La grande colère des commissaires aux comptes

Les professionnels du chiffre vont manifester le 17 mai. Ils s’opposent à la disposition du projet de loi Pacte qui prévoit de supprimer la présence du commissaire aux comptes dans les PME. Une mesure qui va les contraindre à repenser leur métier.

 

On ne les voit pas souvent défiler dans les rues. Le 17 mai prochain, ils seront pourtant à Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse et Nantes pour manifester. Les commissaires aux comptes ne sont pas contents. L’objet de leur courroux ? La décision de Bercy de  supprimer l’obligation de certification des comptes dans les petites et moyennes entreprises. Cette réforme s’inscrit dans le cadre de la loi Pacte, le « plan d’action pour la croissance et la transformation de l’entreprise ». Une disposition annoncée comme une mesure de simplification pour les sociétés.

Une mesure qui n’est évidemment pas du goût de ces professionnels du chiffre, persuadés qu’on les « assassine ». « Nous sommes une profession angoissée et en colère », explique Jean Bouquot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC).

Relèvement des seuils

Concrètement, que va-t-il se passer ? Le gouvernement va relever les seuils déclenchant l’obligation de nommer un commissaire au compte au niveau actuel de ce qui se pratique ailleurs en Europe. La réforme de l’audit, en 2016, a fixé à 8 millions d’euros de chiffre d’affaires le seuil d’audit légal obligatoire sur le continent ; il est, aujourd’hui, de 3,1 millions d’euros en France. « Il y a quelque chose de totalement surréaliste en France », justifie Bruno Le Maire, ministre de l’économie. « On dit : il faut que les PME grandissent, mais dès qu’elles grandissent, on leur rajoute des obligations, et après on se plaint qu’elles ne grandissent pas ».

Conséquences sociales

Pour les commissaires aux comptes, ces mesures vont engendrer un vrai cataclysme. La profession devrait perdre un quart de ses mandats, soit 620 millions d’euros de chiffre d’affaires sur un total de 2,7 milliards, selon un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) La réforme entraînerait un plan social touchant entre 6.000 et 7.000 salariés qui perdraient leur emploi. Elle concernerait 3.500 professionnels qui exercent de 75 à 100 % de leur activité dans les mandats concernés par cette mesure.

Les commissaires aux comptes mettent aussi en avant le risque que ce projet présente pour le bon fonctionnement de notre économie. Ils font valoir qu’ils remplissent des missions d’intérêt général. Notamment l’obligation de déclencher une procédure d’alerte quand des difficultés économiques surgissent dans l’entreprise. Ils doivent aussi révéler des faits délictueux à la justice. Un moyen de préserver l’activité et l’emploi en France et de lutter contre la fraude qui sévit dans les PME.

« Le législateur d’avant n’était pas si idiot. Très rationnellement, il a adapté les seuils d’audit à la structure de notre économie. Car les petites et moyennes entreprises représentent près de 60 % de la valeur ajoutée produite dans notre pays. Il est dangereux de laisser croire que chaque Etat n’a pas à adapter les objectifs européens à ses propres réalités. »  explique Jean-Luc Flabeau, président d’ECF (Experts-Comptables et Commissaires de France) . En Allemagne, les seuils sont supérieurs, car il y a bien moins de petites entreprises.

Machine arrière

De fait, les Etats européens dont les seuils d’audit ont été relevés il y a peu font déjà machine arrière, avancent les commissaires aux comptes. C’est le cas de la Suède, du Danemark et de l’Italie. « Un retour en arrière au vu de l’augmentation des erreurs comptables et de leurs conséquences sur l’assiette fiscale et sociale. Sans p parler du risque de dégradation de la confiance résultant d’une information financière plus opaque. On en attendait un gain pour les entreprises. C’est l’inverse que l’on constate » continue Jean-Luc Flabeau.

Bercy semble pourtant bien résolu : sa priorité reste bien celle de diminuer les charges pour les petites et moyennes entreprises. La fin de l’obligation de se soumettre au verdict d’un commissaire aux comptes représenterait une économie moyenne de 5.500 euros par an,  selon les travaux de l’Inspection générale des Finances (IGF).

Repenser l’avenir de la profession

Pour éviter trop de pertes d’emplois, le gouvernement a, pourtant, lancé une mission sur l’avenir de la profession. Cette dernière a été confié à un groupe d’experts et placée sous la présidence de Patrick de Cambourg, président depuis 2015 de l’ANC (Autorité des Normes Comptables).

Pour les commissaires aux comptes, l’enjeu va consister désormais à réinventer leur métier. Jean Bouquot a déjà fait des propositions. « Dans les PME, le commissaire aux comptes pourrait jouer un rôle de réviseur légal. Il continuerait à donner son opinion sur les comptes, mais en ne se concentrant que sur ce point. Il pourrait aussi donner très utilement son appréciation sur le contrôle interne, les forces et faiblesses de l’entreprise, et la solvabilité, en excluant toute vérification juridique ».

Autre piste : faire intervenir le commissaire aux comptes dans les groupes. Aujourd’hui, en dehors des comptes consolidés, les obligations de certification légale des comptes ne s’appliquent qu’aux entités juridiques séparées. « Certains groupes sont complexes et opaques ; le commissaire aux comptes y a une vraie valeur ajoutée », explique jean Bouquot

D’autres vont plus loin. « Si on souhaite développer l’épargne de proximité, il est nécessaire d’établir un lien de confiance. Ce n’est possible que si un contrôle a été réalisé. Il peut s’agir d’un contrôle des comptes, du respect de l’environnement, ou un audit social ; cela peut varier, d’une entreprise à l’autre, mais il faut qu’un tiers de confiance ait effectué ces sortes de « due diligence » », avance un professionnel. Autant d’idées qu’il faudra bien examiner une fois la colère passée.