patronat fonctionnait comme un appendice du régime au pouvoir, comme à l’époque du parti-État. Pour nombre de membres, cet état des choses doit changer. Ils estiment que la FEC a besoin d’un souffle nouveau, d’une nouvelle dynamique, s’appuyant sur la jeunesse pour recadrer les choses. Et ce ne sont pas des profils qui manquent à la FEC. Des jeunes entrepreneurs capables de revendiquer et d’afficher leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics qui considèrent les entrepreneurs comme des antagonistes et non pas comme des protagonistes dans le processus du développement du pays.

Combien de jeunes entrepreneurs, enfants des migrants, ne se sont-ils pas dégonflés, car le pays de leurs parents ne leur facilite pas la tâche pour y investir, créer des emplois et des richesses ? Combien d’hommes d’affaires, nationaux ou étrangers, n’ont-ils pas mis la clé sous le paillasson à cause des tracasseries de tous genres ? Combien ? Combien ? Les patrons n’ont plus qu’une oreille attentive à l’évolution du processus électoral. L’avènement de Samy Badibanga Ntita à la primature avait suscité une lueur d’espoir parce qu’il appartient malgré tout au monde patronal.  Aujourd’hui, le comportement de la plupart des grands patrons ne fait pas mystère de leur choix, du moins en privé : le changement de leadership économique. Ils vont soutenir celui qui est à même de préserver leurs « intérêts ». Certains patrons regrettent amèrement que l’esprit libéral qui a soufflé sur le pays jusque dans les années 1980, soit en train de disparaître. 

Dans l’ensemble, les patrons se contentent de conserver l’outil de production. Ils attendent les « jours meilleurs » pour relancer leurs activités. Ils en appellent à « l’émergence d’un État fort doté d’une administration compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’un partenariat durable, sincère et constructif ». D’après eux, le climat des affaires ne peut s’améliorer que lorsqu’il y a un « débat fécond » entre l’État et les acteurs privés. Et ce débat fécond doit être suivi d’« effets concrets ». 

Dans les milieux d’affaires, on est persuadé que développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. Les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État.